Revue d'Evidence-Based Medicine



Fracture vertébrale ostéoporotique compressive : vertébroplastie ou traitement conservateur ?



Minerva 2011 Volume 10 Numéro 5 Page 56 - 57

Professions de santé


Analyse de
Klazen CA, Lohle PN, de Vries J, et al. Vertebroplasty versus conservative treatment in acute osteoporotic vertebral compression fractures (Vertos II): an open-label randomised trial. Lancet 2010;376:1085-92.


Question clinique
Quelle est la plus-value d’une vertébroplastie versus traitement antalgique optimal d’une fracture vertébrale ostéoporotique compressive chez des patients âgés de plus de 50 ans ?


Conclusion
Cette étude en protocole ouvert incluant des patients avec une fracture vertébrale compressive récente et fort douloureuse, avec douleur persistante, montre qu’une vertébroplastie ajoutée à un traitement conservateur réduit mieux la douleur après 1 mois et après 1 an que le traitement conservateur seul. La différence statistiquement significative observée est cependant cliniquement peu pertinente.


 

Contexte

Une étude a montré que chez des femmes ménopausées (âgées de 55 à 81 ans) et présentant une DMO ≤ -2,1 DS, un tiers seulement des nouvelles fractures vertébrales ostéoporotiques compressives observées radiologiquement s’accompagnait de symptômes cliniques (1). De telles fractures peuvent cependant entraîner de vives douleurs vertébrales durant des semaines ou des mois. Le traitement est généralement conservateur : repos couché, analgésiques, corset et kinésithérapie. Une vertébroplastie peut être une alternative. Elle consiste à injecter par voie transcutanée un ciment osseux dans la vertèbre fracturée pour stabiliser celle-ci. La plus-value de cette technique versus traitement antalgique optimal était insuffisamment évaluée.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 202 patients âgés en moyenne de 75 ans (ET 9), 69% de femmes, référés par leur médecin généraliste dans 6 hôpitaux hollandais ou belges pour radiographie vertébrale pour spondylalgie
  • critères d’inclusion : ≥ 50 ans, au moins 1 fracture vertébrale compressive avec perte de hauteur d’au moins 15%, située(s) sous la 5ème dorsale (comprise), œdème osseux à la RMN, densité minérale osseuse diminuée (T-score ≤ -1), douleur ≤ 6 semaines, score estimation de la douleur que vous éprouvez. Très douloureux -----Non douloureux.">EVA ≥ 5, douleur focale à l’examen clinique
  • critères d’exclusion : comorbidité cardiopulmonaire sévère, coagulopathie non traitable, infection systémique ou vertébrale locale, suspicion de cancer, syndrome radiculaire, syndrome de compression médullaire, contre-indication à la RMN.

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée, contrôlée, en protocole ouvert
  • intervention (n = 101) : vertébroplastie de la (des) vertèbre(s) fracturée(s), guidée par radioscopie, sous anesthésie locale (et IV complémentaire chez 30% des patients), avec contrôle post opératoire au CT scan
  • contrôle (n = 101) : pas de vertébroplastie
  • pour tous : analgésiques selon la stratégie par paliers de l’OMS, bisphosphonates oraux, suppléments calciques et de vitamine D
  • évaluation clinique : à la randomisation, au J1, à 1 semaine, à 1, 3, 6 et 12 mois
  • contrôle radiologique à 1, 3 et 12 mois (recherche de nouvelles fractures).

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : soulagement de la douleur à 1 mois, à 1 an, mesurée sur une échelle visuelle analogique (EVA) de 0 à 10 ; diminution ≥ 3 points jugée cliniquement pertinente
  • critère secondaire : différence en QALYs, coût/efficacité à 1 mois et à 1 an
  • critère tertiaire : qualité de vie au score Quality of Life Questionnaire of the European Foundation of Osteoporosis (QUALEFFO) et capacités physiques fonctionnelles au questionnaire Roland Morris Disability
  • analyse en intention de traiter, courbes de survie selon Kaplan-Meier.

