Revue d'Evidence-Based Medicine



Fosfomycine pour traiter la cystite ?



Minerva 2011 Volume 10 Numéro 3 Page 28 - 29

Professions de santé


Analyse de
Falagas ME, Vouloumanou EK, Togias A, et al. Fosfomycin versus other antibiotics for the treatment of cystitis: a meta-analysis of randomized controlled trials. J Antimicrob Chemother 2010;65:1862-77.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité de la fosfomycine versus autres antibiotiques ou antiseptiques urinaires dans le traitement d’une cystite non compliquée chez des enfants, des femmes enceintes et des adultes ?


Conclusion
Cette méta-analyse présente une hétérogénéité trop importante, ce qui ne permet pas de tirer des conclusions générales pour le traitement d’une cystite. Elle montre un intérêt possible de la fosfomycine versus autre antibiotique ou antiseptique urinaire chez la femme non enceinte, sans plus-value montrée. Pour les enfants, les femmes enceintes et les personnes âgées, les données sont insuffisantes.


 

Contexte

Une cystite est une infection bactérienne fréquente, plus particulièrement chez les femmes avant l’âge de 40 ans. Le germe le plus fréquemment identifié est l’Escherichia coli. L’apparition d’E. coli résistants aux fluoroquinolones ou producteurs de bêta-lactamases à large spectre (ESBL) incite à recourir, en première intention, à d’autres médicaments que les fluoroquinolones ou les bêta-lactames. La fosfomycine qui présente un large spectre et peut être administrée en une seule dose, a-t-elle une place aux côtés de la nitrofurantoïne macrocristalline et du triméthoprime recommandés en première intention chez la femme non enceinte ? A-t-elle une place en pédiatrie, chez la femme enceinte et en gériatrie ? Une méta-analyse récente tente de répondre à ces questions.

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyse

Sources consultées

  • bases de données : Pubmed, Scopus, Cochrane CENTRAL (recherche jusqu’en janvier 2010)
  • références des articles pertinents.

Etudes sélectionnées

  • RCTs incluant des patients de tout âge présentant une cystite sur suspicion clinique ou microbiologiquement documentée (CFU/ml >10 à la puissance 5), avec fosfomycine versus autre antibiotique
  • exclusion des études incluant des patients avec anomalies anatomiques ou fonctionnelles du tractus urinaire, autres facteurs prédisposant à une cystite compliquée, pyélonéphrite
  • études en anglais, français, espagnol ou turc.

Population étudiée

  • les études ont été regroupées en 4 «sous-populations» :
    • femmes non enceintes (N=16, à partir de 12, 16 ou 18 ans selon les études, avec parfois un âge maximal fixé à 65 ou 75 ans)
    • population mixte hommes/femmes (N=3, adultes, âgée dans 2 études dont une en hospitalisation)
    • femmes enceintes (N=5)
    • enfants uniquement (N=3, de 1 mois à 16 ans)
  • les comparateurs (en extrahospitalier) sont : différentes quinolones (acide pipémidique 5 à 7 j et 7 j, norfloxacine dose unique, 3 j, 5 j, 7 j et 5 à 7 j, péfloxacine dose unique, ciprofloxacine 3j), nitrofurantoïne 7 j, triméthoprime dose unique, cotrimoxazole dose unique, amoxicilline dose unique, amoxiclavulanate 5 j et 7j, céfalexine 5 j, céfuroxime 5 j, cefibuten 3 j, nétilmicine (aminoglycoside) dose unique.

Mesure des résultats

  • amélioration de la symptomatologie clinique (guérison et/ou amélioration)
  • éradication bactériologique (10 à la puissance 5)
  • rechute : après guérison, nouvel épisode avec le même germe (10 à la puissance 5)
  • réinfection : après guérison, nouvelle infection avec un autre germe (10 à la puissance 5), en majorité dans le mois post traitement.

Résultats

  • guérison clinique : fosfomycine versus tous les comparateurs (10 RCTs, 1 657 patients, femmes non enceintes et population mixte) : RR 1,00 (IC à 95% de 0,98 à 1,03) ; données insuffisantes chez les enfants et les femmes enceintes
  • pas de différence au point de vue éradication bactériologique, rechute, réinfection
  • profil de sécurité semblable versus comparateurs chez les femmes non enceintes, pour la population mixte et pédiatrique ; significativement moins d’effets indésirables chez les femmes enceintes (N=4) : RR 0,35 avec IC à 95% de 0,12 à 0,97.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que dans cette époque de résistance élevée aux médicaments, identifiée également pour les uropathogènes acquis en dehors de l’hôpital, la fosfomycine peut représenter une alternative valable pour traiter une cystite chez les femmes non enceintes, chez les femmes enceintes, chez des personnes âgées et chez des enfants.

Financement

Absence de financement spécifique.

