Revue d'Evidence-Based Medicine



Diagnostic ambulatoire d’infections sévères chez les enfants



Minerva 2010 Volume 9 Numéro 11 Page 128 - 129

Professions de santé


Analyse de
Van den Bruel A, Haj-Hassan T, Thompson M, et al; European Research Network on Recognizing Serious Infection investigators. Diagnostic value of clinical features at presentation to identify serious infection in children in developed countries: a systematic review. Lancet 2010;375:834-45.


Question clinique
Quelle est la valeur diagnostique de signes cliniques pour confirmer ou exclure une infection sévère chez des enfants en contexte ambulatoire ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique montre que des arguments fort probants d’infections sévères chez les enfants sont rares dans un contexte de première ligne de soins. L’impression du clinicien que quelque chose cloche ou non et l’inquiétude des parents sont des données importantes si elles s’ajoutent à d’autres informations telles qu’une fièvre élevée, une cyanose, une tachypnée, une circulation périphérique déficiente et des pétéchies. Les seuils d’action clinique doivent encore être précisés.


 

Contexte

Un diagnostic précoce et exact des infections sévères chez les enfants est essentiel pour en diminuer la morbi-mortalité. Une infection sévère menaçant le pronostic vital demande une référence et un traitement rapides. En pratique de médecine générale, la prévalence d’infections sévères chez l’enfant est inférieure à 1% (1), ce qui peut parfois conduire à n’être pas assez attentif à des signes d’alerte. Faire la différence avec une infection banale, bénigne, n’est pas toujours facile certainement au stade précoce d’une infection sévère.

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique

 

Sources consultées

  • MEDLINE, EMBASE, DARE, CINAHL jusqu’en juin 2009
  • listes de référence des articles isolés et des guides de pratique (National Institute for Health and Clinical Excellence)
  • base de données Medion des synthèses méthodiques
  • experts.

 

Etudes sélectionnées

  • études évaluant la valeur diagnostique de signes cliniques ou de scores prédictifs pour le diagnostic d’infections sévères chez des enfants en contexte ambulatoire (médecins généralistes, pédiatres, services d’urgence)
  • exclusion : études incluant moins de 20 participants, effectuées dans des pays en voie de développement, évaluant la précision d’imagerie, de tests de laboratoire ou invasifs, recherches avec un biais de spectre ou une liste de référence non valide.

 

Population étudiée

  • enfants âgés de 1 mois à 18 ans, sans immunosuppression, avec infection sévère (septicémie, méningite, pneumonie, ostéomyélite, cellulite, gastro-entérite avec déshydratation, infection urinaire compliquée, infection respiratoire virale avec hypoxie).

 

Mesure des résultats

  • rapports de vraisemblances positifs (LR+) et négatifs (LR-) pour chaque signe clinique ; un LR+ supérieur à 5 est considéré comme un voyant rouge (signe d’alarme) ; un LR- inférieur à 0,2 comme un argument d’exclusion
  • odds ou cote préalable au test est la probabilité d’être malade par rapport à la probabilité de ne pas être malade avant la réalisation d’un test diagnostique. Pretest odds = probabilité préalable / (1 - probabilité préalable).">probabilité pré et cote ultérieure au test est la probabilité d’être malade en ayant un résultat de test positif par rapport à la probabilité de ne pas être malade en ayant un résultat de test positif. Posttest odds = pretest odds x rapport de vraisemblance.">post test.

