Revue d'Evidence-Based Medicine



Quelle intervention pour limiter la consommation d’alcool chez des adolescents ?



Minerva 2011 Volume 10 Numéro 1 Page 4 - 5

Professions de santé


Analyse de
Tripodi SJ, Bender K, Litschge C, Vaughn MG. Interventions for reducing adolescent alcohol abuse: a meta-analytic review. Arch Pediatr Adolesc Med 2010;164:85-91.


Question clinique
Quelle est l’efficacité d’interventions individuelles et familiales pour réduire l’abus d’alcool chez les adolescents ?


Conclusion
Cette étude qui présente des limites méthodologiques importantes montre que des interventions ciblant une moindre consommation d’alcool sont efficaces chez des adolescents. Des interventions courtes sont les plus facilement réalisables pour le médecin généraliste dans la prise en charge des problèmes liés à l’alcool. D’autres études sont en cours dans ce domaine.


 

Contexte

La consommation et l’abus d’alcool chez les adolescents (12 à 19 ans) reste un point de préoccupation. La moitié d’entre eux avoue avoir été au moins une fois ivre (1). Un usage excessif d’alcool dans cette tranche de vie est associé à un risque plus élevé d’abus d’alcool à l’âge adulte (2). Des interventions visant à en limiter l’usage ciblent aussi bien l’adolescent que sa famille. Pour une prise en charge individuelle, des thérapies comportementales, cognitives ou non, ou des entretiens motivationnels sont disponibles. Les thérapies familiales les plus utilisées sont la thérapie multisystémique, comportementale cognitive et familiale intégrée, familiale multidimensionnelle et familiale stratégique courte. Plusieurs études n’ont pas montré d’efficacité pour différentes thérapies. Une synthèse méthodique évaluant l’efficacité de ces interventions chez des adolescents n’avait pas encore été faite, ni une étude les comparant.

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

 

Sources consultées

  • MEDLINE, PsycINFO, ERIC, Wilson Social Science Abstracts, Criminal Justice Abstracts, Social Work Abstracts, Social Science Citation Index, Dissertation Abstracts International, National Criminal Justice Research Service, Social Psychological Criminological Educational Trials Register, PsiTri database of randomized and controlled trials in mental health
  • sites web concernant l’alcool et son abus, les listes de références des études, les manuels et rapports des autorités
  • de 1960 à 2008.

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : interventions visant une diminution de la consommation d’alcool chez les adolescents (de 12 à 19 ans), avec mesure quantitative de la consommation d’alcool, versus groupe de comparaison ; les études pharmacologiques ne sont incluses que si le médicament fait partie d’une prise en charge intégrée
  • sur 64 études isolées, 16 sont incluses, toutes étatsuniennes ; 40% furent publiées entre 2006 et 2008 et 57% entre 2000 et 2004
  • 87,5% d’études expérimentales ; 94% effectuées dans un centre.

 

Population étudiée

  • adolescents âgés de 12 à 19 ans.

 

Mesure des résultats

 

Résultats

  • deux tiers des études évaluent des thérapies individuelles
  • 94% des interventions sont standardisées avec manuel pratique ou chercheur expérimenté
  • 56% des études ont une durée de six à onze mois ; seuls 38% des études ont un taux de sortie <15%
  • toutes les interventions diminuent la consommation d’alcool : ampleur d’effet ajustée (Hedges’ g) de -0,61 (IC à 95% de -0,83 à -0,40)
  • ampleur d’effet plus importante avec les interventions individuelles qu’avec les interventions familiales : -0,46 (IC à 95% de -0,66 à -0,26)
  • ampleur d’effet diminuant avec la durée d’étude.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les traitements pour abus de substance chez les adolescents apparaissent efficaces pour réduire la consommation d’alcool. Les interventions individuelles ont une ampleur d’effet plus importante que les interventions familiales et la taille de l’effet diminue avec la durée du suivi. En outre, les traitements de type comportemental semblent prometteurs pour obtenir des effets à long terme.

Financement : bourse de la Fondation Donald D. Hammill.

Conflits d’intérêt : aucun n’est déclaré.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

La question de recherche de cette synthèse méthodique est très précise et ne concerne que l’efficacité des interventions visant une réduction de la consommation d’alcool chez les adolescents. La seule base de données importante non consultée est EMBASE. Une attention particulière a été réservée aux bases de données « alternatives ». Le processus de sélection est bien documenté et illustré par un diagramme de flux suivant les recommandations de QUOROM était de standardiser la façon dont on rapporte les méta-analyses. Dans ce but, une liste a été élaborée, contenant principalement des directives à propos de la description du résumé, de la méthode appliquée, des résultats et de la discussion. La description exacte et complète de tous ces éléments permet au lecteur de juger de façon fondée la validité interne et externe de la méta-analyse concernée. Le rapport MOOSE donne des directives sur la manière d’élaborer les méta-analyses d’études d’observation. La liste de contrôle (checklist) de QUOROM est disponible sur le site internet de CONSORT. URL : www.consort-statement.org/">QUORUM. Un funnel plot est réalisé à la recherche d’un biais de publication, peu probable selon les auteurs. L’évaluation de la qualité méthodologique des études est réalisée par 2 chercheurs, indépendamment l’un de l’autre. Ils utilisent pour ce faire une version adaptée du Methodological Quality Rating Scale, développé par Miller et col. spécialement pour l’interprétation des études concernant l’alcool. La randomisation et le secret d’attribution ne sont cependant pas évalués, ce qui ne permet pas de conclure quant à la qualité méthodologique des recherches. L’hétérogénéité statistique est évaluée grâce au test I² avec des analyses stratifiées ultérieures. Les auteurs ont recours au facteur g d’ajustement de Hedges qui permet de corriger l’ampleur d’une différence moyenne en fonction de la taille d’échantillon des études. Ils corrigent les valeurs extrêmes par la technique du winsorizing. Ils ne tiennent cependant pas compte d’une hétérogénéité clinique importante.