Conflits d’intérêt

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette méta-analyse est, pour plusieurs aspects, bien élaborée : recherche dans plusieurs bases de données (mais pas EMBASE), prise en compte des études publiées en plusieurs langues (dont le turc, la Turquie étant un pays où la fosfomycine a été plus récemment introduite), sélection des études indépendamment par deux chercheurs, analyses de sensibilité. Elle présente cependant plusieurs limites. La qualité méthodologique des études est évaluée avec le score de Jadad, ce qui est insuffisant (Cochrane Handbook). Dans leur discussion les auteurs reconnaissent que la description du secret d’attribution est rarement mentionnée. L’analyse est très souvent enintention de traiter stricte : nécessité d’au moins une prise d’un médicament évalué, nécessité d’au moins une évaluation en cours d’étude, etc… Il s’agit alors d’une analyse en intention de traiter modifiée."> ITT modifiée (exclusion des sujets sans infection avec CFU<10 à la puissance 5 pour l’analyse, chiffre pouvant atteindre 40% des personnes randomisées et traitées) ce qui peut représenter une rupture de garantie de la randomisation (1). Limite encore plus importante : les auteurs incluent toutes les études dans leurs différentes méta-analyses, quelle que soit leur qualité, avec de nombreux scores de Jadad de 1 ou de 2. Seules 5 études ont un score d’au moins 3 et sont en double aveugle dont aucune chez les enfants ni pour la population « mixte » ni pour les femmes enceintes. Aucune analyse de sensibilité n’est faite spécifiquement pour ces 5 RCTs de bonne qualité en double aveugle. L’évaluation d’un critère subjectif (auto-évaluation des plaintes urinaires) sans double aveugle nous semble peu fiable. Les auteurs ne rapportent pas de recherche d’un biais de publication. L’hétérogénéité clinique des études incluses est très importante.

Interprétation des résultats

  • Femmes non enceintes

Pour les 5 études de bonne qualité concernant les femmes non enceintes, l’analyse des résultats montre la différence qui peut exister entre bactériologie et clinique. Par exemple dans l’étude la plus importante (749 patients (2)), comparant fosfomycine 1 x 3 g versus nitrofurantoïne 100 mg 1x/j pendant 7 j, si la sensibilité des germes est initialement plus grande pour la fosfomycine (94%) que pour la nitrofurantoïne (83%), l’éradication bactériologique 5 à 11 jours après l’initiation du traitement est de 78% sous fosfomycine et de 86% sous nitrofurantoïne (p=0,02). Pour les symptômes (guérison ou amélioration), il n’y a pas de différence (80% dans les 2 groupes). Pour les 4 études donnant des résultats pour le critère persistance des plaintes, aucune différence statistique n’est observée pour la fosfomycine versus comparateur (nitrofurantoïne 100 mg/j pdt 7 j, nitrofurantoïne 4 x 50 mg/j pdt 7 j, norfloxacine 2 x 400 mg/j pdt 7 j, norfloxacine 1 x 800 mg).

  • Personnes (plus) âgées

Pour les 3 études concernant les personnes « (plus) âgées », une concerne des patients hospitalisés, une deuxième des sujets de plus de 50 ans (15 hommes, 45 femmes) toutes deux avec un score de Jadad de 1, et la troisième concerne 65 patients âgés en moyenne de 45 à 50 ans (écarts de 17 à 78 ans) avec bactériurie significative.

  • Femmes enceintes et enfants

Pour les études concernant la grossesse et les enfants, les données ne permettent une méta-analyse que pour le seul critère éradication bactériologique. Pour la grossesse les 2 seules études de bonne qualité (score de Jadad de 3, 1 étude en ouvert) concernent la bactériurie asymptomatique. Il n’y a pas d’étude de bonne qualité en pédiatrie (3 études avec score de Jadad de 1).

La conclusion des auteurs affirmant que la fosfomycine peut représenter une alternative valable pour traiter une cystite chez les femmes enceintes, chez des personnes âgées et chez des enfants ne repose pas sur des données fiables sauf, peut-être, pour la bactériurie asymptomatique de la grossesse, seule situation dans laquelle un tel dépistage (avec traitement si présence) est recommandé (sauf avant une intervention urologique) (3).

Pour les effets indésirables, les mentions dans les études sont souvent insuffisantes.

