Revue d'Evidence-Based Medicine



Planification de soins personnalisés en cas de maladie chronique ?



Minerva 2015 Volume 14 Numéro 10 Page 124 - 125

Professions de santé


Analyse de
Coulter A, Entwistle VA, Eccles A, et al. Personalised care planning for adults with chronic or long-term health conditions. Cochrane Database Syst Rev 2015, Issue 3.


Question clinique
Quel est l’effet de la planification de soins personnalisés versus la prise en charge habituelle sur les critères cliniques à long terme chez les patients qui présentent une pathologie chronique ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique, d’une excellente qualité sur le plan méthodologique, montre, sur la base d’un nombre limité d’études hétérogènes, que la planification de soins personnalisés, versus la prise en charge habituelle, conduit à une petite amélioration des critères de jugement physiques et psychiques chez les patients atteints d’une affection chronique, principalement de diabète sucré. L’effet sur l’état de santé subjectif et sur les capacités d’autonomie n’est pas clairement démontré. Etant donné le petit nombre d’études, il est impossible de déterminer quelles interventions sont les plus efficaces pour quels patients.


Contexte

La forte augmentation des maladies chroniques représente actuellement un grand défi pour la santé publique à l’échelle mondiale (1). L’actuel système des soins de santé, qui est principalement axé sur la réponse à la demande de soins aigus, ne correspond pas bien aux besoins des patients, de plus en plus nombreux, qui souffrent d’une pathologie chronique. Dans le « Chronic Care Model » le patient est informé et activement impliqué, et il reçoit une place centrale dans le processus de soins. Il est soutenu par une équipe de première ligne performante et proactive pour développer et mettre en œuvre une planification personnalisée des soins. Les patients mieux informés, plus impliqués dans les décisions concernant leur prise en charge et mieux éduqués à gérer leur maladie verraient en effet leur état de santé subjectif et leur qualité de vie s’améliorer (2). On ignore toutefois dans quelle mesure l’effet de cette planification de soins personnalisés est étayé par des études sérieuses.

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

 

Sources consultées

  • Cochrane Central Register of Controlled Trials (CENTRAL), MEDLINE, EMBASE, PsycINFO, ProQuest, clinicaltrials.gov, WHO International Clinical Trials Registry Platform, jusque juillet 2013

  • les listes des articles et des synthèses identifiés.

 

Études sélectionnées

  • 16 RCTs et 3 études cliniques avec randomisation par grappe incluant des patients adultes (≥ 18 ans) présentant au moins une affection chronique (définie comme une maladie de longue durée à progression généralement lente) ; intervention consistant à favoriser la collaboration entre patient et médecin dans le but de déterminer les objectifs de traitement et élaborer un plan d’action ; interventions axées sur le patient, sur le médecin ou à la fois sur le patient et le médecin
  • exclusion des études dans lesquelles les patients n’étaient pas impliqués activement dans la détermination des objectifs de traitement et dans l’élaboration d’un plan de traitement, d’un plan de soins ou d’un plan de soutien ainsi que des études qui étaient axées exclusivement sur l’éducation en groupe et sur une programmation précoce des soins.

 

Population étudiée

  • 10856 patients adultes (32 à 5599 par étude) atteints de diabète sucré (N = 12), de problèmes de santé mentale (N = 3), d’insuffisance cardiaque (N = 1), d’insuffisance rénale terminale (N = 1), d’asthme (N = 1) ou différentes affections chroniques (N = 1) ; 16 études ont été menées en première ligne.

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : effet de la planification de soins personnalisés sur la santé physique, sur la santé mentale, sur l’état de santé subjectif comprenant la qualité de vie liée à la santé et sur les capacités de gestion des problèmes de santé (auto-efficacité, connaissances, autonomisation...)
  • critères de jugement secondaires : effet sur le comportement lié à la santé, utilisation des soins de santé et coûts de la santé, effets indésirables
  • analyse de sous-groupes pour la durée de l’étude, la multimorbidité et l’apprentissage de la santé
  • analyse de sensibilité pour la qualité des études
  • méta-analyse en modèle d'effets fixes.

