Revue d'Evidence-Based Medicine



Acupuncture et conseil comme approche complémentaire de la dépression en première ligne ?



Minerva 2014 Volume 13 Numéro 8 Page 101 - 102

Professions de santé


Analyse de
MacPherson H, Richmond S, Bland M, et al. Acupuncture and counselling for depression in primary care: a randomised controlled trial. PLoS Med 2013;10:e1001518.


Question clinique
Quel est l’effet de l’acupuncture ou du conseil, versus la prise en charge habituelle, chez les patients présentant une dépression modérée à sévère (récidivante) en première ligne ?


Conclusion
Pour les patients présentant des symptômes persistants de dépression modérée à sévère, l’acupuncture ou le conseil en association aux soins habituels prodigués par le médecin généraliste peuvent apporter, à court terme, un supplément d’amélioration des symptômes de dépression.



 

 

Contexte

En 2010, une revue de la Cochrane Collaboration, en raison d’un risque élevé de biais dans la plupart des études, avait conclu que les preuves étaient insuffisantes pour recommander l’acupuncture dans le traitement de la dépression (1). Cette synthèse méthodique a conclu à la nécessité de poursuivre la recherche comparant l’acupuncture et le conseil ainsi que l’acupuncture et la prise en charge standard. L’intérêt du conseil dans le traitement de la dépression n’est d’ailleurs pas mis en évidence à long terme contrairement à son efficacité à court terme (2).

 

Résumé

Population étudiée

  • 755 patients adultes parlant anglais, âgés d’au moins 18 ans (âge moyen de 43 ans) issus de la première ligne, présentant une dépression modérée à sévère (confirmée par un score ≥ 20 sur l’échelle BDI-II) et ayant été suivis pour une dépression au cours des 5 dernières années ; 75% avaient dans leurs antécédents au moins 4 épisodes de dépression ; 60% à 70% étaient sous antidépresseurs, et 40% à 60% prenaient des antalgiques
  • critères d’exclusion : traitement antérieur par acupuncture ou conseil, maladie au stade terminal, trouble sévère de l’apprentissage, hémophilie, hépatite, VIH, grossesse, comorbidité psychiatrique telle qu’un trouble bipolaire, une dépression du post-partum, un trouble de l’adaptation, une psychose, une démence ou un trouble de la personnalité, deuil ou accouchement au cours de l’année écoulée.

Protocole d’étude

  • étude menée en ouvert, randomisée dans en rapport de 2/2/1, contrôlée, à 3 bras :
    • acupuncture + prise en charge habituelle (n = 302) : l’acupuncture s’est déroulée en 12 séances hebdomadaires, dans un cadre standardisé, par des acupuncteurs expérimentés (expérience d’au moins 3 ans après la qualification) et enregistrés (auprès du British Acupuncture Council)
    • conseil + prise en charge habituelle (n = 302) : le conseil a eu lieu en 12 séances hebdomadaires, par des conseillers reconnus (membres de la British Association for Counselling) et accrédités
    • prise en charge habituelle (n = 151) : soins de première ligne en fonction des besoins du patient 
  • les médecins généralistes ont consigné dans des journaux le nombre de séances et leur durée ainsi que les soins prodigués et la survenue d’effets indésirables.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : score DSM sur une échelle de 0 (absent) à 3 (présent presque tous les jours).">PHQ-9 après 3 mois, analyse de covariance (ANCOVA)
  • critères de jugement secondaires : PHQ-9 après 12 mois, prise de médicaments et d’analgésiques, recours aux soins de santé en rapport avec la dépression, empathie ressentie par le patient dans le groupe intervention
  • analyse en intention de traiter avec imputation des données manquantes.

Résultats

  • versus la prise en charge habituelle seule, la gravité de la dépression sur l’échelle PHQ-9 après 3 mois avait diminué de manière significative, tant dans le groupe acupuncture (-2,46 points avec IC à 95% de -3,72 à -1,21) que dans le groupe conseil (-1,73 points avec IC à 95% de -3,00 à -0,45) et après 12 mois (−1,55 points avec IC à 95% de −2,41 à −0,70) pour l’acupuncture et (−1,50 avec IC à 95% de −2,43 à −0,58) pour le conseil ; pas de différence statistiquement significative entre le groupe acupuncture et le groupe conseil
  • pas de différence statistiquement significative entre les différents groupes de l’étude quant à la gravité de la dépression sur l’échelle PHQ-9 après 12 mois
  • après 12 mois, diminution de 12% en moyenne des prescriptions d’antidépresseurs ; la diminution de la consommation d’antalgiques a varié de -1% à -12% (aucune analyse statistique effectuée) 
  • respectivement 5,3%, 8,6% et 6,0% des patients du groupe acupuncture, du groupe conseil et du groupe prise en charge habituelle ont présenté un effet indésirable grave, mais aucun n’était en lien avec le traitement
  • respectivement 18,5%, 15,6% et 26,5% des patients du groupe acupuncture, du groupe conseil et du groupe prise en charge habituelle ont présenté un effet indésirable non grave.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que chez les patients présentant une dépression en première ligne, versus la seule prise en charge habituelle par le médecin généraliste, tant l’ajout de l’acupuncture que des conseils sont associés à une diminution significative de la dépression après 3 mois.

Financement

Recherche indépendante financée par le National Institute for Health Research.

