Revue d'Evidence-Based Medicine



Prévention thromboembolique post PTH : aspirine efficace ?



Minerva 2014 Volume 13 Numéro 5 Page 58 - 59

Professions de santé


Analyse de
Anderson DR, Dunbar MJ, Bohm ER, et al. Aspirin versus low-molecular-weight heparin for extended venous thromboembolism prophylaxis after total hip arthroplasty: a randomized trial. (EPCAT study). Ann Intern Med 2013;158:800-6.


Question clinique
Après la mise en place programmée d’une prothèse de hanche, après 10 jours de traitement par HBPM, l’aspirine est-elle efficace pour la prévention thromboembolique et sûre versus poursuite de cette HBPM, sur 28 jours de traitement ?


Conclusion
Chez des patients subissant la mise en place programmée d’une prothèse totale de hanche, cette RCT de puissance limitée montre que l’aspirine à la dose de 81 mg/jour est non inférieure à une héparine de bas poids moléculaire (HBPM) administrée pendant 28 jours, après 10 jours d’administration initiale d’une HBPM.


 

 


Texte sous la responsabilité de la rédaction francophone

 

 

Contexte

Post mise en place programmée d’une prothèse de hanche (PTH), le traitement de prévention thromboembolique classique est l’administration en premier choix d’une héparine de bas poids moléculaire (HBPM), en deuxième choix de fondaparinux, d’un nouvel anticoagulant oral non antagoniste de la vitamine K ou d’une faible dose d’héparine non fractionnée et en dernier choix d’un antagoniste de la vitamine K ou d’aspirine. Pour ce traitement prophylactique post PTH, l’administration d’une HBPM est recommandée durant un total de 35 jours (1). Pour l’aspirine, les preuves sont issues de 2 études avec de fortes doses (2 x 350 mg et 2 x 650 mg) versus HBPM et de comparaisons indirectes HBPM et aspirine versus placebo (1). Une RCT de comparaison HBPM versus aspirine (81 mg/j, dose habituelle aux USA en prévention cardiovasculaire) dans cette indication était la bienvenue.

 

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 778 personnes recrutées dans 12 centres orthopédiques de référence au Canada, subissant une prothèse totale de hanche unilatérale (de 2007 à 2010)
  • critères d’exclusion : e.a. fracture de hanche dans les 3 mois précédents, métastases cancéreuses, espérance de vie < 6 mois, risque de saignement contre-indiquant un anticoagulant, ulcère peptique actif ou gastrite avec contre-indication pour l’aspirine, thrombocytopénie sous héparine, clairance de créatinine < 30 ml/min/1,73 m2.

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée, contrôlée, en groupes parallèles, multicentrique, de non infériorité
  • traitement initial de daltéparine durant 10 jours (5 000 U/j, débuté le matin après l’intervention) puis soit de la daltéparine (5 000 U/j, n = 400) soit de l’aspirine (81 mg/j, n = 386) durant 28 jours et placebos correspondants
  • co-usage d’un AINS déconseillé mais non défendu
  • pas de recherche systématique d’une thromboembolie veineuse (TEV) asymptomatique.

 

Mesure des résultats

  • critère primaire d’efficacité : thromboembolie veineuse documentée (thrombose veineuse profonde (TVP) proximale symptomatique du membre inférieur ou embolie pulmonaire (EP)) dans les 90 jours post randomisation
  • critères secondaires : décès, saignement majeur, saignement non majeur cliniquement pertinent, infarctus du myocarde, AVC, infection de la plaie
  • critère primaire de sécurité : saignements majeurs, non majeurs mais cliniquement pertinents, mineurs.

 

Résultats

  • critère primaire d’efficacité : 1,3 % sous daltéparine (3 EP et 2 TVP proximales) versus 0,3 % sous aspirine (1 TVP proximale) : MAR de 1 % avec IC à 95 % de -0,5 à 2,5, soit une non infériorité (p < 0,001) mais pas de supériorité (p = 0,22)
  • critères d’efficacité secondaires : pas de différence pour les infections de plaie, les évènements vasculaires artériels, les décès
  • critère primaire de sécurité : saignements majeurs et non majeurs mais cliniquement pertinents : 1,3 % (daltéparine) versus 0,5 % (aspirine)
  • bénéfice clinique net (critère composite de TEV et de saignements majeurs ou non majeurs mais cliniquement pertinents) : MAR de 1,7 avec IC à 95 % de -0,3 à 3,8 et valeur p de 0,091 en faveur de l’aspirine.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’une prophylaxie prolongée de 28 jours (après 10 jours de daltéparine) avec de l’aspirine est non inférieure à et aussi sûre qu’une prévention avec de la daltéparine en termes de prévention d’une thromboembolie veineuse après la mise en place d’une prothèse totale de hanche. En raison de son faible coût et d’une plus grande facilité d’emploi, l’aspirine peut être considérée comme une alternative raisonnable pour une thromboprophylaxie prolongée après PTH.

