Revue d'Evidence-Based Medicine



Démence : soins centrés sur la personne et dementia-care mapping



Minerva 2011 Volume 10 Numéro 3 Page 34 - 35

Professions de santé


Analyse de
Chenoweth L, King MT, Jeon YH, et al. Caring for Aged Dementia Care Resident Study (CADRES) of person-centred care, dementia-care mapping, and usual care in dementia: a cluster-randomised trial. Lancet Neurol 2009;8:317-25.


Question clinique
Chez des personnes démentes institutionnalisées, existe-t-il des différences en termes d’efficacité sur les comportements et la qualité de vie entre des soins orientés sur la personne, le dementia-care mapping et les soins courants ?


Conclusion
Cette étude ne permet pas de conclure qu’une approche centrée sur le patient ou l’approche dementia-care mapping ait une efficacité cliniquement pertinente sur l’agitation et la qualité de vie de personnes démentes avec troubles comportementaux et institutionnalisées.


 

Contexte

Traditionnellement, l’exécution de tâches de soins est considérée comme centrale dans les soins quotidiens apportés aux patients. Ces soins sont dits orientés tâches. Depuis la fin du siècle dernier, une approche orientée vers la personne ou intégrale trouve sa voie dans les soins aussi bien à domicile qu’en institution. Le dementia-care mapping (difficile à traduire) fait référence à un processus d’implantation de soins orientés vers la personne. Le patient est observé individuellement systématiquement dans le but d’améliorer son bien-être général et ses soins. Cette approche exige une formation conséquente, exige du temps et est onéreuse. En outre, les évaluations de l’efficacité des soins orientés sur la personne ou dementia-care mapping en termes de qualité de vie des patients déments sont peu nombreuses (1-3).

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 324 résidants de 15 maisons de repos à Sydney (Australie) ; sélection de 15 maisons sur un total de 30, sur base de leur approche des soins ciblée sur l’orientation des tâches et sur leur similitude de structure de fonctionnement, de personnel soignant, de références et de taille ; sur les 682 résidants, 326 ont été sélectionnés par les responsables de leur établissement
  • critères d’inclusion : âge > 60 ans, démence, haute dépendance pour les soins, fonctions cognitives basses, trouble de comportement persistant mettant en péril la qualité des soins
  • critères d’exclusion : e.a. comorbidité sévère, soins palliatifs, douleur persistante et symptômes physiques préoccupants.

Protocole d’étude

  • étude avec randomisation en grappes (par institution ou par unité si plusieurs indépendantes)
  • 3 bras
    • approche de soins orientée patient : 2 jours de formation pour les soignants, avec soutien ultérieur via des visites dans l’institution et des contacts téléphoniques
    • care mapping : soignants formés à une approche orientée patient observant sous supervision un résidant durant 6 heures par jour puis établissant un plan de soins
    • soins courants = groupe contrôle
  • intervention d’une durée de 4 mois ; 4 mois de suivi ensuite.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : agitation mesurée sur l’échelle de Cohen-Mansfield Agitation Inventory (CMAI) (score global de 29 à 203)
  • critères secondaires : qualité de vie, sévérité des symptômes psychiatriques, évolution du processus démentiel, recours à des médicaments, chutes et autres incidents, analyse coût-efficacité.

Résultats

  • critère primaire: après 4 mois de suivi post 4 mois de traitement : score CMAI versus valeur initiale : -10,3 points pour l’approche orientée patient (p=0,01), -2,4 points pour le dementia-care mapping (p=0,77), +7,4 points sous soins courants (p=0,03) : différence moyenne au score CMAI versus soins courants respectivement de 13,6 points (IC à 95% de 3,3 à 23,9 ; p=0,01) et de 10,9 points (IC à 95% de 0,7 à 21,1 ; p=0,04)
  • critères secondaires
  • chutes : diminution significative avec le dementia-care mapping et augmentation significative avec les soins orientés patient
  • autres événements, qualité de vie, recours aux antipsychotiques : pas de différence significative.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que des soins centrés patient et le dementia-care mapping semblent réduire l’agitation chez des patients déments institutionnalisés.

 

Financement

Australian Health Ministers’ Advisory Council (Autorités)

 

Conflits d’intérêt

déclaration d’absence.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Les critères des institutions et des patients inclus sont clairement mentionnés. Le type d’intervention obligeait les auteurs à recourir à une randomisation par grappes. Après randomisation, des différences apparaissent entre les groupes e.a. pour le score CMAI mais les auteurs affirment avoir fait les corrections nécessaires. Pour mesurer l’agitation, critère primaire, les auteurs utilisent la large échelle CMAI, validée pour un diagnostic neuropsychiatrique (4) mais non pour le suivi d’une agitation. Les analyses sont effectuées de manière rigoureuse et fouillée, avec réponse claire aux questions de recherche et corrections pour différentes variables (institutionnelles ou individuelles).

 

Interprétation des résultats

Les auteurs insistent sur l’observation de scores CMAI significativement plus bas après 4 mois de suivi dans les 2 groupes non de soins courants versus soins courants. Les différences observées, de 11 et 14 points sur une échelle variant de 29 à 203 sont-elles pertinentes ? Les différences observées sont surtout liées à une augmentation de l’agitation dans le groupe contrôle. L’efficacité pré post du dementia-care mapping n’est pas statistiquement significative.

