Revue d'Evidence-Based Medicine



Quel traitement antithrombotique en prévention secondaire post thromboembolie veineuse ?



Minerva 2014 Volume 13 Numéro 5 Page 56 - 57

Professions de santé


Analyse de
Castellucci LA, Cameron C, Le Gal G, et al. Efficacy and safety outcomes of oral anticoagulants and antiplatelet drugs in the secondary prevention of venous thromboembolism : systematic review and network meta-analysis. BMJ 2013;347:f5133.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité relatives des anticoagulants oraux et des antiagrégants plaquettaires en prévention secondaire d’une thromboembolie veineuse (TEV) chez des adultes avec une moyenne d’âge de plus de 50 ans ?


Conclusion
Cette méta-analyse en réseau de bonne qualité confirme les données des précédentes études sur l’intérêt des antagonistes de la vitamine K, des nouveaux anticoagulants oraux et de l’aspirine en prévention secondaire post thromboembolie veineuse. Etant donné la rareté des comparaisons directes, les résultats des efficacités et sécurités relatives de ces différents médicaments ont une valeur essentiellement indicative qui devrait être confirmée lors de comparaisons directes.


Texte sous la responsabilité de la rédaction francophone

 

 

Contexte

Pour les patients ayant présenté un épisode de TEV avec facteurs de risque identifiés et réversibles, une anticoagulation de 3 mois est recommandée (1). Pour les patients qui gardent à 3 mois un risque élevé de récidive après l’arrêt de l’anticoagulant, un traitement au long cours avec un antagoniste de la vitamine K (AVK) était recommandé. Ce traitement comporte plusieurs inconvénients, entre autres un risque hémorragique accru. Les nouveaux anticoagulants oraux non antagonistes de la vitamine K ainsi que l’aspirine ont été évalués dans cette indication. Une évaluation comparative des différents traitements envisageables restait à faire.

 

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyse en réseau bayésienne

 

Sources consultées

  • bases de données MEDLINE (de 1950 à non précisé), EMBASE (de 1980 à non précisé), Cochrane Register of Controlled Trials ; l’étude incluse la plus récemment publiée est AMPLIFY-EXT (2,3)
  • recherche manuelle d’autres articles potentiellement pertinents
  • pas de restriction de langue, d’année ou de type de publication.

 

Etudes sélectionnées

  • études randomisées prospectives, incluant consécutivement les patients avec thrombose veineuse profonde (TVP) ou embolie pulmonaire (EP) documentée, traités pendant au moins 3 mois par anticoagulant, traités ensuite par antiagrégant plaquettaire (aspirine), anticoagulant oral (AVK, NAOs : apixaban, dabigatran, rivaroxaban ou ximélagatran), placebo ou observation, avec mention des résultats pour un ou pour plusieurs des critères de jugement primaire ou secondaire
  • exclusion des études avec stratification du risque à la fin de la période d’anticoagulation initiale, des études avec TEV asymptomatique
  • 13 RCTs (12 publications) ont été incluses : 8 versus placebo, 2 AVK versus observation, 3 différents types d’anticoagulants, 1 comparant 2 traitements actifs versus placebo ; la majorité des études concernent les AVK.

 

Population étudiée

  • patients avec TVP ou EP documentée : 11 999 pour l’efficacité et 12 167 pour la sécurité
  • 162 à 2 856 patients par étude (médiane de 780)
  • durée médiane de suivi de 14,3 (écarts de 6 à 37,2) mois
  • peu de caractéristiques initiales données (décrites dans la Table 1 de l’étude) : sujets âgés en moyenne de 53 à 68 ans, 51 à 58 % d’hommes, TEV non provoquée dans toutes les études sauf 3 (et 1 sans mention).

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : récidive de TEV (symptomatique avec preuve paraclinique) et épisodes de saignement majeur
  • critères secondaires : récidive fatale de TEV, épisodes de saignements fatals
  • analyse en intention de traiter, avec inclusion unique des issues survenues durant la période de traitement
  • résultats donnés en Odds Ratio avec intervalles de crédibilité (I Cr) pour les analyses bayésiennes.

 

Résultats

  • tous les traitements réduisent le risque de récurrence de thromboembolie veineuse :
    • AVK (INR cible 2-3) versus placebo ou observation : OR de 0,07 avec I Cr de 0,03 à 0,15
    • aspirine versus placebo ou observation : OR de 0,65 avec I Cr de 0,39 à 1,03
    • NAOs versus placebo ou observation : OR de 0,09 (dabigatran 150 mg 2x/j) à 0,18 (apixaban 5 mg 2x/j) avec I Cr allant de 0,04 minimum à 0,41 maximum
  • risque d’hémorragie majeure :
    • AVK : OR de 5,24 avec I Cr de 1,78 à 18,25
    • aspirine : OR de 1,29 avec I Cr de 0,40 à 4,08
    • NAOs versus placebo ou observation : OR de 0,19 (apixaban 5 mg 2x/j) à 20,79 (rivaroxaban 20 mg/j) avec I Cr allant de 0,01 minimum à 14 230 maximum.
  • rares évènements fatals.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que tous les anticoagulants oraux et antiagrégants plaquettaires évalués dans cette analyse étaient associés à une récurrence moindre de thromboembolie veineuse versus placebo ou observation, l’aspirine étant cependant associée à la réduction la plus faible. Les antagonistes de la vitamine K administrés à une dose de référence ajustée étaient associés à la plus grande réduction de risque de récurrence de thromboembolie veineuse mais également au risque le plus élevé de saignement majeur.