 

Résultats

  • 81% des patients suivis à 1 an
  • critère primaire : voir tableau
    • diminution cliniquement pertinente de la douleur atteinte plus rapidement (29,7 jours vs 115,6) et pour davantage de patients avec la vertébroplastie
    • moins de consommation d’analgésiques dans le groupe vertébroplastie
  • critères secondaires
    • différence de QALY : 0,010 à 1 mois et 0,108 à 1 an en faveur de la vertébroplastie
    • coût/efficacité : ICER par QALY de 22 685 euro
    • pas de signalement d’effets indésirables.

 

Tableau. Scores à l’EVA à 1 mois et 1 an (IC à 95%) et différence entre les 2 groupes (IC à 95% et valeur p).

 

 

Vertébroplastie

n = 101

Pas de vertébroplastie

n = 101

Différence entre les 2 groupes

VAS à 1 mois

-5,2 (-5,88 à -4,72)

-2,7 (-3,22 à -1,98)

2,6 (1,74 à 3,37) ;  p<0,0001

VAS à 1 an

-5,7 (-6,22 à -4,98)

-3,7 (-4,35 à -3,05)

2,0 (1,13 à 2,80) ; p<0,0001

 

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que pour un sous-groupe de patients présentant des fractures vertébrales ostéoporotiques compressives avec douleur persistante, une vertébroplastie percutanée est efficace et sûre. Le soulagement de la douleur post vertébroplastie est immédiat, est maintenu pour au moins un an et est significativement supérieur à celui obtenu avec un traitement conservateur, à un coût acceptable.

 

Financement de l’étude

Cook Medical Company et ZonMw (Institution Hollandaise pour la recherche en soins de santé et l’innovation thérapeutique).

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Un total de 934 patients est recruté par leurs médecins généralistes pour cette étude mais seuls 202 sont finalement inclus. Parmi ceux qui n’ont pas été inclus, 229 présentaient une douleur sur EVA < 5 lors de la consultation chez l’interniste, 232 ont refusé de participer et 45 ont demandé spontanément une vertébroplastie. Les auteurs incluent donc une population sélectionnée de patients avec douleur importante et persistante (27 à 29 jours de douleur à la randomisation, vertébroplastie en moyenne 5,6 semaines après le début des symptômes). Les auteurs parlent à juste titre dans leur résumé d’un sous-groupe de patients. L’examen des caractéristiques initiales montre des différences nettes pour le type de fracture entre les 2 groupes : davantage de fractures concaves dans le groupe vertébroplastie. Nous ignorons si cette différence peut avoir influencé les résultats. Vu que l’intervention était chirurgicale, un double aveugle était difficilement possible. Un effet placebo étant possible, les résultats du groupe vertébroplastie peuvent avoir été positivement favorisés. Le traitement conservateur n’était pas, sauf pour l’analgésie, standardisé, et donc peut-être non optimal. Il n’est en tout cas pas précisé si de la kinésithérapie a été pratiquée et/ou un corset placé.

 

Mise en perspective des résultats

Cette étude montre l’efficacité d’une vertébroplastie peu invasive comme traitement de fractures ostéoporotiques compressives récentes dans un sous-groupe de patients avec douleur importante (score EVA > 5) et persistante. Une efficacité semblable serait-elle observée pour des fractures moins récentes ou s’accompagnant d’une moindre intensité de douleur ? L’amélioration de la douleur atteint le seuil défini comme cliniquement pertinent par les auteurs dans les 2 groupes à 1 an et sous vertébroplastie à 1 mois, mais la différence entre les 2 groupes n’atteint pas ce seuil de pertinence. La diminution de la douleur est plus rapide sous vertébroplastie et le bénéfice faible se maintient à 1 an. Cette observation est étonnante : une guérison de la fracture est également attendue après quelques mois sous traitement conservateur. Il est possible que certains patients de ce groupe contrôle aient développé une spondylalgie chronique en raison d’une guérison plus lente de la fracture. D’autres études devront préciser quelles fractures conduisent d’emblée à une guérison insuffisante ou à une douleur chronique.