Conflits d’intérêt 

Aucun n’est mentionné.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Les auteurs considèrent que leur étude est une étude contrôlée randomisée pragmatique dont la validité externe est élevée. Le recrutement s’étant déroulé à partir d’une base de données de patients qui consultaient en première ligne pour des symptômes persistants de dépression modérée ou sévère, les résultats peuvent être extrapolés à la pratique de médecine générale ordinaire. Il faut cependant tenir compte du nombre élevé de critères d’exclusion. Étant donné le type d’interventions que l’on voulait comparer, il n’était pas possible de mener la recherche en aveugle. Afin de limiter les biais, la randomisation a été effectuée correctement en aveugle, et les résultats ont été rapportés par les patients eux-mêmes (sans intervention des investigateurs). Tant les acupuncteurs que les conseillers ont utilisé des protocoles de traitement standardisés, mais une adaptation individuelle était possible en fonction du patient. Comme il n’y avait pas de différences notables dans la prise en charge habituelle entre les 3 groupes, ces derniers ne diffèrent qu’en ce qui concerne le fait de bénéficier ou non de l’acupuncture ou du conseil.

En utilisant un instrument de mesure de la dépression différent pour la mesure des résultats que celui pour l’inclusion (et donc utilisé avec un seuil), l’effet statistique de régression vers la moyenne (regression to the mean) a pu être évité. L’analyse des résultats a été effectuée en intention de traiter avec imputation multiple des données manquantes. La proportion de patients sortis de l’étude était cependant plus de 2 fois plus importante dans le groupe ayant bénéficié du conseil que dans les autres groupes (10% contre 4%). Comme les scores PHQ-9 initiaux n’étaient pas les mêmes dans les différents groupes de l’étude, les investigateurs ont utilisé une analyse de covariance (ANCOVA) pour calculer l’effet (voir article de méthodologie dans ce même numéro).

Interprétation des résultats

Cette étude est la première qui compare 2 interventions non pharmacologiques et la prise en charge habituelle pour examiner leur efficacité dans l’approche de la dépression modérée à sévère en première ligne. Après 3 mois, l’acupuncture et le conseil ont donné un meilleur score que la prise en charge habituelle seule, mais cette différence n’était plus statistiquement significative après 12 mois. Les interventions étaient sans effet sur la consommation d’antidépresseurs.

S’appuyant sur une étude plus ancienne (3), les investigateurs ont défini la réussite du traitement comme étant une diminution à l’échelle PHQ-9, le score passant de ≥ 10 à ≤ 9 avec une amélioration d’au moins 50%. Ainsi, l’acupuncture a été une réussite après 3 mois pour 33% des patients, le conseil pour 29% des patients, et la prise en charge habituelle pour (seulement) 18% des patients. Cela revient à un nombre de sujets à traiter (NNT) égal à 7 pour l’acupuncture (IC à 95% de 4,3 à 17,4) et égal à 10 pour le conseil (IC à 95% de 5,3 à 47,3). Comme mentionné plus haut, il s’agit d’une étude pragmatique, avec comme désavantage que nous ignorons quel aspect des interventions a été plus ou moins efficace. Comme les patients inclus étaient surtout des personnes atteintes de dépression modérée à sévère (score BDI-II > 20), nous ignorons également si les formes plus légères de dépression tireront profit de l’acupuncture ou du conseil. Dans une méta-analyse de 2 études (1), comptant au total seulement 94 patients ayant une dépression moins grave, on a observé avec l’acupuncture, versus une liste d’attente, un effet à court terme en apparence plus important (DMS -0,73 avec IC à 95% de -1,18 à -0,29) que dans l’étude discutée ici. Une méta-analyse de 6 études, comptant au total 772 patients ayant une dépression légère à modérée, a montré que, versus la prise en charge habituelle, le conseil avait un effet après 6 mois mais pas après 12 mois (2).

 

Conclusion de Minerva

Pour les patients présentant des symptômes persistants de dépression modérée à sévère, l’acupuncture ou le conseil en association aux soins habituels prodigués par le médecin généraliste peuvent apporter, à court terme, un supplément d’amélioration des symptômes de dépression.

 

Pour la pratique

Dans les recommandations de la RBP belge, l’accompagnement non pharmacologique par le médecin généraliste constitue une partie importante du traitement (4). Clinical Evidence mentionne la thérapie cognitive et la psychothérapie interpersonnelle comme étant des traitements non pharmacologiques avantageux pour les formes légères à modérées de dépression (5). Les guides de bonne pratique actuels ne parlent pas de l’utilité éventuelle de l’acupuncture et du conseil, telle qu’ils sont exposés dans l’étude décrite plus haut. Cette étude attire l’attention sur ces 2 interventions comme possibles traitements complémentaires à la prise en charge habituelle pour améliorer, seulement à court terme, les symptômes dépressifs des patients atteints de dépression modérée à sévère.

 

 

Références

  1. Smith CA, Hay PP, Macpherson H. Acupuncture for depression. Cochrane Database Syst Rev 2010, Issue 1.
  2. Bower P, Knowles S, Coventry PA, Rowland N. Counselling for mental health and psychosocial problems in primary care. Cochrane Database Syst Rev 2011, Issue 9.
  3. McMillan D, Gilbody S, Richards D. Defining successful treatment outcome in depression using the PHQ-9: a comparison of methods. J Affect Disord 2010;127:122-9.
  4. Heyrman J, Declercq T, Rogiers R, et al. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering. Depressie bij volwassenen: aanpak door de huisarts. Huisarts Nu 2008;37:284-317.
  5. Price J, Butler R, Hatcher S, Van Korff. Depression in adults: psychological treatments and care pathways. Clinical Evidence. Web publication date: 15 August 2007.

 

 

Acupuncture et conseil comme approche complémentaire de la dépression en première ligne ?

Auteurs

Declercq T.
huisarts ; Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :

Poelman T.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent
COI :

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