Résultats

  • sélection de 30 études parmi les 1 939 publications pertinentes isolées ; prévalence moyenne d’infections sévères de 15,4% (IQR 8,0 à 23,2)
  • voyants rouges pour les signes respiratoires et circulatoires : cyanose (LR+ entre 2,66 et 52,20), tachypnée (LR+ entre 1,26 et 9,78), circulation périphérique déficiente (LR+ entre 2,39 et 38,80)
  • voyants rouges pour d’autres signes : pétéchies (LR+ entre 6,18 et 83,70), signes d’irritation méningée (LR+ entre 2,57 et 275), perte de conscience (LR+ entre 19,80 et 155)
  • voyants rouges dans un contexte de faible prévalence (1 étude) : inquiétude parentale (LR+ 14,40 ; IC à 95% de 9,30 à 22,10), impression d’élément qui cloche pour le médecin (LR+ 23,50 ; IC à 95% de 16,80 à 32,70) et température supérieure à 40°C (augmentation de la probabilité de 0,8% à 5,0%)
  • aucune absence d’un signe clinique permettant d’exclure une infection sévère ; certaines associations avec force excluante plus élevée : une pneumonie est improbable si l’enfant n’est pas essoufflé et si les parents sont non inquiets et si le médecin juge le tableau cohérent (LR- 0,07 avec IC à 95% de 0,01 à 0,45)
  • le score Yale Observation Scale montre de faibles forces probante et excluante.

 

Conclusion des auteurs

Les voyants rouges pour une infection sévère chez un enfant identifiés dans ces études devraient être utilisés dans la pratique, mais des maladies sérieuses pourraient échapper en l’absence de mesures de précaution. Il reste à déterminer le niveau de risque nécessitant une action clinique.

Financement

Health Technology Assessment et le National Institute for Health Research National School for Primary Care Research.

Conflits d’intérêt

Absence de conflits d’intérêt.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique bien élaborée évaluant la précision diagnostique de signes cliniques dans le cadre d’infections sévères chez des enfants rend compte de manière très claire des preuves trouvées : rapports de vraisemblance mais aussi probabilités pré et post tests illustrées graphiquement. La sélection et l’évaluation de la qualité méthodologique des études est faite par 2 chercheurs indépendamment l’un de l’autre. La plupart des études se voient attribuer un score de faible qualité et une seule étude (1) est effectuée en pratique de médecine générale. Une forte hétérogénéité est observée pour le contexte, pour la probabilité pré test, pour les critères d’inclusion tels que l’âge et les seuils utilisés. Certaines études ont été effectuées avant la généralisation de la vaccination contre l’Haemophilus influenzae et contre le pneumocoque.

 

Mise en perspective des résultats

Cette synthèse méthodique a pour seul but d’évaluer la valeur diagnostique de signes d’alarme cliniques chez des enfants avec une infection sévère qui doivent conduire à une action pouvant sauver la vie. La corrélation entre le diagnostic définitif après référence ou examens diagnostiques complémentaires n’est pas analysée. Une forte variation en termes de force probante des signes cliniques est constatée entre les études. Un problème itératif dans les études cliniques diagnostiques est la différence en valeur diagnostique de symptômes activement recherchés versus symptômes spontanément déclarés. La grande variabilité inter observateurs pour les signes cliniques tels que la couleur de peau ou la circulation périphérique diminue de façon importante l’applicabilité diagnostique et l’extrapolabilité. Un test de référence uniforme pour un ensemble d’infections sévères différentes n’est pas possible et certains signes cliniques sont également utilisés dans le diagnostic final de certains tests de référence, telle la cyanose en cas de septicémie. Les études montrent aussi que les voyants rouges sont peu fréquents lors d’infections sévères ; leur absence n’est pas un facteur de réassurance (beaucoup de faux négatifs). L’étude d’Ann Van den Bruel en 2007 (1) qui se déroule en première ligne de soins (première consultation, sans référence), est la plus pertinente pour le médecin généraliste. Dans ce contexte de médecine générale à faible prévalence d’infection sévère (0,78%), une température corporelle fort élevée a une force probante de 5 à 10, ce qui apporte une probabilité post test limitée à 5%. Cette constatation est en contraste flagrant avec le fait que les parents sont souvent inquiets pour la fièvre observée chez leur enfant et qu’ils consultent un médecin pour ce motif. Dans un contexte de haute prévalence d’infections sévères, la température n’a aucune valeur diagnostique, probablement au moins partiellement parce que la fièvre est un des facteurs d’inclusion.

