Revue d'Evidence-Based Medicine



Tiotropium et BPCO : moins d'exacerbations ?



Minerva 2011 Volume 10 Numéro 6 Page 67 - 68

Professions de santé


Analyse de
Vogelmeier C, Hederer B, Glaab T, et al; POET-COPD Investigators. Tiotropium versus salmeterol for the prevention of exacerbations of COPD. N Engl J Med 2011;364:1093-103. (etude POET-COPD)


Question clinique
Chez des patients présentant une BPCO de sévérité au moins modérée (GOLD > ou = 2) et des exacerbations, le tiotropium prévient-il mieux les exacerbations que le salmétérol ?


Conclusion
Cette RCT aux limites méthodologiques non acceptables montre un bénéfice statistiquement significatif mais de pertinence clinique très douteuse pour le tiotropium versus salmétérol chez des patients souffrant de BPCO avec exacerbations.


 

Contexte

Les recommandations pour le traitement de la BPCO sont claires, suivant les stades (GOLD) de la pathologie, basées sur de très nombreuses évaluations (1). A partir du stade 2 de GOLD, les bronchodilatateurs sont recommandés. Les médicaments à longue durée d’action semblent plus faciles à utiliser, probablement de meilleure sécurité, mais aucune distinction ne pouvait être faite entre tiotropium (actuellement le seul anticholinergique à longue durée d’action) et les β2-mimétiques à longue durée d’action (LABA : salmétérol, formotérol, indacatérol) au point de vue efficacité, notamment pour la prévention des exacerbations (2,3). Une RCT récente remet cette observation en question.

 

Résumé

Population étudiée

  • 7 376 patients âgés d’au moins 40 ans (âge moyen de 63 ± 9 ans), BPCO de stade GOLD ≥ 2, avec tabagisme > 10 paquets-années (48% de fumeurs actuels, 38 à 39 paquets-années) ET au moins une exacerbation avec traitement par glucocorticoïdes systémiques ou antibiotiques ou hospitalisation dans l’année précédente ; 0,2 et 0,4% au stade GOLD I, 47,8% et 49,6% au stade GOLD II, 43,1% et 42,1% au stade GOLD III, 8,9% et 7,9% au stade GOLD IV ; BPCO depuis 8 ± 6,5 ans
  • critères d’exclusion : e.a. autre comorbidité pouvant influencer les résultats d’étude ou l’aptitude du patient à participer à celle-ci, asthme, obstruction pulmonaire à risque vital, mucoviscidose, tuberculose active, hyperplasie prostatique symptomatique (sauf si contrôlée par médicament), obstruction du col vésical, glaucome à angle aigu, infarctus du myocarde ou hospitalisation pour insuffisance cardiaque dans l’année précédente, arythmie cardiaque nécessitant un traitement médical ou chirurgical, pathologie cardiovasculaire sévère, insuffisance rénale (clairance de créatinine ≤ 50 ml/min), hypokaliémie non traitée, thyrotoxicose non traitée, diabète sucré instable, abus d’alcool ou de drogue, corticostéroïde systémique à dose non stable ou à une dose > 10 mg de prednisolone/j ou 20 mg 1j/2.

Protocole d’étude

  • étude randomisée, en double aveugle, double placebo, en groupes parallèles, multicentrique (725 centres), internationale (25 pays)
  • phase d’inclusion de 2 semaines : arrêt du tiotropium et passage à l’ipratropium (30% ; 29% déjà sous anticholinergique à courte durée d’action) arrêté à la randomisation ; poursuite du LABA habituel (52% des patients) ; LABA + corticostéroïdes inhalés (CSI) en association fixe (43-44%) devant être remplacés par un CSI seul en début de période d’intervention
  • puis randomisation et intervention : soit 18 µg tiotropium (Handihaler) 1x/j + placebo (PMDI) 2x/j, soit 50 µg salmétérol PMDI 2x/j + Handihaler placebo 1 x/j durant 12 mois (suivi à 2, 4, 8 et 12 mois), avec arrêt des anticholinergiques et des LABA inhalés mais poursuite des autres traitements
  • phase de suivi pour les effets indésirables durant 30 jours supplémentaires.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : délai pour la première exacerbation dans les 12 mois d’intervention
  • définition d’exacerbation : aggravation ou survenue de plus d’un symptôme de BPCO (toux, crachats, sibilance, dyspnée ou oppression thoracique) avec au moins un symptôme durant au moins 3 jours et amenant le patient à consulter un médecin pour initier un traitement avec des antibiotiques, des glucocorticoïdes systémiques et/ou les 2 (= exacerbation modérée) ou à une hospitalisation (= exacerbation sévère)
  • critères secondaires : 17 (mentionnés en annexe de la publication), concernant le délai de survenue de différents critères (exacerbation avec hospitalisation, modérée, etc.), le nombre de patients avec différents événements, le nombre de certains événements, et 6 critères de sécurité (dont les effets indésirables sérieux, les événements cardiaques majeurs, la mortalité)
  • analyse en intention de traiter modifiée (prise d’au moins 1 dose).

