Revue d'Evidence-Based Medicine



Mécanisme d’action et bénéfice clinique, sans intermède



Minerva 2011 Volume 10 Numéro 8 Page 92 - 92

Professions de santé


 

 

Bouffées de chaleur

Jusqu’à la ménopause, les femmes présentent un risque cardiovasculaire moindre que celui des hommes du même âge. Suite à cette observation, par déduction physio(patho)logique, l’administration d’estrogènes en prévention cardiovasculaire a été étudiée dans les années 1960-75… même chez les hommes. Médicament vite abandonné chez les hommes au vu de ses effets indésirables, il s’est montré en partie favorable dans une étude de cohorte (mais avec patientes sélectionnées et à moindre risque que l’ensemble de la population), résultats contredits par d’autres observations (Framingham) … mises en doute par les convaincus des bienfaits des estrogènes. Dans l’étude HERS (1), l’administration d’estroprogestatifs à des femmes ménopausées n’a pas diminué leur morbimortalité malgré un effet favorable sur les valeurs lipidiques, avec une augmentation du risque coronarien à court terme (2).

 

 

Hypothèses : de l’ancien au nouveau

Cet épisode de l’histoire inachevée de la substitution hormonale de la ménopause illustre plusieurs limites et pièges dans la recherche/évaluation de nouveaux traitements. Sur base de réflexions physio(patho)logiques, indispensables à la progression de la médecine, ce sont des hypothèses et non des certitudes qui sont élaborées, avec la nécessité de vérifier dans des études cliniques bien construites l’intérêt de traitements basés sur ces hypothèses nouvelles qu’elles soient épidémiologiques ou de mécanisme d’action. Quelques exemples plus récents aident à comprendre cette nécessité.

 

Epidémiologie inverse

Les observations épidémiologiques ont bien montré le risque cardiovasculaire que représente une hypercholestérolémie dans le cadre d’autres facteurs de risque modifiables ou non. Des exceptions existent cependant. Nous l’avons déjà illustré, dans cette revue, pour les personnes fort âgées (3) : une cholestérolémie faible est associée à une mortalité accrue. Une étude de cohorte prospective récente (4) montre que chez des patients souffrant d’arthrite rhumatoïde, des taux bas de cholestérol total ou de LDL-cholestérol sont associés à un risque plus élevé de survenue d’événements cardiovasculaires. Ces observations pourraient inciter à remettre en cause l’intérêt de médicaments hypolipidémiants pour ces catégories de patients… mais ces nouvelles hypothèses demandent vérification.

 

Mécanisme d’action et effet inverse

Des études in vitro et chez l’homme ont montré que les acides gras ω6 et trans avaient un effet pro-inflammatoire et les ω3 une activité anti-inflammatoire. En se basant sur le fait qu’un phénomène inflammatoire joue un rôle important dans le cancer de la prostate, des auteurs ont fait l’hypothèse que des taux sanguins importants d’ω3 protégeaient du cancer de la prostate alors que des taux élevés d’ω6 devaient en augmenter le risque (5). En étudiant les taux sanguins de ces acides gras apportés par l’alimentation dans une partie importante (1 658 cas versus 1 803 contrôles) des patients de l’étude Prostate Cancer Prevention (n = 18 882 dont la moitié sous finastéride) (6), c’est patatras : le contraire de l’hypothèse est montré. Nouvelle illustration pour ne pas considérer un mécanisme physio(patho)logique et/ou sa mimétisation par un apport d’aliments/suppléments alimentaires et/ou d’un médicament comme nécessairement bénéfique.

 

Bénéfice intermédiaire et bénéfice global

Un pas supplémentaire peut être fait dans cette réflexion sur la transposition d’une hypothèse de mécanisme bénéfique à un effet clinique favorable. Dans nos premiers exemples à propos de la ménopause, nous avons montré qu’un bénéfice pour un critère intermédiaire ne signifiait pas, automatiquement, une plus-value en termes de prévention d’événements cardiovasculaires. Dans le prolongement d’une telle réflexion, songeons aux glitazones, initialement présentées comme d’un grand intérêt, entre autres grâce à leur nouveau mécanisme d’action. Elles diminuent l’HbA1c, mais toujours sans preuve d’une diminution des complications du diabète. Sont apparus ensuite les effets indésirables : prise de poids, risque de fractures augmenté, risque cardiovasculaire (rosiglitazone), cancers des voies urinaires (pioglitazone). La rosiglitazone a été rétirée du marché, l’AMM de la pioglitazone a été retirée en France mais non en Europe ; la balance bénéfice/risque n’est-elle pas réglée de la même façon dans différents pays ? Qu’en sera-t-il dans quelques années des gliptines, avec un mécanisme d’action innovant, mais dont nous ignorons tellement d’autres choses ?

 

Entre mécanisme d’action (fût-il nouveau et a priori donc plus intéressant), critère intermédiaire favorable (même s’il est fortement généralement lié à des issues cliniques favorables) et bénéfice globalement positif pour des individus qui reçoivent des traitements dont l’intérêt repose sur des hypothèses initiales intéressantes, il reste un pas à accomplir, celui d’études rigoureuses et complètes, y compris pour l’évaluation des effets indésirables et des critères cliniques forts sur une population et une durée suffisantes.

 

 

Références

  1. Hulley S, Grady D, Bush T, et al (HERS). Randomized trial of estrogen plus progestin for secondary prevention of coronary heart disease in postmenopausal women JAMA 1998;280:605-13.
  2. Lemiengre M. Postmenopauzale hormonale substitutie en cardiovasculair risico. Minerva 2000;29(5):233-6.
  3. Boland B, Chevalier P. Les facteurs de risque cardiovasculaire sont-ils identiques chez les personnes âgées ? MinervaF 2010;9(8):89.
  4. Myasoedova E, Crowson CS, Kremers HM, et al. Lipid paradox in rheumatoid arthritis : the impact of serum lipid measures and systemic inflammation on the risk of cardiovascular disease. Ann Rheum Dis 2011;70:482-7.
  5. Brasky TM, Till C, White E, et al. Serum phospholipid fatty acids and prostate cancer risk: results from the prostate cancer prevention trial. Am J Epidemiol 2011;173:1429-39.
  6. Thompson IM, Goodman PJ, Tangen CM, et al. The influence of finasteride on the development of prostate cancer. N Engl J Med 2003;349:215-24.
Mécanisme d’action et bénéfice clinique, sans intermède

Auteurs

Chevalier P.
médecin généraliste
COI :

Glossaire

Code





Ajoutez un commentaire

Commentaires