Le score clinique prédictif le mieux connu, le Yale Observation Scale (2), est de piètre valeur probante et excluante, certainement en excluant les 2 études les plus anciennes effectuées avant le début de la vaccination contre l’Haemophilus influenzae. Ce score est basé sur les observations suivantes : plaintes du bébé, réactions à des stimuli parentaux, degré de conscience, couleur de peau, hydratation et comportement social interactif. Il a montré son utilité principalement en deuxième et troisième lignes de soins avec une forte prévalence d’infections sévères chez des enfants très jeunes (3). Une étude prospective récente, effectuée en Australie (4) chez des enfants (n=15 781) âgés de moins de 5 ans vus en service d’urgences pédiatriques de 3ème ligne montre qu’un mal être général visible, une température élevée, une absence de prise de liquides dans les dernières 24 heures, un temps de revascularisation capillaire augmenté et des pathologies chroniques sous-jacentes sont les facteurs prédictifs principaux. Des plaintes urinaires et la toux sont spécifiques respectivement d’infections urinaires et de pneumonie. Le  Young Infants Clinical Signs Study Group de l’OMS (5) aboutit, dans des pays en voie de développement, à des arguments fort probants à peu près les mêmes, tels qu’un état de conscience diminué, des convulsions, une cyanose, une tachypnée et une mauvaise circulation périphérique.

 

Pour la pratique

Les signes d’alarme proposés par le NHG-standaard (6) comme indicateurs pour une référence immédiate d’enfants malades vers un service d’urgences pédiatriques (altération de l’état de conscience, convulsions, cyanose, circulation périphérique déficitaire, pétéchies, irritation méningée et tachypnée) sont étayés par la présente synthèse méthodique. La seule étude effectuée en première ligne de soins (1) y ajoute les arguments suivants, associés, comme forts probants d’une infection sévère chez un enfant : impression du médecin de quelque chose qui cloche, déclaration des parents d’un signe non habituel, dyspnée et fièvre élevée. Si ces signes d’alarme ne sont pas ou incomplètement présents, des examens complémentaires peuvent être effectués (prise de sang, radiographie du thorax, culture d’urines) et/ou un suivi attentif convenu avec les parents. Cette démarche est également proposée par NICE dans son guide de pratique (7) concernant la fièvre chez l’enfant.

 

Conclusion

Cette synthèse méthodique montre que des arguments fort probants d’infections sévères chez les enfants sont rares dans un contexte de première ligne de soins. L’impression du clinicien que quelque chose cloche ou non et l’inquiétude des parents sont des données importantes si elles s’ajoutent à d’autres informations telles qu’une fièvre élevée, une cyanose, une tachypnée, une circulation périphérique déficiente et des pétéchies. Les seuils d’action clinique doivent encore être précisés.

 

Références

  1. Van den Bruel A, Aertgeerts B, Bruyninckx R, et al. Signs and symptoms for diagnosis of serious infections in children: a prospective study in primary care. Br J Gen Pract 2007;57:538-46.
  2. McCarthy PL, Sharpe MR, Spiesel SZ, et al. Observation scales to identify serious illness in febrile children. Pediatrics 1982;70:802-9.
  3. Bang A, Chaturvedi P. Yale Observation Scale for prediction of bacteremia in febrile children. Indian J Pediatr 2009;76:599-604.
  4. Craig JC, Williams GJ, Jones M, et al. The accuracy of clinical symptoms and signs for the diagnosis of serious bacterial infection in young febrile children: prospective cohort study of 15 781 febrile illnesses. BMJ 2010;340:c1594.
  5. Young Infants Clinical Signs Study Group. Clinical signs that predict severe illness in children under age 2 months: a multicentre study. Lancet 2008;371:135-42.
  6. Berger MY, Boomsma LJ, Albeda FW, et al. NHG-Standaard Kinderen met koorts. Huisarts Wet 2008:51:287-96.
  7. NICE. Feverish illness in children: assessment and initial management in children younger than 5 years. NICE clinical guideline 47, May 2007.   
Diagnostic ambulatoire d’infections sévères chez les enfants

Auteurs

Michiels B.
Vakgroep Eerstelijns- en Interdisciplinaire Zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
COI :

Mots-clés

infection

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