Revue d'Evidence-Based Medicine



Diagnostic fiable de la goutte par le médecin généraliste ?



Minerva 2011 Volume 10 Numéro 3 Page 30 - 31

Professions de santé


Analyse de
Janssens HJ, Fransen J, van de Lisdonk EH, et al. A diagnostic rule for acute gouty arthritis in primary care without joint fluid analysis. Arch Intern Med 2010;170:1120-6.


Question clinique
Quelle est la précision d’un diagnostic clinique de l’arthrite goutteuse par le médecin généraliste versus mise en évidence de cristaux d’urate dans le liquide de l’articulation enflammée ? Existe-t-il un score prédictif fiable de diagnostic d’arthrite goutteuse chez un patient présentant une monoarthrite ?


Conclusion
Cette étude conclut à une augmentation probable (en théorie) de la précision du diagnostic de goutte par le médecin généraliste (modérée dans cette étude) en utilisant un modèle de prédiction utilisable en pratique de médecine générale avec mesure de l’uricémie.


 

Contexte

Selon les données de médecine générale en Flandre, l’incidence annuelle de goutte est de 406/100 000 hommes et de 127/100 000 femmes (1). Pour poser le diagnostic de crise de goutte, le médecin généraliste se base sur les symptômes et signes cliniques (2). La présence de cristaux d’urate dans le liquide de l’articulation enflammée est cependant le test admis comme référence (3). Quelle est la fiabilité de ce diagnostic par le généraliste ? Existe-t-il un score prédictif fiable, incluant les données cliniques (anamnèse, examen clinique) et les données biologiques pour établir le diagnostic d’arthrite goutteuse en cas de monoarthrite ?

 

Résumé

Population étudiée

  • 381 patients présentant des symptômes et signes de monoarthrite sur diagnostic de 93 médecins généralistes couvrant une population de 200 000 personnes dans la partie orientale des Pays-Bas
  • âge moyen de 57,7 ans (ET 13,6) ; 74,8% d’hommes.

Protocole d’étude

  • étude diagnostique prospective avec élaboration et évaluation d’un modèle prédictif
  • les médecins participants réfèrent vers un hôpital, sans communiquer immédiatement leur diagnostic précis, dans les 24 heures, tout patient présentant une monoarthrite
  • un rhumatologue attaché à cet hôpital enregistre tous les symptômes et signes cliniques, réalise une ponction articulaire avec recherche des cristaux d’urate ; les patients sans diagnostic étiologique précis sont suivis pendant au moins un an
  • test index : diagnostic clinique du médecin généraliste
  • test de référence : présence de cristaux d’urate intra-articulaires.

Mesure des résultats

  • sensibilité, spécificité, valeurs prédictives positives (VPP) et négatives (VPN), rapports de vraisemblance positifs (RVP) et négatifs (RVN) du diagnostic clinique du médecin généraliste
  • mise au point d’un modèle prédictif théorique grâce à une analyse en régression logistique uni et multivariée de 8 variables indépendamment statistiquement significativement prédictives
  • comparaison en courbe ROC entre ce modèle théorique et deux modèles “pour la pratique” ; choix du modèle “pour la pratique” le plus fiable.

Résultats

  • précision du diagnostic clinique du médecin généraliste versus présence de cristaux d’urate intra-articulaires : voir tableau 1
  • diagnostic clinique par le médecin généraliste : sensibilité de 97%, spécificité de 28%
  • VPP de 64% et VPN de 87%
  • RVP de 1,3 et RVN de 0,1
  • Force Probante de 1,3 ; Force Excluante de 10 
  • modèle pour la pratique le plus fiable (voir tableau 2) : ROC de 0,85 (IC à 95% de 0,81 à 0,90) ; pour un score ≥ 8, prévalence de goutte de 80,4%
  • présence d’un tophus : 100% de certitude diagnostique.

 

Tableau 1. Table à 2 x 2 contingences : diagnostic clinique de crise de goutte selon le médecin généraliste (test index) versus présence de cristaux d’acide urique dans le liquide intra-articulaire à la ponction initiale (test de référence).

