Revue d'Evidence-Based Medicine



Expectorations colorées : un motif d’antibiothérapie ?



Minerva 2011 Volume 10 Numéro 10 Page 121 - 122

Professions de santé


Analyse de
Butler CC, Kelly MJ, Hood K, et al. Antibiotic prescribing for discoloured sputum in acute cough/lower respiratory tract infection. Eur Resp J 2011;38:119-25.


Question clinique
Chez des adultes qui toussent ou suspects de présenter une infection des voies respiratoires inférieures, la présence de crachats colorés et/ou de sensation de mal-être général est- (sont-) elle(s) associée(s) à la prescription d’un antibiotique et celui-ci accélère-t-il la guérison ?


Conclusion
Cette étude d’observation montre que la prescription d’antibiotiques chez des adultes avec toux aiguë ou suspicion d’infection des voies respiratoires inférieures et avec des crachats colorés et altération de l’état général n’est pas associée à une guérison plus rapide.


 

Contexte

Le médecin généraliste est souvent influencé par la couleur des crachats expectorés ou le mal-être général déclaré par ses patients pour leur prescrire ou non des antibiotiques en cas d’infection des voies respiratoires inférieures (1). D’autre part, les patients qui observent une coloration purulente de leurs crachats attendent plus souvent une prescription antibiotique de leur généraliste (1,2). Tant le médecin que le patient considèrent que des crachats purulents sont plus caractéristiques d’une infection bactérienne, à traiter par antibiotiques. Certains guides de pratique aussi mentionnent que des crachats purulents sont un signe clinique important d’une infection sévère possible des voies respiratoires inférieures (3).

 

Résumé

Population étudiée

  • 3 402 patients recrutés dans 14 réseaux de première ligne de soins (387 médecins généralistes) dans 13 pays européens, d’octobre 2006 à mars 2007 ; âge moyen de 47 ans, 36% d’hommes, comorbidité respiratoire de 15% et cardiovasculaire de 9%, 5% de diabète
  • critères d’inclusion : patients adultes (≥18 ans), toux aiguë ou augmentée ou suspicion d’une infection des voies respiratoires inférieures, depuis ≤28 jours
  • critères d’exclusion : non mentionnés.

 

Protocole d’étude

  • étude de cohorte prospective
  • pendant la première consultation, le médecin généraliste complète dans un formulaire standard l’état général ressenti par le patient (non à fort malade) et sa perception de présence d’autres symptômes (sur une liste de 13), entre autres la survenue d’expectorations et la couleur de celles-ci (transparentes ou blanches (normales) ; jaunes ou vertes (colorées)) ; il note aussi le traitement prescrit, notamment un éventuel antibiotique
  • les patients notent, jusqu’à disparition des plaintes et au minimum jusqu’à 28 jours, sur une échelle comportant 7 points (normal/non affecté jusqu’au maximum de l’intolérable) la présence et la sévérité de 13 symptômes avec sommation des scores pour les différents symptômes sur un score total de 0 à 100.

 

Mesure des résultats

  • lien entre présence de crachats colorés (jaunes, verts ou jaunes verdâtres) ou sensation de mal-être général (léger, modéré ou sévère) et prescription d’antibiotique (analyse de régression multiple. La régression multiple peut (en théorie) inclure un nombre illimité de variables continues. Toutefois, plus le nombre de variables en interaction est important, plus le risque d’association entre variables indépendantes est élevé («multicolinéarité»). De ce fait les résultats de l’analyse peuvent être peu fiables. L’analyse de régression logistique est utilisée pour étudier l’effet de plusieurs variables (facteurs) sur un critère dichotomique, comme par exemple «décédé» ou «non décédé».">analyse en régression logistique univariée)
  • lien entre la prescription d’antibiotique et la guérison des symptômes en fonction de la couleur des expectorations et de la sensation de mal-être général (analyse avec régression logistique multivariée)
  • correction des résultats pour les symptômes signalés par le médecin, la fièvre, l’âge, les comorbidités (cardiovasculaires, respiratoires), le nombre de jours avant la consultation, le tabagisme, le réseau de soins (première ligne).