 

Financement de l’étude

Subsides du Canadian Institutes for Health Research, de Pfizer Pharmaceuticals Canada, aide en nature de Bayer Health Care ; un des auteurs a reçu un prix du Fonds de la Recherche en Santé du Québec ; les firmes Pfizer Pharmaceuticals et Bayer Health Care n’ont pas été impliquées dans l’élaboration, la réalisation et l’analyse de cette étude.

 

Conflits d’intérêts des auteurs

Sur les 22 auteurs, 13 déclarent que leur institution a reçu un paiement pour cette recherche (entre autres de la firme Pfizer) ; les autres auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêts pertinents en relation avec cette étude.

 

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Le dessin de cette étude est valide. Cette étude a dû être prématurément arrêtée en raison de difficultés pour recruter des patients.

Le processus de randomisation est fait par blocs de 4 ou 6 et l’insu est annoncé pour les patients, les médecins, les coordinateurs d’étude, les membres des équipes de soins de santé, les personnes responsables de l’adjudication des évènements concernés et les analystes, ce qui minimise le risque de biais.

Une importante limite de cette étude est son manque de puissance. Pour une puissance de 95 %, avec une incidence initiale de 1,5 % d’évènement et une différence cliniquement pertinente minimale de 2,0 %, 1100 patients devaient être inclus dans chacun des bras. Le recrutement a posé problème : 1185 patients sur les 2080 recrutés ont refusé de participer et le rivaroxaban est devenu disponible pendant le déroulement de cette étude-ci. Le comité de direction a souhaité inclure le rivaroxaban comme possibilité thérapeutique dans cette étude-ci. Une analyse intermédiaire a alors été faite … et a montré la futilité d’inclure plus de patients, sur base des résultats déjà enregistrés. Une efficacité supérieure de la daltéparine ou une sécurité supérieure de l’aspirine n’aurait probablement pas été montrée en incluant davantage (le nombre prévu) de patients.

Les auteurs mentionnent une différence de pertinence clinique minimale de 2 % dans leur calcul de puissance ; ils mentionnent qu’il s’agit là de « la base de définition de la non infériorité » mais sans préciser qu’il s’agit de la borne de non infériorité dans l’IC des résultats. L’autre limite est une analyse primaire en intention de traiter et non par protocole comme exigé pour une étude de non infériorité.

Le comparateur (daltéparine) semble aussi efficace dans cette étude-ci que dans une méta-analyse (2), ce qui est, par contre, un bon point pour une étude de non infériorité (3).

 

Interprétation des résultats

Soulignons que pour leur critère de jugement primaire d’efficacité, les auteurs ont tenu compte des évènements thromboemboliques veineux symptomatiques. Il n’y a pas eu de dépistage systématique des TEV asymptomatiques, ce qui correspond davantage à la pratique quotidienne. Cette RCT montre une non infériorité de l’aspirine versus daltéparine, après 10 jours d’administration d’une HBPM, période recommandée comme minimale post PTH. Il faut souligner que les critères d’exclusion (justifiés) étaient nombreux et qu’il faut bien sûr en tenir compte dans l’extrapolabilité des résultats favorables à l’aspirine de cette étude.

Une tendance à un bénéfice clinique net est avancée par les auteurs de cette recherche effectuée dans des centres de référence (soins de troisième ligne).

En cours d’étude, une adaptation du protocole initial a permis d’inclure également des patients devant recevoir de l’aspirine (au long cours) pour d’autres motifs que l’intervention. Pour les 39 patients concernés par cette indication et inclus dans l’étude, aucune TEV n’a été observée et 1 saignement non majeur mais cliniquement pertinent a eu lieu pour un patient mis sous aspirine pour l’étude, soit 1 des 2 cas dans ce groupe aspirine.

L’évaluation de l’efficacité relative de l’aspirine versus NAO, qui aurait pu avoir lieu dans cette étude, reste à effectuer, dans cette indication comme dans d’autres.