381 patients avec monoarthrite

Cristaux d’urate intra-articulaires (216)

Pas de cristaux d’urate intra-articulaires (165)

Goutte selon le médecin généraliste (328)

209*

119

Pas de goutte selon le médecin généraliste (53)

7

46

* 7 patients avec diagnostic de goutte par le médecin n’avaient pas de cristaux d’urate lors d’une crise/ponction ultérieure.

 

Tableau 2. Modèle prédictif pour la pratique le plus fiable pour le diagnostic d’arthrite goutteuse.

 

Sexe masculin

 2,0

Anamnèse d’arthrite

 2,0

Survenue sur un jour

 0,5

Articulation érythèmateuse

 1,0

Atteinte de la 1ère articulation métatarso-phalangienne

 2,5

Hypertension ou ≥ 1 pathologie cardiovasculaire

 1,5

Acide urique sérique > 5,88 mg/dl

 3,5

Score maximal

13,0

(source: UMC St Radboud, Nederland: Gout calculator)

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que la validité du diagnostic d’arthrite goutteuse par les médecins généralistes est modérée dans leur étude. Ils proposent un modèle prédictif facile d’emploi sans nécessité d’une ponction articulaire.

Financement

Non mentionné.

Conflits d’intérêt

Non mentionnés.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette publication d’une étude diagnostique prospective inclut tous les éléments recommandés par le STARD-statement.

Les médecins généralistes ont recruté tous les patients présentant une monoarthrite dans une population de 200 000 habitants. Le choix d’une monoarthrite (avec exclusion d’oligo ou de polyarthrite) ne nuit pas à la validité interne de cette étude, le diagnostic de goutte étant très peu fréquent en cas d’oligo ou polyarthrite (4).

La publication ne mentionne pas si les médecins généralistes ont eu recours à une démarche diagnostique de goutte validée (test index). Tous les patients présentant une monoarthrite sont immédiatement référés et le diagnostic clinique du médecin généraliste n’est pris en considération qu’après le diagnostic hospitalier final, ce qui diminue le risque d’un biais d’information. Nous ignorons cependant si tous les patients référés se sont bien présentés à l’hôpital. Si ce n’est pas le cas, un biais de sélection est possible. La ponction et l’analyse du liquide articulaire (test de référence) sont réalisées par un rhumatologue (ou remplaçant) expérimenté. Ce choix de test de référence pour le diagnostic d’arthrite goutteuse prête à discussion, sa sensibilité n’étant pas de 100% comme l’illustre le fait que 7 patients ont une ponction/analyse initiale négative qui s’est positivée lors d’une nouvelle crise. Les patients dont la cause de monoarthrite n’était pas élucidée ont été suivis durant un an avec nouvelle ponction en cas de récidive, ponction qui, contrairement à la première, s’est montrée positive chez 7 patients. Selon notre recalcul, ces patients finalement identifiés comme patients avec goutte n’ont pas été inclus dans le calcul des sensibilité/spécificité ce qui est correct mais souligne bien la non précision à 100 % du test de référence (présence de cristaux d’urates à la ponction initiale) … et fausse indirectement l’estimation du test index, le diagnostic par le médecin généraliste : en considérant comme référence la présence de cristaux initialement ou ultérieurement, la sensibilité est pratiquement la même mais la spécificité diminue légèrement.

L’élaboration du modèle théorique (modèle 1 reprenant toutes les variables généralement acceptées sauf celles éliminées lors d’une régression logistique multivariée) est méthodologiquement correcte avec correction pour les données manquantes. La construction des modèles pour la pratique est plus arbitraire, en sélectionnant les paramètres les plus facilement disponibles en pratique clinique. Dans le modèle 2 sont repris : sexe masculin, anamnèse d’arthrite, survenue sur 1 jour, articulation érythémateuse, atteinte de la première articulation métatarso-phalangienne, hypertension ou présence d’au moins une pathologie cardiovasculaire. Dans le modèle 3 figurent les mêmes éléments + une uricémie > 5,88 mg/dl.

