Revue d'Evidence-Based Medicine



Impact des antipsychotiques sur la mortalité des patients schizophréniques ?



Minerva 2010 Volume 9 Numéro 10 Page 122 - 123

Professions de santé


Analyse de
Tiihonen J, Lönnqvist J, Wahlbeck K, et al. 11-year follow-up of mortality in patients with schizophrenia: a population-based cohort study (FIN11 study). Lancet 2009;374:620-7.


Question clinique
Une utilisation prolongée d’antipsychotiques modifie-t-elle le risque de décès prématuré de patients atteints de schizophrénie et existe-t-il une différence entre les antipsychotiques ?


Conclusion
Cette étude conclut que la mortalité des patients atteints de schizophrénie est élevée et que le recours à des antipsychotiques à long terme diminue la mortalité. Différents problèmes méthodologiques dans cette étude rendent cependant les conclusions de ses auteurs peu fiables. Une utilisation prudente des antipsychotiques chez les patients atteints de schizophrénie reste extrêmement importante.


 

Contexte

La schizophrénie est une affection chronique liée à un risque accru de décès précoce. Les patients atteints par cette maladie vivent en moyenne 20 ans de moins. Avec le suicide, les pathologies cardiovasculaires en sont la cause la plus importante (1). Différents antipsychotiques peuvent représenter ou aggraver un facteur de risque de pathologie cardiovasculaire (2). Il n’est cependant pas évident à ce jour de savoir si l’utilisation d’antipsychotiques à long terme influence péjorativement l’espérance de vie des patients avec un trouble psychotique et s’il existe des différences pour ce critère entre les antipsychotiques ?

 

Résumé

Population étudiée

  • 66 881 patients (30 803 hommes et 36 078 femmes) atteints de schizophrénie selon les critères ICD 8, hospitalisés pour cette raison entre le 1 janvier 1973 et le 31 décembre 2004
  • pour les patients sortis de l’hôpital après le 1er janvier 1996, le suivi a commencé le jour suivant la sortie ; pour tous les autres, le 1er janvier 1996
  • 51 ans d’âge moyen en début d’étude ; plus de la moitié des patients >70 ans
  • population finlandaise (5,2 millions d’habitants) choisie comme référence.

Protocole d’étude

  • étude de cohorte prospective sur 11 ans, d’observation dite « naturalistique »
  • analyse des traitements antipsychotiques en cours ou précédents (cumulés) suivant les données de pharmacie pour les patients en ambulatoire (dose établie selon les DDD)
  • sur base de ces données, distinction de : utilisateurs des 3 antipsychotiques de première génération les plus utilisés (thioridazine, halopéridol oral et perphénazine) et des 4 de deuxième génération les plus utilisés (clozapine, olanzapine, rispéridone orale et quétiapine), consommateurs de plusieurs antipsychotiques simultanément, utilisateurs d’antipsychotiques peu fréquemment utilisés et patients n’en prenant aucun
  • comparaison pour les effets aigus (décès cardiaque subit par exemple) et pour les effets à long terme (par ex. diabète avec un lien possible avec un décès cardiovasculaire) entre patients atteints de schizophrénie et consommant ou n’utilisant pas d’antipsychotiques ; pour les effets aigus, l’antipsychotique en cours est pris en considération avec la perphénazine comme référence ; pour les effets à long terme, l’utilisation cumulée est examinée.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : mortalité globale
  • critères secondaires : décès par suicide et sur ischémie coronarienne
  • analyse en modèle de régression de Cox.

Résultats

  • augmentation de la proportion des antipsychotiques de deuxième génération de 13% en 1996 à 64% en 2006
  • mortalité globale : moindre sous antipsychotique à long terme que sans : HR 0,81 avec IC à 95% de 0,77 à 0,84
  • versus perphénazine, mortalité la plus élevée pour la quétiapine (HR 1,41 avec IC à 95% de 1,09 à 1,82) et la plus basse pour la clozapine (HR 0,74 avec IC à 95 % de 0,60 à 0,91) ; versus autres antipsychotiques, mortalité la plus basse avec la clozapine (p<0,0001)
  • espérance de vie : en 2006, de 22,5 ans plus courte pour les patients atteints de schizophrénie versus moyenne pour les sujets finlandais.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que la mortalité des patients atteints de schizophrénie qui utilisent des antipsychotiques à long terme est moindre que celle de ceux qui n’en consomment pas. Les antipsychotiques de deuxième génération forment un groupe hétérogène et la clozapine semble associée à une mortalité substantiellement moindre. Les restrictions fixées pour le recours à la clozapine devraient être réévaluées.