 

Financement de l’étude 

Absence de financement spécifique ; 4 auteurs sont titulaires de bourses et/ou chaires d’institutions ou fondations.

 

Conflits d’intérêt des auteurs 

Les auteurs déclarent n’avoir reçu aucun financement d’aucune organisation pour ce travail.

 

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

La méthodologie de cette méta-analyse est complexe et de bonne qualité. La recherche dans la littérature est exhaustive. La validité méthodologique des études originales a été évaluée par 2 auteurs indépendamment l’un de l’autre, selon la méthodologie proposée dans le Cochrane Handbook for randomised trials pour la recherche de risques de biais. Ce risque est généralement faible. Les auteurs ont réalisé une méta-analyse classique pour les comparaisons directes et ensuite deux méta-analyses en réseau bayésiennes, la première comparant les différents antithrombotiques entre eux et la deuxième les comparant au placebo ou à une observation. Les méta-analyses bayésiennes sont correctement menées avec technique de Monte Carlo sur chaîne de Markov. Les auteurs ont évalué la similarité, l’homogénéité et la cohérence des études et qualitativement comparé les résultats des comparaisons directes et indirectes. Tous les processus recommandés ont donc été respectés (4).

 

Interprétation des résultats

Cette méta-analyse montre donc une efficacité préventive secondaire des différents traitements antithrombotiques évalués post thromboembolie veineuse. Elle reprend toutes les études avec les NAOs que nous avions déjà analysées dans la revue Minerva : rivaroxaban (5,6), dabigatran (7,8) et apixaban (2,3). Elle reprend aussi les études avec l’aspirine, que nous avions commentées (9-11). Cette méta-analyse montre que c’est un traitement avec un antagoniste de la vitamine K titré pour atteindre un INR de 2 à 3 qui est le plus efficace mais c’est aussi un traitement associé à davantage de saignements majeurs (4 fois moins que le rivaroxaban cependant). Pour illustrer le bénéfice clinique net de ces différents traitements, les auteurs publient un pictogramme montrant qu’un AVK à dose ajustée, le dabigatran et l’apixaban semblent les traitements comparativement les plus performants. Dans leur discussion, ils nuancent cependant correctement cette vision des résultats. Certains parmi les auteurs de cette méta-analyse ont observé dans une précédente synthèse méthodique évaluant les traitements de prévention secondaire d’une TEV (12) que les taux d’issues fatales liées à une récidive de thromboembolie ou à une hémorragie sévère étaient semblables dans les 3 premiers mois de traitement (11,3 %) mais que cette létalité diminuait ensuite fortement en cas de récidive sous anticoagulant (3,6 %), sans donnée disponible pour l’évolution des issues fatales suite à une hémorragie pour cette période. Il reste donc à acquérir de telles données pour les traitements prolongés.

 

Limites de cette étude

Les auteurs soulignent plusieurs limites pour leur étude : durée de suivi variable selon les études, plus courte avec les NAOs qu’avec les AVK et l’aspirine, ne dépassant pas un an pour les NAOs ; leur rapport bénéfice/risque pour des traitements dépassant un an reste donc à déterminer. L’absence de données individuelles n’a pas permis aux auteurs de tirer des conclusions spécifiques tenant compte de l’évènement index (TVP ou EP), de facteurs de risque de TEV, de l’âge, de l’IMC, de la durée du traitement anticoagulant initial, éléments pouvant influencer la létalité d’une récidive ou d’une hémorragie. Les comparaisons directes entre traitements antithrombotiques sont rares, limitées à : dabigatran versus AVK, AVK à dose de référence (INR 2-3) versus dose faible, apixaban 2,5 versus 5 mg 2x/j. Les données pour certains traitements sont (fort) limitées, particulièrement pour le rivaroxaban. Les données sont absentes pour les aspects coût-efficacité et préférences du patient en fonction de la diminution du risque de récidive versus risque hémorragique. D’autres risques n’ont pas été évalués dans cette méta-analyse : le risque coronarien (accru avec le dabigatran (13)) et l’hépatotoxicité. Les patients présentant une pathologie plus sévère ont probablement été exclus des RCTs considérées. Les auteurs concluent aussi que le bénéfice net de l’aspirine versus AVK et NAOs reste à mieux déterminer.

