Revue d'Evidence-Based Medicine



Benzodiazépines lors du sevrage alcoolique



Minerva 2010 Volume 9 Numéro 11 Page 130 - 131

Professions de santé


Analyse de
Amato L, Minozzi S, Vecchi S, Davoli M. Benzodiazepines for alcohol withdrawal. Cochrane Database Syst Rev 2010, Issue 3.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité des benzodiazépines lors d’un sevrage alcoolique ?


Conclusion
Cette méta-analyse montre l’efficacité des benzodiazépines pour diminuer le risque de survenue de crises convulsives lors d’un sevrage alcoolique ; elle n’apporte aucune preuve d’un bénéfice d’un médicament (ou de leur association) versus un autre.


 

Contexte

L’abus d’alcool et la dépendance à l’alcool représentent, partout dans le monde, un réel problème de santé publique, avec des conséquences personnelles, sociales et judiciaires. Les benzodiazépines sont largement utilisées pour le traitement des symptômes du sevrage alcoolique. Une précédente méta-analyse (1) ne permettait pas de conclusion quant à l’efficacité et à la sécurité des benzodiazépines dans cette indication. Une mise à jour de l’évaluation comparative globale entre benzodiazépines et entre les benzodiazépines et d’autres médicaments était la bienvenue étant donné de nouvelles publications.

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

Sources consultées

  • Cochrane Drugs and Alcohol Group Register of Trials (Décembre 2009), PubMed (1966 -2009), EMBASE (1988-2009), CINAHL (1982-2009), EconLIT (1969-2009)
  • consultation des listes de références des articles sélectionnés, des actes de conférences et d’experts dans le domaine.

 

Etudes sélectionnées 

  • études randomisées contrôlées analysant l’efficacité, la sécurité et le rapport risque/bénéfice de benzodiazépines pour le sevrage alcoolique
  • évaluation d’une benzodiazépine (BZD) utilisée seule ou en association avec un autre médicament
  • comparaison versus placebo (N=11), autre médicament (N=42), autre benzodiazépine (N=18) ou versus autre médicament seul en cas d’association (N=3)
  • 64 études incluses sur 695 identifiées, dont 26 en Europe
  • pas de critère d’exclusion mentionné pour les études.

Population étudiée

  • 4 309 patients dépendants de l’alcool, diagnostiqués selon les critères appropriés du DSM IV ou de l’ICD, présentant des symptômes de sevrage quelle qu’en soit la sévérité
  • patients inclus indépendamment de l’âge, du sexe, de la nationalité et du traitement ambulatoire ou hospitalier.

Mesure des résultats

  • critères primaires d’efficacité :
    • nombre de sujets présentant des crises convulsivess
    • nombre de sujets présentant un delirium
    • nombre de sujets présentant des signes de sevrage (score CIWA-Ar)
    • amélioration globale du syndrome de sevrage (évaluation du médecin, du patient)
    • craving
  • critères primaires de sécurité :
    • nombre de sujets avec au moins 1 effet indésirable
    • nombre de sujets avec effet indésirable sévère, à risque vital
  • critères primaires d’acceptabilité :
    • sorties d’étude
    • sorties d’étude pour effet indésirable.

Résultats

  • benzodiazépines versus placebo: survenue de crises convulsives : seul critère pour lequel un bénéfice statistiquement significatif des benzodiazépines est observé (N = 3, n = 324) : RR 0,16 (IC à 95% de 0,04 à 0,69)
  • benzodiazépines versus autres médicaments: aucune différence statistiquement significative
  • benzodiazépines comparées: aucune différence statistiquement significative
  • dose fixe de BZD versus doses variables en fonction des symptômes: aucune différence statistiquement significative.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les benzodiazépines montrent un effet bénéfique vis-à-vis des symptômes de sevrage alcoolique, en particulier les crises convulsives, en comparaison avec le placebo et un effet bénéfique potentiel pour beaucoup de critères en comparaison avec d’autres médicaments. Néanmoins, aucune conclusion définitive quant à l’efficacité et à la sécurité des benzodiazépines n’est possible, à cause de l’hétérogénéité des études, tant dans le type d’intervention que dans l’évaluation des résultats.

Conflits d’intérêt 

Aucune mention.

