Revue d'Evidence-Based Medicine



Contrôle tensionnel strict contre la néphroangiosclérose ?



Minerva 2011 Volume 10 Numéro 7 Page 86 - 87

Professions de santé


Analyse de
Appel LJ, Wright JT, Greene T, et al; AASK Collaborative Research Group. Intensive blood-pressure control in hypertensive chronic kidney disease. African-American Study of Kidney disease and hypertension. N Engl J Med 2010;363:918-29.


Question clinique
Le contrôle tensionnel strict permet-il de protéger la fonction rénale dans la néphroangiosclérose chez les patients afro-américains ?


Conclusion
Cette étude AASK incluant des afro-américains montre que le bénéfice rénal d’un contrôle tensionnel strict (<125/75 mmHg) n'est pas retrouvé dans la néphroangiosclérose. Des chiffres cibles <140/90 mmHg semblent aussi efficaces, à l'exception possible d'un sous-groupe de patients avec un rapport protéine/créatinine urinaire >0,22 (correspondant à une protéinurie détectable à la tigette). Ces données demandent confirmation dans des études avec protocole adéquat et dans d’autres types de population.


 

Contexte

La néphroangiosclérose compliquant l'hypertension artérielle est la seconde cause d'insuffisance rénale terminale aux USA et dans notre pays. Elle frappe 30% des patients en insuffisance rénale terminale (IRT) aux USA où elle est plus fréquente et plus sévère chez les afro-américains (1). Les études épidémiologiques montrent que l'hypertension est associée à une progression plus rapide de l'insuffisance rénale, quelle qu'en soit la cause. Le contrôle strict de la pression artérielle améliore le pronostic des néphropathies protéinuriques (>1 g/jour) (2). Qu'en est-il de la néphropathie vasculaire compliquant l'hypertension où la protéinurie est modeste ou absente ?

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 1094 patients hypertendus afro-américains de race noire atteints d'hypertension artérielle et d'insuffisance rénale (IR) ; âgés de 18 à 70 ans ; avec une filtration glomérulaire (clairance de l'iothalamate marqué à l'iode radioactif) de 20 à 65 ml/min ; 1/3 des patients avec protéinurie
  • critères d'exclusion principaux : diabète, rapport protéine/créatinine urinaire >2,5 (correspondant grossièrement à une protéinurie >2,5 g/24h) ou présence d'une cause identifiée à l'insuffisance rénale (en ce compris une sténose des artères rénales).

Protocole de l'étude

  • étude randomisée initiale (durant 5 ans) comparant deux niveaux tensionnels cibles : ≤92 mmHg de pression moyenne (correspondant à <125/75 mmHg) ou 102 à 107 mmHg de pression moyenne (correspondant à <140/90 mmHg) ; à l'intérieur de chaque groupe, randomisation du traitement hypotenseur principal entre ramipril, métoprolol et amlodipine 
  • étude de cohorte à l’issue des 5 premières années :
    • incluant 87 % des patients issus de la RCT
    • traités avec du ramipril (davantage néphroprotecteur pendant l'étude randomisée (2)) sauf intolérance
    • associé éventuellement à d'autres médications pour maintenir la pression artérielle en-dessous de 140/90 mmHg (avant 2004) puis en-dessous de 130/80 mmHg (à partir de 2004, pour se conformer aux guides de pratique américains mis à jour)
  • durée totale du suivi : 8,8 à 12 ans.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : progression de l'insuffisance rénale (doublement de la créatinine plasmatique initiale, IRT ou décès)
  • analyse des résultats pour la cohorte globale puis par sous-groupes définis (après la randomisation, donc sans stratification) par le niveau de la protéinurie (> ou ≤0,22 mg/mg de créatinine urinaire, limite correspondant grossièrement à une protéinurie >300 mg/24h, limite choisie arbitrairement par les auteurs après le début de l'étude mais avant d'avoir recueilli le moindre résultat).