 

Mise en perspective des résultats

La fiabilité statistique des résultats donnés n’est pas contrôlable en l’absence de mention d’intervalles de confiance. La force excluante (calculée par Minerva) semble bonne pour le diagnostic clinique d’arthrite goutteuse par le médecin généraliste, en ce sens que celui-ci exclut donc correctement une monoarthrite goutteuse. Cette étude diagnostique est la première à développer un modèle prédictif clinique de diagnostic de goutte en pratique de médecine générale. Si le score est ≥ 8, un diagnostic de goutte est posé à tort chez 17% des patients (en incluant ceux qui n’auront une ponction positive que plus tard !). Ce pourcentage de faux positifs est cependant moindre que celui (34%) obtenu pour le diagnostic “courant” par les médecins participants. Aucun patient avec diagnostic erroné de goutte n’avait d’arthrite septique, ce qui est important en cas de traitement par corticostéroïde (5).

Cette étude-ci élabore un modèle avec des scores précis (voir tableau 2). Selon les auteurs, en cas de score ≤ 4, une arthrite goutteuse peut être exclue avec une fiabilité d’environ 100%. En cas de score ≥ 8 une arthrite goutteuse serait présente chez plus de 80% des patients avec monoarthrite. Pour un score situé entre 4 et 8, le risque est de 30%. (Texte déplacé)

Rappelons que pour les auteurs, la présence d’un tophus équivaut à 100% au diagnostic de goutte.

Les résultats de cette étude ne peuvent être extrapolés sans confirmation : les critères de diagnostic par le médecin généraliste ne sont pas évalués, et à l’hôpital, l’anamnèse, les examens cliniques et biologiques sont effectués par un seul chercheur. Les auteurs plaident eux-mêmes pour une évaluation de la validité externe de leur modèle dans d’autres populations.

 

Conclusion de Minerva 

Cette étude conclut à une augmentation probable (en théorie) de la précision du diagnostic de goutte par le médecin généraliste (modérée dans cette étude) en utilisant un modèle de prédiction utilisable en pratique de médecine générale avec mesure de l’uricémie.

 

Pour la pratique

Les rares guides de pratique concernant le diagnostic de la goutte (NHG-Standaard Artritis (2), CKS (6)) reprennent une série de caractéristiques (sexe masculin, âge moyen, adiposité), d’éléments anamnestiques (arthrite précédente, HTA et/ou pathologie cardiovasculaire, évolution favorable dans les 3 semaines), cliniques (monoarthrite, tophus, survenue de l’arthrite sur 1 jour) ou biologique (acide urique plus élevé) pour augmenter la probabilité du diagnostic d’arthrite goutteuse en cas de monoarthrite.

Cette étude-ci élabore un modèle reprenant ces différents éléments en y ajoutant des scores précis pour tenter d’exclure ou de confirmer (avec une probabilité de 80%) le diagnostic de goutte. Ce modèle doit encore être validé dans d’autres contextes et localisations et ne remet donc pas les recommandations actuelles en cause.

 

 

Références

  1. Bartholomeeusen S, Buntinx F, De Cock L, Heyrman J. Het voorkomen van ziekten in de huispraktijk. Resultaten van de morbiditeitsregistratie van het Intego-netwerk. Leuven: Academisch Centrum voor Huisartsgeneeskunde, 2001. www.intego.be
  2. Janssens HJ, Lagro HA, Van Peet PG, et al. NHG-Standaard Artritis. Huisarts Wet 2009;52:439-53.
  3. Zhang W, Doherty M, Pascual E, et al. EULAR evidence based recommendations for gout. Part I: Diagnosis. Report of a task force of the Standing Committee for International Clinical Studies Including Therapeutics (ESCISIT). Ann Rheum Dis 2006;65:1301-11.
  4. Lawry GV 2nd, Fan PT, Bluestone R. Polyarticular versus monoarticular gout:prospective, comparative analysis of clinical features. Medicine (Baltimore) 1988;67:335-43.
  5. Poelman T. Prednisolone pour la crise de goutte ? MinervaF 2009;8(8):112-3.
  6. NHS Clinical Knowledge Summaries. Gout. Making a diagnosis - How do I know my patient has it? Criteria for diagnosis.
Diagnostic fiable de la goutte par le médecin généraliste ?

Auteurs

Poelman T.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent
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