 

Résultats

  • effet sur la santé physique versus la prise en charge habituelle (N = 11) :
    • diminution plus importante de l’HbA1c après 6 ou 12 mois (DM de - 0,24% ; IC à 95% de - 0,35 à - 0,14) (N = 9 études ; n = 1916 participants)
    • diminution plus importante de la pression artérielle systolique (DM de - 2,64 mmHg ; IC à 95% de - 4,47 à - 0,82) (N = 6 ; n = 1200) ; après exclusion des études à haut risque de biais, la diminution n’était plus statistiquement significative
    • pas de différence quant à la diminution de la pression artérielle diastolique (N = 4 ; n = 751), du LDL cholestérol (N = 5 ; n = 1545) et du BMI (N = 4 ; n = 822)
  • effet sur la santé mentale versus la prise en charge habituelle (N = 7) :
    • diminution plus importante du score de dépression (DMS de - 0,36 ; IC à 95% de - 0,52 à - 0,20) (N = 5 ; n = 599)
    • moins de patients présentant une dépression majeure (OR de 2,94 ; IC à 95% de 1,36 à 6,34) (N = 1 ; n = 886)
  • effet sur l’état de santé subjectif (N = 10) : pas d’effet sur la qualité de vie globale mesurée au moyen du SF-36 (N = 3 ; n = 345), ni sur l’état de santé spécifique à la maladie (N = 4 ; n = 1330)
  • effet sur les capacités de gestion des problèmes de santé (N = 9) : effet plus important sur l’auto-efficacité (DMS de 0,25 ; IC à 95% de 0,07 à 0,43 (N = 5 études)
  • effet sur le comportement lié à la santé (N = 10) : pas d’effet sur l’exercice physique (N = 6) ni sur le régime alimentaire (N = 4) ; une petite amélioration de l’observance dans 3 des 5 études ; un plus grand nombre d’activités de soins autonomes (surveillance de la pression artérielle et de la glycémie), (DMS de 0,35 ; IC à 95% de 0,17 à 0,52)
  • un plus grand nombre d’objectifs thérapeutiques personnels atteints (N = 4)
  • pas de preuve de rentabilité (N = 3)
  • pas de différence quant aux effets indésirables (N = 1)

                 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que la planification de soins personnalisés, versus la prise en charge habituelle, conduit à une amélioration d’un certain nombre d’indicateurs sur le plan de la santé physique et de la santé mentale et renforce les capacités d’autonomie. Il s’agit d’effets restreints, mais qui paraissent plus importants si l’intégration de l’intervention dans les soins quotidiens est meilleure, plus large et plus intense.

Financement de l’étude

Département du Health Policy Research Programme, Royaume-Uni.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Le premier auteur est consultant pour Informed Medical Decisions Foundation, une division de Healthwise, qui est un diffuseur mondial, sans but lucratif, d’informations sur la santé.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration répond à tous les critères de qualité sur le plan méthodologique. La sélection des articles a été très bien décrite et a été effectuée par 3 auteurs indépendants. Deux auteurs indépendants l’un de l’autre ont évalué le risque de biais des études incluses et ont extrait les données. Ils ont aussi tenté de demander aux auteurs les données manquantes. Sur un site Web sécurisé, un groupe de 6 patients, atteints d’une affection chronique, a donné un avis sur le protocole, sur le choix des critères de jugement et sur l’interprétation des résultats obtenus. 11 des 19 études décrivent une randomisation correcte et le secret d’attribution a été préservé pour 8 d’entre elles. Étant donné la nature des interventions, il a été impossible de maintenir l’insu pour les patients et pour les médecins. Toutefois, dans 9 études, l’évaluation a été effectuée en aveugle. Dans la plupart des études, le pourcentage de sorties d’étude était peu élevé, et le risque de biais de migration était donc faible. Seules 2 études avaient un risque faible de biais de notification parce que le protocole avait déjà été publié auparavant.

 