 

Interprétation des résultats

La différence moyenne standardisée pour la sommation des résultats des différentes études montre un résultat en faveur des interventions visant à réduire la consommation d’alcool chez les adolescents. L’importante hétérogénéité clinique entre les études pour leurs protocoles d’étude, leurs groupes contrôles et leurs critères de jugement rend l’interprétation de l’ampleur de la différence observée bien difficile. Seules des études étatsuniennes sont incluses ; quelle peut en être l’extrapolabilité à la situation belge ? Le taux de sorties d’étude est important.

Les interventions qui sont les plus efficaces sont : une thérapie comportementale cognitive en 12 étapes, des entretiens motivationnels courts et quelques interventions courtes. Une précédente synthèse méthodique des interventions courtes contredit ces résultats (3). La synthèse présentée ici inclut quelques nouvelles études ; elle ne dispense cependant pas d’une exploration ultérieure de ces interventions courtes. Une deuxième observation s’impose : une approche individuelle est plus efficace qu’une approche familiale, observation à nouveau en contradiction avec d’autres publications (4). Etant donné le nombre faible d’études incluses, il nous faut rester prudents avant d’adopter cette conclusion. Enfin, l’efficacité diminue proportionnellement à la durée de l’étude. La littérature est par contre univoque pour cette observation.

Spécifiquement en médecine générale, il existe aussi des synthèses méthodiques évaluant l’efficacité d’interventions ciblant une diminution de la consommation d’alcool, non limitées aux adolescents dans ce cas. Elles montrent qu’une intervention courte peut réduire la consommation d’alcool, particulièrement dans une population masculine (5). La place d’une intervention courte dans la stratégie globale pour l’abus d’alcool en médecine générale n’est cependant pas parfaitement claire. Dans une autre évaluation publiée par Minerva (6), nous avons conclu qu’un dépistage systématique en médecine générale d’un abus d’alcool n’est pas très efficace en termes d’identification des patients pouvant bénéficier d’une courte intervention. Une importante étude se déroule actuellement en Angleterre, en population de médecine générale, évaluant l’efficacité d’une courte intervention après dépistage soigneux de la consommation d’alcool. Son protocole a été publié (7) et quelques résultats préliminaires sont connus. Les auteurs ont recours au test de dépistage d’alcoolisme FAST (8) et, s’il est positif, la volonté d’une modification de comportement est évaluée et un plan thérapeutique est établi.

 

Conclusion de Minerva

 

Cette étude qui présente des limites méthodologiques importantes montre que des interventions ciblant une moindre consommation d’alcool sont efficaces chez des adolescents. Des interventions courtes sont les plus facilement réalisables pour le médecin généraliste dans la prise en charge des problèmes liés à l’alcool. D’autres études sont en cours dans ce domaine.

 

Pour la pratique

 

Le guide de pratique du CKS (9) mentionne l’existence de plusieurs preuves d’efficacité en faveur de la recommandation de courtes interventions en pratique de médecine générale concernant la consommation d’alcool. Il recommande de courtes sessions de 5 à 15 minutes avec prise de connaissance par le patient de la probabilité de dégâts potentiels d’un abus d’alcool et des avantages d’une moindre consommation. Une attention suffisante doit être consacrée aux résistances du patient à une modification de comportement. Ensuite, avec le patient, des stratégies doivent être élaborées pour diminuer la consommation d’alcool, telles que l’évitement de situations à risque, la tenue d’un journalier de consommation. Un but précis doit être négocié et un suivi programmé. Des sessions plus longues seront réalisées par des soignants formés spécifiquement à la prise en charge de la dépendance à l’alcool.

 

 

Références

  1. Faden VB, Fay MP. Trends in drinking among Americans age 18 and younger:1975-2002. Alcohol Clin Exp Res 2004;28:1388-95.
  2. D’Amico EJ, Miles JV, Stern SA, Meredith LS. Brief motivational interviewing for teens at risk of substance use consequences: a randomized pilot study in a primary care clinic. J Subst Abuse Treat 2008;35:53-61.
  3. Tait RJ, Hulse GK. A systematic review of the effectiveness of brief interventions with substance using adolescents. Drug Alcohol Rev 2003;22:337-46.
  4. Thatcher DL, Clark DB. Adolescent alcohol abuse and dependence: development, diagnosis, treatment and outcomes. Curr Psychiatry Rev 2006;2:159-77.
  5. Kaner EF, Dickinson HO, Beyer F, et al. The effectiveness of brief alcohol interventions in primary care settings: A systematic review. Drug Alcohol Rev 2009;28:301-23.
  6. Aertgeerts B. Dépistage et thérapie brève d'une consommation abusive d'alcool. MinervaF 2004;3(8):132-4.
  7. Kaner E, Bland M, Cassidy P, et al. Screening and brief interventions for hazardous and harmful alcohol use in primary care: a cluster randomised controlled trial protocol. BMC Public Health 2009;9:287-99.
  8. Hodgson R, Alwyn T, John B, et al. The FAST alcohol screening test. Alcohol Alcohol 2002;37:61-6.
  9. Alcohol - problem drinking – Management - Scenario: Hazardous/harmful drinking. NHS Clinical Knowledge Summaries. (consulté en novembre 2010).
Quelle intervention pour limiter la consommation d’alcool chez des adolescents ?

Auteurs

Aertgeerts B.
Academisch Centrum voor Huisartsgeneeskunde, KU Leuven,CEBAM
COI :

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