Résultats

  • chiffres tensionnels
    • pendant la RCT : différence tensionnelle significative entre les deux traitements : 130/78 mmHg dans le groupe traitement intensif vs 141/86 mmHg dans le groupe contrôle
    • pendant le suivi de cohorte : pas de différence nette de la pression artérielle entre les groupes : 131/78 mmHg dans le groupe traitement intensif vs 134/78 mmHg dans le groupe contrôle
  • critère primaire : pas de différence significative entre les 2 groupes sur l’ensemble de l’étude : HR 0,91 ; IC à 95% de 0,77 à 1,08 ; p=0,27
  • sous-groupe des patients dont la protéinurie initiale était >0,2 mg/mg de créatinine urinaire : critère primaire amélioré sous traitement intensif : HR 0,73 avec IC à 95% de 0,58 à 0,93 et p=0,01 ; Nombre de Sujets à Traiter de 4 pendant 5 ans pour éviter un événement (doublement de la créatinine plasmatique, IRT ou décès).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les résultats de l’ensemble de l’échantillon ne montrent pas de bénéfice d’un contrôle intensif de la pression artérielle sur la progression de la pathologie rénale. Cependant, les effets d’un contrôle intensif de la pression artérielle peuvent être différents selon que les patients présentent ou non une protéinurie initiale.

 

Financement de l’étude

National Institute of Diabetes and Digestive and Kidney Diseases, National Center on Minority Health and Health Disparities, National Institutes of Health, King Pharmaceuticals ; médicaments fournis par différentes firmes pharmaceutiques qui ne sont intervenues à aucun des stades de l’étude.

Conflits d’intérêt des auteurs

Sur le site web : parmi les nombreux auteurs, 3 ne déclarent pas de conflits, plusieurs signalent des financements reçus par leur institution provenant de différentes firmes pharmaceutiques ; quelques rares signalent en plus des financements reçus à titre personnel.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette étude a un protocole complexe avec une première partie randomisée suivie par une étude de cohorte au cours de laquelle la quasi totalité des patients reçoivent le ramipril avec des niveaux tensionnels dans les deux groupes qui sont proches de celui du groupe intensif pendant la partie randomisée. Ce dessin contribue évidemment à minimiser le bénéfice éventuel du contrôle strict.

La randomisation n'ayant pas été stratifiée par rapport à la protéinurie, l'étude de sous-groupes basés sur la protéinurie doit être tenue pour une analyse a posteriori génératrice d'hypothèses mais ne permettant pas de conclusion définitive.

La puissance de l’étude RCT avait été fixée à 99% pour le critère primaire, réduction de la diminution de la filtration glomérulaire mais une différence significative n’avait pas été observée pour ce critère entre les 2 bras de traitement. A l’intérieur de chacun des bras d’étude, le ramipril s’était cependant montré supérieur à l’amlodipine et au métoprolol pour un critère secondaire composite (réduction de la filtration glomérulaire, des dialyses ou transplantations, des décès), d’où sa sélection unique pour l’étude de cohorte qui a suivi la RCT. 

Le critère de jugement primaire de l’étude de cohorte est différent de celui choisi pour la RCT et rien n’indique que l’échantillon de population de cette étude de cohorte autorisait une puissance d’étude suffisante pour le critère choisi.

 

Interprétation des résultats

A tous les moments de l'étude, la proportion des patients exposés au ramipril est la même dans le groupe intensif et dans le groupe contrôle : elle passe toutefois de 40 % pendant la partie randomisée de l'étude à plus de 80% pendant l'étude de cohorte. Le ramipril ne peut expliquer le bénéfice du contrôle strict de la pression artérielle observé chez les patients protéinuriques puisque les patients sont exposés à cette médication de la même façon dans les deux groupes. On peut en revanche se demander si un effet du contrôle tensionnel strict n'aurait pas été observé dans la population globale si l'usage des IEC y était resté de 40%

La néphroangiosclérose dont les patients sont censés être atteints n'est probablement pas une entité homogène : rien ne prouve que les mécanismes physiopathologiques en jeu soient les mêmes chez tous les patients.

L'étude AASK a été entreprise par le NIH en raison de controverses résultant du petit nombre de patient afro-américains inclus dans les études cliniques de prévention cardiovasculaire. Ses résultats posent le même problème en sens inverse : quelle est la généralisabilité de ses conclusions à l'ensemble des patients présentant une néphroangiosclérose ?

Mise en perspective des résultats

La protection rénale fait appel dans la néphropathie diabétique et dans les néphropathies glomérulaires au contrôle tensionnel strict et à l'usage des médicaments bloqueurs du système rénine-angiotensine. C'est ainsi que l'on recommande de viser une pression artérielle inférieure à 130/80 mmHg en cas de néphropathie chronique et de viser une cible plus basse (<125/75 mmHg) si la protéinurie est >1 g/24h (3,4).