 

Résultats

  • moyenne de sorties d’étude de 16 et 18% (HR de 0,88 ; IC à 95% de 0,78 à 0,98 ; p=0,01)
  • critère primaire : non calculable pour l’ensemble au vu d’un nombre médian trop faible d’exacerbations (36% des patients) ; pour le premier quartile (au moins 25% des patients ont une exacerbation) : 187 jours versus 145 jours soit une différence de 42 jours, soit un HR de 0,83 ; IC à 95% de 0,77 à 0,90 ; p<0,001
  • critères secondaires :
    • nombre d’exacerbations par an (modérées ou sévères) : 0,64 versus 0,72 avec rapport de risque de 0,89 (IC à 95% de 0,83 à 0,96 ; p=0,002) ; réduction statistiquement significative des exacerbations modérées, sévères, avec recours à des glucocorticoïdes systémiques ou à des antibiotiques ou aux deux ; effets similaires pour les différents sous-groupes analysés
    • sécurité : pas de différence significative entre les deux traitements.
     

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que leurs résultats montrent que chez des patients atteints de BPCO modérée à sévère, le tiotropium est plus efficace que le salmétérol pour prévenir les exacerbations.

 

Financement de l’étude 

Firmes Boehringer Ingelheim et Pfizer qui commercialisent le tiotropium et qui sont intervenus à tous les stades de l’étude.

 

Conflits d’intérêt des auteurs 

3 des 7 auteurs sont ou ont été employés par Boehringer Ingelheim ; les autres déclarent avoir reçu des honoraires de différentes firmes à titres divers.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

La méthodologie de cette étude va du tiède au glacial. Pour une puissance de 80%, l’inclusion de 6 800 patients était nécessaire ; en fonction du nombre trop faible d’exacerbations survenues, le chiffre a dû être porté à 7 350 patients en cours d’étude. Le nombre restant trop faible, les analystes ont recouru à l’artifice de ne prendre que le premier quartile de patients (délai dans lequel au moins 25% font une exacerbation) … dans une population générale choisie parce qu’elle avait des exacerbations ! Le critère primaire prévu dans le protocole n’est donc pas respecté. Le nombre faible d’exacerbations observées reste aussi une des questions primordiales de cette étude, peut-être liée à une sélection des patients dans cette étude pléthorique en centres de recrutement (725) pour un nombre moyen faible d’inclusions (10 en moyenne par centre) et un nombre donc encore plus élevé de personnes jugeant des « exacerbations ». 

Le plus gros problème de cette étude est le caractère incorrect de la comparaison : tiotropium sans LABA mais avec β2-mimétiques à courte durée d’action (SABA) autorisés (= 2 types de bronchodilatateurs) versus salmétérol sans anticholinergique + SABA éventuel (= 1 type de bronchodilatateur). Nous pouvons y ajouter d’autres nombreuses limites : définition non classique des exacerbations favorisant les symptômes mieux jugulés par des bronchodilatateurs (dyspnée ou oppression thoracique), avec un avantage donc pour un traitement associant 2 types de bronchodilatateurs, patients sortis d’étude considérés comme n’ayant pas d’exacerbation (absence de « worst case scenario »), pas de correction statistique pour analyses multiples ; 53-54% des patients sous corticostéroïdes inhalés à l’inclusion, 42% en cours d’étude, sans explication de cet arrêt.

L’intervention de la firme produisant le tiotropium à tous les stades de l’étude a été soulignée.

Interprétation des résultats

Tous les patients ne sont inclus que s’ils présentent des exacerbations. Cependant, 10% des patients (selon les caractéristiques initiales) ne reçoivent aucun traitement à l’inclusion ce qui est fort étonnant ; s’agit-il de patients inclus 4 semaines après une exacerbation de BPCO et encore non traités (« naïfs ») ? Il serait intéressant de connaître les résultats pour ce groupe spécifique. Le salmétérol est délivré par aérosol pressurisé sans chambre d’expansion ce qui ne garantit pas une même déposition pulmonaire que celle obtenue avec le tiotropium (Handihaler, système déclenché par l’inspiration). Les auteurs donnent les résultats d’une analyse post hoc de sous-groupes selon l’utilisation ou non de CSI durant l’étude, et annoncent que le bénéfice du tiotropium est indépendant de l’utilisation ou non de CSI. Il n’y a pourtant pas de différence statistiquement significative entre les 2 groupes pour les patients sous CSI : HR 0,91 ; IC à 95% de 0,82 à 1,02 ; pas de valeur p donnée. L’analyse du bénéfice évoqué laisse perplexe : résultat limité au premier quartile et ne concernant pas l’ensemble de la population incluse pour le critère primaire. Pour la réduction absolue des exacerbations : 0,72 – 0,64 = 0,08 exacerbation par an en moins. Pour les exacerbations sévères, la RAR est de 0,04. La pertinence de telles différences semble fort faible.