 

Résultats

  • formulaires complétés à 99% par les médecins ; 80% des journaliers renvoyés ; 2 419 patients avec données exploitables repris dans l’analyse dont 54% ont reçu une prescription d’antibiotique
  • les patients avec des crachats colorés ont reçu 3 fois plus de prescriptions d’antibiotique que les patients sans crachat : OR 3,2 ; IC à 95% de 2,1 à 5,0
  • les patients avec altération subjective de l’état général reçoivent davantage de prescriptions d’antibiotique que les patients qui déclarent se sentir bien (p=0,24)
  • dans tous les sous-groupes (crachats jaunes ou verts, crachats colorés et sensation de ne pas bien se sentir légère à sévère), les patients ne guérissent pas plus rapidement avec un traitement antibiotique.

Conclusion des auteurs

Des patients adultes se plaignant d’une toux aiguë ou d’une suspicion d’infection des voies respiratoires inférieures et présentant des crachats colorés reçoivent en première ligne de soins plus fréquemment une prescription d’antibiotique que les patients sans expectoration. La coloration des expectorations avec ou sans mal-être général n’est pas associée avec une guérison plus rapide avec un traitement antibiotique.

Financement

6th Framework Programme of the European Commission ; Wales Office for Research and Development ; les sponsors n’ont joué aucun rôle dans l’élaboration et le suivi de cette étude.

 

Conflits d’intérêt

2 parmi les 18 auteurs déclarent avoir reçu des honoraires de différentes firmes pharmaceutiques à titres divers ; 1 auteur est impliqué dans des projets/études financés par l’industrie pharmaceutique.

 

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette publication présente une réanalyse d’une étude d’observation prospective de la présentation, du traitement et du pronostic d’une toux aiguë dans une recherche importante effectuée en première ligne de soins dans 13 pays européens (4). Cette étude est effectuée dans la pratique quotidienne. Les médecins généralistes participants optent pour un traitement déterminé en fonction de leur jugement clinique, sans avoir recours à des examens techniques. Les expectorations sont caractérisées sur base des déclarations du patient. Cette démarche peu objective et peu contrôlée est d’une part une faiblesse mais d’autre part représentative de la pratique. Le suivi des patients est assuré via un questionnaire validé des symptômes complété par les patients. Une précédente RCT (5) avait montré la capacité de ce questionnaire de détecter les modifications et différences de changement. Cette étude-ci montre en outre une très bonne correspondance entre le score symptomatique complété par le patient et le jugement du médecin concernant l’état général du patient. L’évolution des symptômes n’est pas évaluée par le médecin prescripteur du traitement, ce qui élimine une source importante de biais. Le suivi est très bon : enregistrement presque complet par les médecins et 80% des patients remettant leur journalier complété. Les auteurs mentionnent cependant que les données sont insuffisantes pour atteindre une puissance permettant de montrer une différence dans le choix du traitement. Un protocole d’observation ne permet également pas de tirer des conclusions robustes sur l’efficacité des antibiotiques. Environ la moitié des patients ont reçu une prescription d’antibiotique mais nous ne savons pas lequel ni s’il a été effectivement pris. L’importante hétérogénéité de la population incluse est également un problème. Les auteurs ont cependant analysé les facteurs confondants possibles tels qu’une comorbidité respiratoire (asthme et BPCO) ; pour ce groupe de patients avec BPCO, ils ont effectué une analyse de sensibilité.

 

Mise en perspective des résultats

Cette étude montre donc que des adultes qui consultent leur médecin généraliste pour une toux aiguë ou une suspicion d’infection des voies respiratoires inférieures reçoivent plus fréquemment une prescription d’antibiotique si leurs crachats sont colorés, observation déjà précédemment publiée : en cas d’infection respiratoire, les médecins prescrivent 2 à 4 fois plus d’antibiotiques en cas de présence d’expectorations (6) ou d’expectorations colorées (7-10).

Une précédente analyse de la même étude a montré l’absence de différence cliniquement pertinente dans la guérison de l’affection en fonction de la prescription ou non d’antibiotique chez des patients avec toux aiguë ou suspicion d’infection des voies respiratoires inférieures (4). D’autres RCTs avaient aussi montré que les antibiotiques n’influençaient pas plus l’amélioration clinique qu’un placebo (11). Cette analyse-ci apporte un élément supplémentaire : la prescription d’un antibiotique ne modifie pas le rétablissement de patients avec des expectorations colorées et/ou état général altéré. La co-existence d’un asthme ou d’une BPCO ne modifie pas les résultats, mais l’analyse de ce dernier sous-groupe manque probablement de puissance. Cette étude suggère que des expectorations colorées ne peuvent pas être associées à une origine bactérienne. Elle confirme ainsi la faible spécificité (46% avec IC à 95% de 3,8 à 79) de crachats colorés pour montrer une présence bactérienne (12).