 Le bénéfice rénal obtenu dans les néphropathies protéinuriques pourrait ne pas se voir dans la néphroangiosclérose. Il n'est pas impossible qu'en l'absence de protéinurie et en cas de lésions vasculaires rénales extensives comme dans la néphroangiosclérose, le bénéfice de la réduction de la protéinurie n'apparaisse pas et que les modifications hémodynamiques rénales ne conduisent pas à une diminution progressive de la filtration glomérulaire.

Comme mentionné plus haut (paragraphe considérations sur la méthodologie), la RCT initiale ne montrait pas de bénéfice d’un traitement intensif de la pression artérielle versus traitement moins intensif. Elle montrait cependant un bénéfice du ramipril versus amlodipine ou métoprolol dans cette population. Le mérite de l'étude AASK (RCT + cohorte) est de montrer dans la néphroangiosclérose - même s'il s'agit d'une population particulière - que le bénéfice rénal des IEC est préservé (conclusion de la partie randomisée de l'étude non revue ici) et qu'il n'y a pas d'effet rénal délétère d'un contrôle tensionnel strict. Ce contrôle strict n'apporte cependant aucun bénéfice sauf dans le sous-groupe des patients présentant une protéinurie >0,22 mg/mg de créatinine urinaire (protéinurie détectable à la tigette).

Il est possible que la protéinurie soit le reflet indirect d'un autre paramètre par exemple une pression capillaire glomérulaire excessive.

Même si la volonté de protéger le rein est louable, il ne faut pas oublier que ce qui guette les insuffisants rénaux, bien davantage que l'insuffisance rénale terminale, ce sont les complications cardiovasculaires. Jusqu'à présent, il n'y a pas de preuve que les stratégies néphroprotectrices de contrôle strict de la pression artérielle efficaces dans les néphropathies protéinuriques (>1g/24 h) aient conduit à une réduction des accidents cardiovasculaires. Certaines études suggèrent même qu'un abaissement excessif de la pression artérielle pourrait être délétère ce qui a amené l'ESH à une formulation plus prudente des objectifs tensionnels à atteindre (5).

 

Conclusion de Minerva

Cette étude AASK incluant des afro-américains  montre que le bénéfice rénal d’un contrôle tensionnel strict (<125/75 mmHg) n'est pas retrouvé dans la néphroangiosclérose. Des chiffres cibles <140/90 mmHg semblent aussi efficaces, à l'exception possible d'un sous-groupe de patients avec un rapport protéine/créatinine urinaire >0,22 (correspondant à une protéinurie détectable à la tigette). Ces données demandent confirmation dans des études avec protocole adéquat et dans d’autres types de population.

 

Pour la pratique

La RBP belge concernant l’hypertension (6) recommande de cibler des chiffres de pression artérielle de 130/80 mmHg chez les patients en insuffisance rénale sans protéinurie et des chiffres de 125/75 mmHg en cas de protéinurie (seuil recommandé <0,5 g/ 24 h) (GRADE 1B).

Cette étude AASK ne remet pas ces recommandations en cause.

 

Références

  1. Klag MJ, Whelton PK, Randall BL, et al. Endstage renal disease in African-American and white men: 16-year MRFIT findings. JAMA 1997;277:1293-8.
  2. Verpooten G.A. IEC et antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II : rénoprotecteurs ? MinervaF 2007;6(1):4-6.
  3. Sarnak MJ, Greene T, Wang X, et al. The effect of a lower target blood pressure on the progression of kidney disease: long-term follow-up of the modification of diet in renal disease study. Ann Intern Med 2005;142:342-51.
  4. Jafar TH, Stark PC, Schmid CH, et al; AIPRD Study Group. Progression of chronic kidney disease: the role of blood pressure control, proteinuria, and angiotensin-converting enzyme inhibition: a patient-level meta-analysis. Ann Intern Med 2003;139:244-52.
  5. Mancia G, Laurent S, Agabiti-Rosei E, et al; European Society of Hypertension. Reappraisal of European guidelines on hypertension management: a European Society of Hypertension Task Force document. J Hypertens 2009;27:2121-2158.
  6. De Cort P, Christiaens T, Philips H, et al. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering: Hypertensie. Huisarts Nu 2009;38:340-61.
Contrôle tensionnel strict contre la néphroangiosclérose ?

Auteurs

Pochet J.M.
Service de Néphrologie Clinique Ste Elisabeth Namur et CHU Mont-Godinne
COI :

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