Les résultats ne concernent que les évènements survenus durant la période de traitement, sans donnée prise en compte durant un éventuel suivi post traitement. Il faut se rappeler que dans l’indication fibrillation auriculaire, un rebond d’incidence d’AVC/embolie systémique a été observé à l’arrêt d’un traitement par dabigatran (14). Un tel risque reste à évaluer, pour le dabigatran comme pour les autres antithrombotiques, en prévention secondaire post TEV.

 

Conclusion de Minerva

Cette méta-analyse en réseau de bonne qualité confirme les données des précédentes études sur l’intérêt des antagonistes de la vitamine K, des nouveaux anticoagulants oraux et de l’aspirine en prévention secondaire post thromboembolie veineuse. Etant donné la rareté des comparaisons directes, les résultats des efficacités et sécurités relatives de ces différents médicaments ont une valeur essentiellement indicative qui devrait être confirmée lors de comparaisons directes.

 

Pour la pratique

Le guide de pratique étatsunien le plus récent (1) recommande, en cas de thrombose veineuse profonde proximale ou d’embolie pulmonaire, l’administration en aigu d’une Héparine de Bas Poids Moléculaire (HBPM) en SC plutôt que celle d’une héparine non fractionnée en IV (GRADE 2C) ou d’une héparine non fractionnée en SC (GRADE 2B). Pour le traitement préventif à plus long terme, en l’absence de cancer, c’est un antagoniste de la vitamine K (AVK) qui est un premier choix devant une HBPM (GRADE 2C). Si un traitement par AVK n’est pas possible, les auteurs suggèrent de préférer une HBPM au dabigatran et au rivaroxaban (GRADE 2C, sur données disponibles en octobre 2011).

Les données de cette méta-analyse concernant le traitement de prévention secondaire confirment l’intérêt des AVK, du dabigatran, de l’apixaban et (dans un moindre mesure) de l’aspirine, mais l’évaluation relative du bénéfice clinique net de ces différents traitements reste à mieux préciser lors de comparaisons directes dans des populations bien caractérisées pour pouvoir en tirer des conclusions pour la pratique.

 

Références

  1. Kearon C, AkL EA, Comerota AJ, et al; American College of Chest Physicians. Antithrombotic therapy for VTE Disease: Antithrombotic Therapy and Prevention of Thrombosis, 9th ed: American College of Chest Physicians Evidence-Based Clinical Practice Guidelines. Chest 2012;141(2Suppl):e419S-494S.
  2. Agnelli G, Buller H, Cohen A, et al; AMPLIFY-EXT Investigators. Apixaban for extended treatment of venous thromboembolism. N Engl J Med 2013;368:699-708.
  3. Apixaban pour prolonger un traitement préventif secondaire d’une thromboembolie veineuse ? Minerva online 28/05/2013.
  4. Chevalier P. Méta-analyse en réseau : comparaisons directes et indirectes. MinervaF 2009;8(10):148.
  5. EINSTEIN Investigators, Bauersachs R, Berkowitz SD, Brenner B, et al. Oral rivaroxaban for symptomatic venous thromboembolism. N Engl J Med 2010;363:2499-510.
  6. Chevalier P. TVP : rivaroxaban ? MinervaF 2011;10(3);36-7.
  7. Schulman S, Kearon C, Kakkar AK, et al; RE-MEDY Trial Investigators; RE-SONATE Trials Investigators. Extended use of dabigatran, warfarin, or placebo in venous thromboembolism. N Engl J Med 2013;368:709-18.
  8. La Rédaction Minerva. Dabigatran pour prolonger un traitement préventif secondaire d’une thromboembolie veineuse. Minerva online 28/05/2013.
  9. Brighton TA, Eikelboom JW, Mann K, et al; ASPIRE Investigators. Low-dose aspirin for preventing recurrent venous thromboembolism. N Engl J Med 2012;367:1979-87.
  10. Becattini C, Agnelli G, Schenone A, et al; WARFASA Investigators. Aspirin for preventing the recurrence of venous thromboembolism. N Engl J Med 2012;366:1959-65.
  11. Larock A-S, Spinewine A. L’aspirine en prévention secondaire des thromboembolies veineuses ? MinervaF 2013;12(5):54-5.
  12. Carrier M, Le Gal G, Wells PS, Rodger MA. Systematic review: case-fatality rates of recurrent venous thromboembolism and major bleeding events among patients treated for venous thromboembolism. Ann Intern Med 2010;152:578-89.
  13. Chevalier P. Dabigatran et risque coronarien accru. Minerva online 28/04/2012.
  14. FDA. Pradaxa (dabigatran etexilate mesylate) capsules. Detailed View: Safety Labeling Changes Approved By FDA Center for Drug Evaluation and Research (CDER). April 2013 http://www.fda.gov/Safety/MedWatch/SafetyInformation/ucm250657.htm

 

 

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