 

Autres études

Une recherche dans la littérature effectuée par NICE en 2003 (2) mentionnait une synthèse méthodique publiée en 2001 et incluant 726 patients, mais publiée uniquement sous forme de résumé, ce qui la rend non fiable. Deux RCTs plus récentes comparent vertébroplastie et procédure factice en contrôle ; elles ne montrent pas de différence entre les groupes pour la réduction de la douleur après un et 6 mois (3,4). Dans ces 2 études, les patients comme les observateurs étaient en insu. Les résultats sont difficiles à interpréter : des patients ont été inclus avec des fractures subaiguës ou non récentes (jusqu’à un an) et un œdème osseux à la RMN n’a pas été systématiquement exigé comme critère d’inclusion.

La cyphoplastie est un procédé percutané semblable à la vertébroplastie : via l’aiguille, introduction d’un ballonnet dans le corps vertébral, dilatation de celui-ci avec éventuelle réduction partielle de la fracture, création d’une cavité dans le corps vertébral. Après le retrait du ballonnet, la cavité créée est remplie par du ciment (5). Les deux techniques ont été récemment comparées dans une méta-analyse (6). La vertébroplastie est significativement meilleure que la cyphoplastie sur le score EVA de la douleur mais la pertinence clinique de la différence observée (en moyenne 1 point) n’est guère certaine. Avec la vertébroplastie il y a significativement plus de nouvelles fractures et davantage de fuites de ciment. Ceci pourrait être lié au fait que la cyphoplastie restaure la hauteur du corps vertébral. Les conséquences d’une fuite de ciment peuvent être sévères : embolie pulmonaire si largage dans le système vasculaire, paraplégie en cas de fuite médullaire (7). Dans l’étude de Klazen analysée ici, une fuite asymptomatique de ciment hors corps vertébral est observée dans 72% des cas lors du CT scan de contrôle post opératoire.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude en protocole ouvert incluant des patients avec une fracture vertébrale compressive récente et fort douloureuse, avec douleur persistante, montre qu’une vertébroplastie ajoutée à un traitement conservateur réduit mieux la douleur après 1 mois et après 1 an que le traitement conservateur seul. La différence statistiquement significative observée est cependant cliniquement peu pertinente.

 

Pour la pratique

Un guide de NICE (2) sur les processus d’interventions recommande de ne recourir à une vertébroplastie que chez les patients présentant une douleur persistante malgré un traitement conservateur optimal (analgésiques, repos couché transitoire, corset). Le NHG-Standaard concernant l’ostéoporose (8) recommande au médecin généraliste de référer en seconde ligne les patients victimes d’une fracture vertébrale avec compression en cas de soulagement insuffisant de la douleur sous traitement médicamenteux et repos couché. L’étude analysée ici n’apporte pas d’élément probant remettant ces recommandations en cause.

 

Références

  1. Black DM, Cummings SR, Karpf DB, et al. Randomised trial of effect of alendronate on risk of fracture in women with existing vertebral fractures. Fracture Intervention Trial Research Group. Lancet 1996;348:1535-41.
  2. National Institute for Clinical Excellence. Percutaneous vertebroplasty. Interventional Procedures Consultation Document, September 2003.
  3. Kallmes DF, Comstock BA, Heagerty PJ, et al. A randomized trial of vertebroplasty for osteoporotic spinal fractures. N Engl J Med 2009;361:569-79.
  4. Buchbinder R, Osborne RH, Ebeling PR, et al. A randomized trial of vertebroplasty for painful osteoporotic vertebral fractures. N Engl J Med 2009;361:557-68.
  5. Fabeck L. Treatment of osteoporotic fractures. A new approach by vertebroplasty and kyphoplasty. Rev Med Brux 2008;29:317-22.
  6. Eck JC, Nachtigall D, Humphreys C, Hodges SD. Comparison of vertebroplasty and balloon kyphoplasty for treatment of vertebral compression fractures: a meta-analysis of the literature. Spine J 2008;8:488-97.
  7. Vigilance. Vertébroplasties : effets indésirables des ciments. Rev Prescr 2008;28:110.
  8. Elders PJ, Leusink GL, Graafmans WC, et al. NHG-Standaard Osteoporose (Eerste herziening). Huisarts Wet 2005;48:559-70.
Fracture vertébrale ostéoporotique compressive : vertébroplastie ou traitement conservateur ?



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