Financement

Interne par le Department of Epidemiology, ASL RM/E Rome, Italie et externe par AIFA (Italian Pharmaceutical Agency), Italie.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Il s’agit d’une révision d’une précédente méta-analyse (1). La méthodologie rigoureuse utilisée est celle proposée par la Cochrane Collaboration : recherche exhaustive dans la littérature (dans plusieurs bases de données), sélection et exclusion des études suivant des critères prédéterminés précis, validation de la qualité méthodologique des études (évaluation des risques de biais : séquence d’attribution, secret d’attribution, double aveugle et mention incomplète des données), extraction des données indépendamment par 2 chercheurs, analyse de l’hétérogénéité (test I² et Chi²), analyses de sensibilité prévues. Les auteurs n’ont cependant pas réalisé de funnel plot à la recherche d’un biais de publication en justifiant cette absence par le faible échantillon des études et l’absence de résultats significatifs dans celles-ci. La pauvreté des études originales n’a cependant pas permis de tirer des enseignements solides de cette méta-analyse, peut-être par manque de puissance.

  

Interprétation des résultats

Malgré la multiplicité des critères de jugement choisis par les auteurs, cette nouvelle méta-analyse apporte très peu par rapport à la précédente. Les crises convulsives ne représentent qu’un seul des symptômes de sevrage (tremblements, insomnie, cauchemars, hallucinations auditives, visuelles ou tactiles, agitation, absence de repos, trémulations, delirium).

Les auteurs relèvent que les benzodiazépines offrent un bénéfice statistiquement significatif pour diminuer le risque de survenue de crises convulsives du sevrage alcoolique, en comparaison avec le placebo, mais avec un intervalle de confiance fort large. Par contre, ils ne trouvent aucune preuve de supériorité par rapport aux autres médicaments, notamment en comparaison avec les anti-convulsivants, et cela quelle que soit la benzodiazépine (à courte ou longue durée d’action).

Les autres questions prévues (comparaison de benzodiazépines entre elles, combinaison benzodiazépine-autre molécule versus autre molécule, types d’intervention) n’ont pas apporté de résultats quantitatifs suffisants pour en tirer des conclusions statistiquement significatives.

Mise en perspective des résultats

Une autre synthèse de la Cochrane Collaboration réalisée par les mêmes auteurs (2) et suivant un protocole identique évalue l’efficacité des médicaments anti-épileptiques (phénytoïne, carbamazépine, phénobarbital, gabapentine, oxcarbazépine, topiramate, valproate) dans le syndrome de sevrage alcoolique également. Dans les 17 études anti-convulsivant versus placebo, aucune différence statistiquement significative n’est observée pour tous les critères de jugement (identiques à ceux choisis dans la méta-analyse analysée ici). Versus autre médicament, seule une différence en faveur de la carbamazépine versus benzodiazépine (oxazépam et lorazépam) est observée, pour un seul critère (symptômes au score CIWA-Ar).

Pour la pratique

Au cours d’un sevrage alcoolique, l’apparition d’une anxiété, d’une agitation, de tremblements, d’une sudation excessive, d’une altération de la conscience ou d’hallucinations conduit à évoquer l’apparition d’une forme sévère de syndrome de sevrage, particulièrement du risque de convulsions (3). L’administration de benzodiazépines pour traiter les symptômes d’un sevrage alcoolique est classiquement recommandée, sans préférence établie pour un médicament en particulier (4). Une précédente méta-analyse (1) ne permettait pas de conclusion solide pour étayer cette recommandation. Cette nouvelle méta-analyse, basée sur de nombreuses petites études, n’apporte qu’une preuve faible d’un intérêt versus placebo pour le seul critère crises convulsives liées au sevrage alcoolique mais ne remet pas la recommandation en cause. Nous ne disposons pas de preuve d’efficacité des anti-épileptiques versus placebo dans cette indication.

 

Conclusion

Cette méta-analyse montre l’efficacité des benzodiazépines pour diminuer le risque de survenue de crises convulsives lors d’un sevrage alcoolique ; elle n’apporte aucune preuve d’un bénéfice d’un médicament (ou de leur association) versus un autre.

 

Références

  1. Ntais C, Pakos E, Kyzas P, Ioannidis JP. Benzodiazepines for alcohol withdrawal. Cochrane Database Syst Rev 2005, Issue 3.
  2. Minozzi S, Amato L, Vecchi S, Davoli M. Anticonvulsants for alcohol withdrawal. Cochrane Database Syst Rev 2010, Issue 3.
  3. Le syndrome de sevrage alcoolique. Le prévoir, le prévenir, le repérer et le traiter. Rev Prescr 2006;26:592-601.
  4. The National Clinical Guideline Centre for acute and chronic conditions. Alcohol use disorders: diagnosis and clinical management of alcohol-related physical complications. Clinical Guideline 100. National Clinical Guidelines Centre, 2010. http://www.nice.org.uk/nicemedia/live/12995/48989/48989.pdf (consulté le 10 septembre 2010).
Benzodiazépines lors du sevrage alcoolique

Auteurs

Lamy D.
Centre Académique de Médecine Générale, Université Catholique de Louvain
COI :

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