 

Conclusion de Minerva

Cette étude d’observation montre que la prescription d’antibiotiques chez des adultes avec toux aiguë ou suspicion d’infection des voies respiratoires inférieures et avec des crachats colorés et altération de l’état général n’est pas associée à une guérison plus rapide.

 

Pour la pratique

Dans la RBP belge concernant la toux aiguë (13), aucune distinction n’est faite entre toux productive et non productive. Après exclusion d’une pneumonie, la prescription d’un antibiotique ne modifie pas la durée de la toux (productive) ou l’incapacité de travail ou d’autres activités. Sauf chez des patients immunocompromis, les avantages possibles d’une telle prescription ne contrebalancent pas ses inconvénients (effets indésirables, survenue de résistance). La RBP plaide pour une exploration correcte des attentes du patient, sa réassurance, son information quant à la cause et à la durée des plaintes et, si c’est le cas, le motif de non nécessité d’un antibiotique. L’étude analysée ici, effectuée chez des patients avec toux aiguë (99,8% des inclus) ou suspicion d’infection des voies respiratoires inférieures ne remet pas ces recommandations en question. Cette étude ne permet pas de conclusion quant à l’importance de la présence de crachats colorés chez des patients avec BPCO. La RBP de la BAPCOC sur les exacerbations aiguës de BPCO (14) précise qu’une antibiothérapie est à réserver aux patients fort malades, ou avec détérioration ou absence d’amélioration après 4 jours malgré un respect optimal de la bronchodilatation et corticothérapie éventuelle.

 

 

Références

  1. Hummers-Pradier E, Pelz J, Himmel W, Kochen MM. Treatment of respiratory tract infections – a study in 18 general practices in Germany. Eur J Gen Pract 1999;5:15-20.
  2. Cals JW, Boumans D, Lardinois RJ, et al. Public beliefs on antibiotics and respiratory tract infections : an internet-based questionnaire study. Br J Gen Pract 2007;57:942-7.
  3. Morice AH, McGarvey L, Pavord I; British Thoracic Society Cough Guideline Group. Recommendations for the management of cough in adults. Thorax 2006;61(Suppl1):i1-i24.
  4. Butler CC, Hood K, Verheij T, et al. Variation in antibiotic prescribing and its impact on recovery in patients with acute cough in primary care: prospective study in 13 countries. BMJ 2009;338: b2242.
  5. Little P, Rumsby K, Kelly J, et al. Information leaflet and antibiotic prescribing strategies for acute lower respiratory tract infection – a randomized controlled trial. JAMA 2005;293:3029-35.
  6. Coenen, Michiels B, Renard D, et al. Antibiotic prescribing for acute cough: the effect of perceived patient demand. Br J Gen Pract 2006;56:183-90.
  7. Fischer T, Fischer S, Kochen MM, Hummers-Pradier E. Influence of patient symptoms and physical findings on general practitioners' treatment of respiratory tract infections: a direct observation study. BMC Fam Pract 2005;6:6.
  8. Akkerman AE, Kuyvenhoven MM, van der Wouden JC, Verheij TJ. Determinants of antibiotic overprescribing in respiratory tract infections in general practice. J Antimicrob Chemoth 2005;56:930-6.
  9. Gonzales R, Barrett PH, Steiner JF. The relation between purulent manifestations and antibiotic treatment of upper respiratory tract infections. J Gen Intern Med 1999;14:151-6.
  10. Dosh SA, Hikner JM, Mainous AG, Ebell MH. Predictors of antibiotic prescribing for nonspecific upper respiratory infections, acute bronchitis and acute sinusitis. An UPRNet study. Upper Peninsula Research Network. J Fam Pract 2000;49:407-14.
  11. Coenen S. Antibiotica voor acute hoest bij volwassenen? Minerva 1999;28(4):1974-76.
  12. Altiner A, Wilm S, Däubener W, et al. Sputum colour for diagnosis of a bacterial infection in patients with acute cough. Scand J Prim Health 2009;27:70-3.
  13. Coenen S, Van Royen P, Van Poeck K, et al. Acute hoest. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering. Domus medica 2002; herziening 2011.
  14. Elinck K, Vints A, Sibille Y, Gérard B. prise en charge des exacerbations aiguës de BPCO en pratique ambulatoire. BAPCOC 2009.
Expectorations colorées : un motif d’antibiothérapie ?

Auteurs

Poelman T.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent
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