La sélection des maisons de repos entre autres sur le fait qu’elles ciblaient des soins orientés patient et le choix de patients déments avec troubles du comportement et haute dépendance pour des soins peuvent avoir amplifié l’efficacité des interventions. Pour avoir un reflet plus correct de l’impact de ces interventions, il faudrait les évaluer dans d’autres populations. Il est possible que chez des sujets nécessitant moins de soins et avec probablement moins de frustrations, des approches de soins individuels aient un impact moins ample. Au vu de la période limitée de suivi, nous ne savons pas comment vont évoluer les scores CMAI à plus long terme ni si le gain observé ne va pas progressivement s’estomper.

Cette étude montre un bénéfice des interventions pour le critère agitation mais également des résultats surprenants : davantage de chutes dans le groupe soins orientés patient, absence d’efficacité sur la qualité de vie pour les deux interventions évaluées versus contrôle. Les antipsychotiques sont une cause fréquente de chutes chez des personnes âgées (démentes) (5) ; dans cette étude-ci, les nouvelles interventions n’entraînent pas de diminution des prescriptions d’antipsychotiques, alors que c’est un but fréquent des interventions psychosociales. Ceci n’explique cependant pas l’augmentation du risque.

Le dementia-care mapping est une intervention particulièrement intensive par elle-même. Organiser les soins en fonction d’observations du patient est certainement un objectif noble. Les coordinateurs et les dispensateurs de soins sont formés et les observations elles-mêmes sont étroitement supervisées par les chercheurs. Cette présence forte des chercheurs sur le terrain est certainement une des caractéristiques de l’intervention, difficilement mesurable. Une implantation de ce modèle de soins dans la pratique doit comprendre non seulement une nécessaire formation mais aussi un soutien et une supervision pour obtenir l’efficacité ciblée. Cette étude se déroule en contexte institutionnel. D’autres études sont nécessaires pour évaluer la plus-value éventuelle de cette approche dans les soins à domicile.

 

Autres études

Les deux approches proposées dans cette étude, dementia-care mapping et soins orientés patient, avaient déjà fait l’objet d’évaluations, sans plus-value convaincante montrée. Une synthèse récente mentionne l’absence d’outil adéquat pour évaluer l’efficacité de cette approche de soins (6). La plupart des auteurs concluent donc également à la nécessité de davantage d’études comparatives fixant des critères de jugement adéquats et une durée d’intervention (et de suivi) suffisamment longue (7,8).

 

Conclusion de Minerva

Cette étude ne permet pas de conclure qu’une approche centrée sur le patient ou l’approche dementia-care mapping ait une efficacité cliniquement pertinente sur l’agitation et la qualité de vie de personnes démentes avec troubles comportementaux et institutionnalisées.

 

Pour la pratique

Le guide de pratique de NICE concernant la démence (9) insiste sur le recours à des soins centrés sur la personne chez les sujets déments, en premier lieu sur le respect de la personne démente. Les personnes atteintes de démence ont chacune leur histoire de vie. Elles réagiront différemment lors de leur régression cognitive, en fonction de leur bagage culturel et de leurs convictions religieuses. Assurer des soins auprès de personnes démentes demande une réelle interaction avec la personne même, avec sa famille et ses relations. Le guide de NICE ne fait aucune recommandation à propos du dementia-care mapping  ni à propos d’un inventaire des besoins individuels.

La présente RCT CADRES montre une efficacité à court terme, de pertinence clinique non déterminée, d’une approche centrée sur la personne ou d’une approche dementia-care mapping en institution, interventions coûteuses en temps, en personnel formé et donc en budget. D’autres évaluations, dans d’autres contextes, sur une durée plus longue, avec des critères de jugement valides, sont nécessaires avant de pouvoir formuler des recommandations.

 

 

Références

  1. Ballard C, Aarsland D. Person-centred care and care mapping in dementia. Lancet Neurol 2009;8:302-3.
  2. Chenoweth L, Jeon YH. Determining the efficacy of Dementia Care Mapping as an outcome measure and a process for change: a pilot study. Aging Ment Health 2007;11:237-45.
  3. Edvardsson D, Winblad B, Sandman PO. Person-centred care of people with severe Alzheimer's disease: current status and ways forward. Lancet Neurol 2008;7:362-7.
  4. Cohen-Mansfield J. Measurement of inappropriate behaviour associated with dementia. J Gerontol Nurs 1999;25:42-51.
  5. Moden B, Merlo J, Ohlsson H, Rosvall M. Psychotropic drugs and falling accidents among the elderly: a nested case control study in the whole population of Scania, Sweden. J Epidemiol Community Health 2010;64:440-6.
  6. Edvardsson D, Innes A. Measuring person-centered care: a critical comparative review of published tools. Gerontologist 2010;50:834-46.
  7. Gladman JR, Jones RG, Radford K, et al. Person-centred dementia services are feasible, but can they be sustained? Age Ageing 2007;36:171-6.
  8. Kuiper D, Dijkstra GJ, Tuinstra J, Groothoff JW. De invloed van Dementia Care Mapping (DCM) op moeilijk hanteerbaar gedrag van mensen met dementie en de arbeidstevredenheid van verzorgenden: een pilootstudie. Tijdschr Gerontol Geriatr 2009;40:102-12.
  9. National Institute for Health and Clinical Excellence. Dementia. Supporting people with dementia and their carers in health and social care. NICE clinical guideline 42, November 2006.
Démence : soins centrés sur la personne et dementia-care mapping

Auteurs

Schoenmakers B.
huisarts, Academisch Centrum voor Huisartsgeneeskunde, KU Leuven
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