Mise en perspective des résultats

Nous avons déjà présenté dans Minerva (2) une méta-analyse (3) préparatoire à des guides de pratique ne montrant pas de supériorité d’un bronchodilatateur par rapport à un autre. L’importante étude UPLIFT (4) publiée par après ne montrait pas de bénéfice statistiquement significatif du tiotropium versus placebo, pour l’évolution du VEMs ni pour le nombre de patients ayant au moins une exacerbation en moins (5). Une nouvelle méta-analyse (6) montrait (avec un biais de publication possible) un bénéfice (faible) du tiotropium versus placebo en termes de nombre d’exacerbations par année-patient et d’hospitalisations, mais sans bénéfice pour l’ensemble des 2 critères versus salmétérol (7).

Les auteurs de cette étude POET mentionnent que leur risque d’exacerbation (36%) est inférieur à celui d’autres études mais qu’il est similaire à celui de l’étude UPLIFT (4). Dans la publication de l’étude UPLIFT sur 4 ans, le nombre de patients avec exacerbation est de 67% sous tiotropium et de 68,2% sous placebo (p=0,35 pour la différence). Dans cette étude le tiotropium n’est pas statistiquement significativement plus efficace que le placebo en termes de réduction d’exacerbations sévères (avec hospitalisation).

La découverte récente de phénotypes différents pour la susceptibilité à faire des exacerbations partiellement indépendamment du stade GOLD de cette pathologie est un élément nouveau à intégrer dans les futures études pour l’évaluation de l’efficacité de traitements en termes d’exacerbations (étude ECLIPSE (8)).

 

Conclusion de Minerva

Cette RCT aux limites méthodologiques non acceptables montre un bénéfice statistiquement significatif mais de pertinence clinique très douteuse pour le tiotropium versus salmétérol chez des patients souffrant de BPCO avec exacerbations.

 

Pour la pratique

A partir du stade 2 de GOLD pour la BPCO, les bronchodilatateurs à longue durée d’action sont recommandés (1). Suivant la littérature EBM publiée, aucune distinction ne pouvait être faite entre tiotropium (actuellement le seul anticholinergique à longue durée d’action) et les β2-mimétiques à longue durée d’action (salmétérol, formotérol, indacatérol) au point de vue efficacité, notamment pour la prévention des exacerbations. La RCT POET au vu de ses limites méthodologiques aussi nombreuses qu’inacceptables ne remet pas ces recommandations en cause.

 

Références

  1. GOLD. The Global Initiative For Chronic Obstructive Lung Disease. Global strategy for the diagnosis, management, and prevention of chronic obstructive pulmonary disease: 2. NHLBI/WHO Workshop. Bethesda, MD: National Heart, Lung and Blood Institute; April 2001, updated 2010. www.goldcopd.com
  2. Chevalier P. Médicaments inhalés pour le traitement de la BPCO stable. MinervaF 2008;7(3):34-5.
  3. Wilt TJ, Niewoehner D, MacDonald R, Kane RL. Management of stable chronic obstructive pulmonary disease: a systematic review for a clinical practice guideline. Ann Intern Med 2007;147:639-53.
  4. Tashkin DP, Celli B, Senn S, et al; UPLIFT Study Investigators. A 4-year trial of tiotropium in chronic obstructive pulmonary disease. N Engl J Med 2008;359:1543-54.
  5. Chevalier P. Tiotropium et évolution du VEMs dans la BPCO. MinervaF 2009;8(3):26-7.
  6. Van den Bruel A, Gailly J, Neyt M. Does tiotropium lower exacerbation and hospitalization frequency in COPD patients: results of a meta-analysis. BMC Pulm Med 2010;10:50.
  7. Chevalier P. Tiotropium pour la BPCO. Minerva online 28/03/2011.
  8. Hurst JR, Vestbo J, Anzueto A, et al; Evaluation of COPD Longitudinally to Identify Predictive Surrogate Endpoints (ECLIPSE) Investigators. Susceptibility to exacerbation in chronic obstructive pulmonary disease. N Engl J Med 2010;363:1128-38.
Tiotropium et BPCO : moins d'exacerbations ?



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