Financement

Ministère finlandais de la Santé et du Bien-être qui n’est intervenu à aucun des stades de la recherche.

Conflits d’intérêt

3 auteurs déclarent des liens avec différentes firmes pharmaceutiques commercialisant des antipsychotiques.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Malgré le nombre important de patients inclus et la longueur de la période de suivi, les problèmes méthodologiques de cette étude sont légion. La mention de données est insuffisante. Des renseignements démographiques et cliniques essentiels pour pouvoir interpréter les résultats sont manquants. Une analyse en sous-groupes sur base des caractéristiques des patients n’est donc pas possible. Nous ne pouvons pas évaluer, avec cette étude, si la mortalité diminuée des utilisateurs d’antipsychotiques versus non utilisateurs est liée aux caractéristiques des patients concernés.

Le suivi véritable ne débute qu’en 1996, malgré une inclusion démarrant en 1973, ce qui explique un âge moyen des sujets inclus élevé lors du début de la période de suivi. Nous ne disposons d’aucune donnée concernant les décès survenus avant 1996. Il est donc possible que les patients avec un risque de décès plus élevé aient déjà été exclus lorsque l’observation a débuté.

Mise en perspective des résultats

L’analyse de la population des sujets décédés est incomplète. Au total, ce sont 19 735 patients qui sont morts : 4 100 parmi ceux prenant des antipsychotiques (9 groupes : 3 avec un antipsychotique de première génération, 4 avec un antipsychotique de deuxième génération, 1 avec une association d’antipsychotiques et 1 avec des antipsychotiques plus rares) et 8 277 qui n’en consommaient pas. En raison d’un décès survenu durant une hospitalisation d’au moins 2 jours, 7 358 patients (soit 64,2% : 7 358/11 458) n’ont pas été inclus dans l’analyse des utilisateurs en cours d’antipsychotique, ce qui peut donner une diminution non correcte de l’estimation du risque de décès lié à l’utilisation en cours d’un antipsychotique précis avant l’hospitalisation. D’autre part, pour d’autres antipsychotiques pris avant l’hospitalisation, le nombre de décès peut être faussement surévalué parce que les décès survenus à l’hôpital sont pris en compte dans l’analyse d’un emploi cumulé au fil des années (3). La méthode d’analyse prenant en compte l’usage cumulatif fausse en outre les résultats en faveur de la clozapine. La clozapine n’est prescrite qu’en cas d’échec des autres antipsychotiques. Les patients qui finalement reçoivent de la clozapine ont déjà « survécu »  à la prise de plusieurs antipsychotiques. Les décès survenus avant l’initiation de la clozapine ne seront jamais pris en compte dans la mortalité liée à ce médicament. Les décès survenant durant un traitement avec la clozapine sont par contre pris en compte dans l’évaluation de la mortalité des médicaments antipsychotiques précédemment utilisés (3).

Il est étonnant que les données du groupe de patients utilisant simultanément plusieurs antipsychotiques ne font pas l’objet d’une analyse spécifique. Il s’agit pourtant d’un groupe important : 40,3% de la totalité des années-patients ! Pour le groupe des patients utilisant les antipsychotiques peu prescrits, soit 21,5% de l’ensemble des années-patients ce qui est plus élevé que la proportion de chacun des groupes avec les antipsychotiques les plus fréquemment prescrits, nous ne disposons également pas de donnée concernant les médicaments utilisés et la mortalité. Dans cette cohorte de patients, un groupe proportionnellement important (28,2%) avec diagnostic clinique de schizophrénie ne reçoit pas d’antipsychotique sur une durée moyenne de 7,8 ans. La mortalité annuelle dans ce groupe est de 5,6% soit 3 fois plus que le chiffre observé dans une enquête finlandaise précédente ; ce constat n’est pas discuté par les auteurs de cette recherche-ci (3).