Interprétation des résultats

Lorsque l’on compare l’introduction de l’article avec les résultats finaux, on constate que les études sélectionnées ne répondent pas tout-à-fait au protocole d’étude. Dans leur introduction les auteurs font référence au défit spécifique de la comorbidité. Ils n’ont finalement identifié qu’une étude chez des patients avec comorbidité et ils ont surtout inclus  des études avec des patients atteints de diabète sucré. Ce qui illustre bien le manque d’études qui évaluent des patients souffrant de multiples maladies chroniques. Les résultats mettent plutôt l’accent sur quelques critères de jugement standardisés, comme la glycémie, la pression artérielle systolique et du BMI. Bien que les auteurs déclarent dans leur introduction que les soins pour les patients atteints de (multiples) maladies chroniques soient dans l’idéal individualisés au lieu d’être concentrés sur la maladie et que nous devions surtout viser les objectifs personnels des patients, cette synthèse méthodique évalue finalement surtout des critères de jugement physiques (avec toutefois des résultats qui ne sont pas cliniquement pertinents). Dans une étude classique, les critères de jugement individualisés sont plus difficiles à gérer d’un point de vue méthodologique que les critères de jugement standardisés, ce qui peut expliquer l’orientation de cette synthèse méthodique  vers des critères de jugement standardisés plutôt qu’individualisés. Nous l’avons déjà mentionné dans un précédent éditorial de Minerva (3). Cette étude illustre cette thèse. Les auteurs ont raté une opportunité d’évaluation, ils ont considéré les effets positifs sur le critère de jugement « atteindre les objectifs personnels » (mesuré dans 4 des 19 études avec des instruments divers), comme des résultats secondaires et ils ne les ont pas mentionnés dans le résumé complet, ni dans l’abstract de cette synthèse méthodique.

Que nous apprend cette synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration? 15 des 19 études ont rapporté des effets positifs pour au moins un critère de jugement. 4 études n’ont montré aucun effet mais il s’agissait d’interventions de faible intensité, d’études dont la puissance était insuffisante ou  dont le suivi était insuffisant. Les interventions incluses forment un ensemble hétérogène. Elles sont axées sur les médecins, sur les patients ou à la fois sur les médecins et les patients. Elles sont réalisées par différents types de professionnels de la santé et sont souvent complétées par des interventions supplémentaires, telles que des brochures d’information et des séances de groupe. Comme le nombre d’études par critère de jugement était petit, il n’était pas possible de déterminer, au moyen d’analyses de sous-groupes, quelles interventions (axées sur le médecin et le patient ou seulement sur le patient, d’intensité importante ou faible) avaient plus ou moins d’effet.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique, d’une excellente qualité sur le plan méthodologique, montre, sur la base d’un nombre limité d’études hétérogènes, que la planification de soins personnalisés, versus la prise en charge habituelle, conduit à une petite amélioration des critères de jugement physiques et psychiques chez les patients atteints d’une affection chronique, principalement de diabète sucré. L’effet sur l’état de santé subjectif et sur les capacités d’autonomie n’est pas clairement démontré. Etant donné le petit nombre d’études, il est impossible de déterminer quelles interventions sont les plus efficaces pour quels patients.

 

Pour la pratique

La planification de soins personnalisés est un processus qui nécessite une collaboration entre le patient et l’intervenant. Ceux-ci doivent identifier les problèmes liés à la santé et en discuter pour, finalement, élaborer ensemble un plan d’approche avec des choix et des priorités (4). L’ensemble du processus peut se décomposer en 7 étapes : préparation (informer le patient de son état de santé et des possibilités de traitement), détermination des objectifs (indiqués par le patient), planification de l’action (le médecin donne des conseils pratiques pour atteindre les objectifs, éventuellement avec orientation vers un soutien externe), documentation (éventuellement dans un dossier partagé par le médecin et le patient), coordination (collaboration avec les autres prestataires de soins), soutien (par le biais de visites de suivi régulières) et évaluation (dont planification d’autres actions). Cette synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration étaye cette approche ciblée, mais, du fait du manque d’études, elle ne permet pas de déterminer quelles interventions entrent précisément en ligne de compte pour quels patients.

 

 

Références 

  1. UN Secretary General. Prevention and control of non-communicable diseases. Report of the Sixty–sixth session, May 2011 (accessed 16 January 2015).
  2. Schmittdiel J, Mosen DM, Glasgow RE, et al. Patient Assessment of Chronic Illness Care (PACIC) and improved patient-centered outcomes for chronic conditions. J Gen Intern Med 2008;23:77-80.
  3. Boeckxstaens P, De Maeseneer J, De Sutter A. Multimorbidité : d’une « prise en charge axée sur les problèmes » à une « prise en charge orientée vers des objectifs ». [Editorial] MinervaF 2013;12(4):40.
  4. De Jonghe M. Vers une individualisation des soins ou une prise en compte des objectifs de soins ? MinervaF 2013;12(7):79.

 

 




Ajoutez un commentaire

Commentaires