Mise en perspective des résultats

Deux précédentes méta-analyses datant de 1991 (4) et 1999 (5) prises en compte dans la RBP belge (6) montraient une moindre efficacité d’un traitement minute versus traitement conventionnel d’une cystite. Une méta-analyse de la Cochrane Collaboration plus récente (7) concerne les infections urinaires basses chez la femme âgée et évalue l’efficacité en fonction de la durée du traitement. Aucune étude évaluant la fosfomycine ne peut être reprise concernant la persistance des plaintes (absence de guérison clinique) étant donné l’absence de données dans cette tranche d’âge. Sur les rares données concernant un arrêt de traitement pour effet indésirable, aucune différence n’est observée pour un traitement long versus dose unique. Les auteurs concluent que les résultats suggèrent une moindre efficacité des traitements dose unique versus traitements courts (3 à 6 jours) ou longs (7 à 14 jours) pour l’éradication bactériologique et qu’un traitement court est suffisant. Une étude plus récente (8), non incluse dans la méta-analyse de Falagas, compare fosfomycine (n=130) et ciprofloxacine 2 x 500 mg/j pdt 5 j (n=130). Pour les 55% de femmes dont les données sont analysées pour la rémission clinique, aucune différence statistique n’est observée entre les 2 groupes. Les auteurs de cette étude mentionnent une fréquence d’effets indésirables (sans doute sous-déclarés) sous fosfomycine de 6,8% (dans une étude reprise dans la présente méta-analyse) et de 26% (dans une méta-analyse de 19995).

L’intérêt potentiel de la fosfomycine dans les infections urinaires à E. coli ESBL ou à Pseudomonas aeruginosa ne peut être déduit de cette méta-analyse. Un intérêt potentiel dans cette indication ne justifie pas son utilisation en première intention.

Conclusion de Minerva

Cette méta-analyse présente une hétérogénéité trop importante, ce qui ne permet pas de tirer des conclusions générales pour le traitement d’une cystite. Elle montre un intérêt possible de la fosfomycine versus autre antibiotique ou antiseptique urinaire chez la femme non enceinte, sans plus-value montrée. Pour les enfants, les femmes enceintes et les personnes âgées, les données sont insuffisantes.

Pour la pratique

La RBP belge (6) recommande en première intention pour le traitement de la cystite chez la femme la nitrofurantoïne 3 x 100 mg et le triméthoprime 1 x 300 mg les deux pendant 3 j. Pour les femmes enceintes présentant une cystite, la recommandation est l’amoxicilline si la sensibilité est encore bonne ou éventuellement une céphalosporine de première génération avec une utilisation possible de la nitrofurantoïne si le risque d’infection des voies urinaires supérieures est faible. Il n’y a pas de recommandation spécifique pour les personnes âgées. La présente méta-analyse ne remet pas ces choix en cause.

 

Noms de marque

acide pipémidique : non disponible en Belgique (Ex Pipram®)

amoxicilline : Clamoxyl® et amoxicillines génériques

amoxiclavulanate : Augmentin® et amoxiclavulanates génériques

céfalexine : Keforal®

cefibuten : non commercialisé en Belgique

céfuroxime : Zinnat®, céfuroximes génériques

ciprofloxacine : Ciproxine® et ciprofloxacines génériques

cotrimoxazole : Bactrim®, Eusaprim® et Co-trimoxazole EG

fosfomycine : Monuril®

nétilmicine (aminoglycoside) : non commercialisé en Belgique

nitrofurantoïne : Furadantine MC®

norfloxacine : Zoroxin® et norfloxacine générique

péfloxacine : non disponible en Belgique (Ex Peflacine®)

triméthoprime : uniquement en prescription magistrale.

 

Références

  1. Chevalier P. Analyse en intention de traiter modifiée. MinervaF 2011;10(2):25.
  2. Stein GE. Comparison of single-dose fosfomycin and a 7-day course of nitrofurantoin in female patients with uncomplicated urinary tract infection. Clin Ther 1999;21:1864-72.
  3. Nicolle LE, Bradley S, Colgan R, et al; Infectious Diseases Society of America; American Society of Nephrology; American Geriatric Society. Infectious Diseases Society of America guidelines for the diagnosis and treatment of asymptomatic bacteriuria in adults. Clin Infect Dis 2005;40:643-54.
  4. Leibovici L, Wysenbeek AJ. Single-dose antibiotic treatment for symptomatic urinary tract infections in women: a meta-analysis of randomized trials. Q J Med 1991;285:43-57.
  5. Warren JW, Abrutyn E, Hebel JR, et al. Guidelines for antimicrobial treatment of uncomplicated acute bacterial cystitis and acute pyelonephritis in women. Infectious Diseases Society of America (IDSA). Clin Inf Dis 1999;29:745-58.
  6. Christiaens T, Callewaert L. Recommandations pour le bon usage des antibiotiques. La cystite chez la femme. WVVH – BAPCOC – SSMG 2001.
  7. Lutters M, Vogt-Ferrier NB. Antibiotic duration for treating uncomplicated, symptomatic lower urinary tract infections in elderly women. Cochrane Database Syst Rev 2008, Issue 3.
  8. Ceran N, Mert D, Kocdogan FY, et al. A randomized comparative study of single-dose fosfomycin and 5-day ciprofloxacin in female patients with uncomplicated lower urinary tract infections. J Infect Chemother 2010;16:424-30. 
Fosfomycine pour traiter la cystite ?



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