  

Autres études

Dans cette indication prévention thromboembolique post mise en place programmée d’une prothèse de hanche ou de genou, une recherche dans la littérature ne trouve que 2 études de très faible qualité concernant l’aspirine. La première (4) est publiée dans un supplément d’une revue de moindre importance et compare une dose de 2 x 350 mg d’aspirine à de l’énoxaparine pendant 4 semaines après l’intervention. Cette étude ne montre pas de différence pour les TVP identifiées aux ultrasons : 14,1 % sous énoxaparine et 17,8 % sous aspirine. La deuxième étude (5) n’a été publiée que sous forme d’abstract ; elle évalue une dose de 2 x 650 mg d’aspirine. Une méta-analyse des résultats de ces 2 études (1) montre davantage de TVP asymptomatique sous aspirine : RR de 1,87 avec IC à 95 % de 1,3 à 2,7 ; le nombre trop faible d’embolies pulmonaires ne permet pas de sommation ni de conclusions.

Une méta-analyse des RCTs concernant les antiagrégants plaquettaires réalisées jusqu’en mars 1990 (6) identifie 13 études (863 patients) pour la chirurgie orthopédique majeure programmée avec un OR de 0,49 (ET 0,11) pour les antiagrégants versus contrôle. Une RCT internationale incluant 13 356 patients avec chirurgie de fracture de hanche et 4 088 avec prothèse de hanche programmée (7) montre une réduction des TEV sous aspirine administrée à la dose de 160 mg/j durant 35 jours après l’intervention : réduction relative de 36 % avec IC à 95 % de 19 à 50 et p = 0,0003.

Des comparaisons indirectes d’études comparant une HBPM versus placebo ou l’aspirine versus placebo montrent une plus grande efficacité des HBPM (1).

 

Conclusion de Minerva

Chez des patients subissant la mise en place programmée d’une prothèse totale de hanche, cette RCT de puissance limitée montre que l’aspirine à la dose de 81 mg/jour est non inférieure à une héparine de bas poids moléculaire (HBPM) administrée pendant 28 jours, après 10 jours d’administration initiale d’une HBPM.

 

Pour la pratique

Post mise en place programmée d’une prothèse de hanche (PTH), le traitement de prévention thromboembolique classique est l’administration d’une héparine de bas poids moléculaire (GRADE 1B) pendant au minimum 10 à 14 jours mais de préférence durant un total de 35 jours (GRADE 2B), ou de fondaparinux, d’un nouvel anticoagulant oral non antagoniste de la vitamine K ou d’une faible dose d’héparine non fractionnée (GRADE 2B), ou d’un antagoniste de la vitamine K ou d’aspirine (GRADE 2C) (1).

Cette étude-ci apporte des preuves confortant l’intérêt potentiel de l’aspirine administrée dans la prolongation d’une prévention thromboembolique post PTH mais les preuves en faveur de l’aspirine restent cependant plus faibles que les preuves pour les HBPM dans cette indication.

 

 

Références

  1. Falck-Ytter Y, Francis CW, Johanson NA, et al; American College of Chest Physicians. Prevention of VTE in orthopedic surgery patients: Antithrombotic Therapy and Prevention of Thrombosis, 9th ed: American College of Chest Physicians Evidence-Based Clinical Practice Guidelines. Chest 2012;141(2suppl):e278S-325S.
  2. Eikelboom JW, Quinlan DJ, Douketis JD. Extended-duration prophylaxis against venous thromboembolism after total hip or knee replacement: a meta-analysis of the randomized trials. Lancet 2001;358:9-15.
  3. Chevalier P. Bornes de non infériorité. MinervaF 2013;12(5):64.
  4. https://minerva-ebp.be/fr/ArticleAsp/2327
  5. Westrich GH, Bottner F, Windsor RE, et al. VenaFlow plus Lovenox vs VenaFlow plus aspirin for thromboembolic disease prophylaxis in total knee arthroplasty. J Arthroplasty 2006;21(6suppl2):139-43.
  6. Graor RA, Lotke PA, Davidson BL. RD heparin (ardeparin sodium) vs. aspirin to prevent deep venous thrombosis after hip or knee replacement surgery [abstract]. Chest 1992;102(suppl):118S.
  7. Antiplatelet Trialists’ Collaboration. Collaborative overview of randomized trials of antiplatelet therapy—III: Reduction in venous thrombosis and pulmonary embolism by antiplatelet prophylaxis among surgical and medical patients. BMJ 1994;308:235-46.
  8. Prevention of pulmonary embolism and deep vein thrombosis with low dose aspirin: Pulmonary Embolism Prevention (PEP) trial. Lancet 2000;355:1295-302.

 

 

Prévention thromboembolique post PTH : aspirine efficace ?



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