D’autres études évaluant la mortalité dans différentes régions du monde confirment une mortalité accrue chez les patients atteints de schizophrénie ou autre affection psychiatrique sévère (2,4,5-7) mais, contrairement à l’étude analysée ici, la plupart des autres recherches observent un impact négatif de l’utilisation d’antipsychotiques en termes de mortalité. Les preuves que la clozapine réduirait le risque de suicide sont contradictoires (8). Ce médicament est, en même temps, associé à des effets indésirables métaboliques, hématologiques, digestifs et cardiaques importants (9-11).

  

Pour la pratique

Cette étude nous apprend peu de choses pour la prise en charge de la schizophrénie en première ligne de soins. D’autres études ont montré que le recours à des antipsychotiques était lié à des effets indésirables importants et à une mortalité accrue. Pour ce motif, ces médicaments doivent être utilisés avec la plus grande précaution. Avant d’initier un traitement, une mise au point diagnostique psychiatrique est primordiale. Le bénéfice potentiel d’un tel traitement doit être mis en balance avec ses risques. Chez des patients à risque, la réalisation d’un ECG est indispensable avant traitement (8). Pour le suivi d’un tel traitement, une meilleure collaboration entre la première et la deuxième (ou troisième) lignes est important (12). Un délai (généralement de 4 à 6 semaines) est nécessaire pour observer l’effet attendu. Il est nécessaire d’assurer un suivi systématique des effets indésirables, de l’observance thérapeutique, de la consommation d’alcool, de drogues et d’autres médicaments (8). 

 

Conclusion

Cette étude conclut que la mortalité des patients atteints de schizophrénie est élevée et que le recours à des antipsychotiques à long terme diminue la mortalité. Différents problèmes méthodologiques dans cette étude rendent cependant les conclusions de ses auteurs peu fiables. Une utilisation prudente des antipsychotiques chez les patients atteints de schizophrénie reste extrêmement importante.

 

Références

  1. Morbidity and mortality in people with serious mental illness. Ed: Parks J, Svendsen D, Singer P, Foti M. National Association of State Mental Health Program Directors (NASMHPD) Medical Directors Council, October 2006.
  2. Van Winkel R, Pieters G. Efficacité des antipsychotiques dans la schizophrénie
    MinervaF 2006;5(9):140-2.
  3. De Hert M, Correll CU, Cohen D. Do antipsychotic medications reduce or increase mortality in schizophrenia? A critical appraisal of the FIN-11 study. Schizophr Res 2010;117:68-74.
  4. Fleischhacker WW, Cetkovich-Bakmas M, De Hert M, et al. Cormorbid somatic illnesses in patients with severe mental disorders: clinical, policy, and research challenges. J Clin Psychiatry 2008;69:514-19.
  5. Leucht S, Burkard T, Henderson J, et al. Physical illness and schizophrenia. Acta Psychiatr Scand 2007;116:317-33.
  6. Weinmann, S, Read J, Aderhold V. Influence of antipsychotics on mortality in schizophrenia: systematic review. Schizophr Res 2009;113:1-11.
  7. Laursen TM, Munk-Olsen T, Agerbo E, et al. Somatic hospital contacts, invasive cardiac procedures, and mortality from heart disease in patients with severe mental disorder. Arch Gen Psychiatry 2009;66:713-20.
  8. Clozapine : iléus. Rev Prescr 2007;27:907.
  9. Myocardite due à la clozapine. Rev Prescr 2001; 21:123.
  10. Clozapine (Leponex®) et agranulocytose : résultat de l'étude de cohorte. Rev Prescr 1996;16:135.
  11. NICE. Schizophrenia. The NICE guideline on core interventions in the treatment and management of schizofrenia in adults in primary and secondary care (updated version). NICE Clinical Guideline 82, 2010.
  12. De Hert M, Dekker J, Wood D, Kahl K, et al. Cardiovasculaire ziekte en  diabetes bij mensen met een ernstige psychiatrische stoornis: Position statement van de European Psychiatric Association (EPA), ondersteund door de European Association for the Study of Diabetes (EASD) en de European Society of Cardiology (ESC). Tijdschr Geneeskd 2010;66:269-81.
Impact des antipsychotiques sur la mortalité des patients schizophréniques ?

Auteurs

Cohen D.
Vakgroep Klinische Epidemiologie, Universitair Medisch Centrum Groningen, Nederland
COI :

Correll C.
The Zucker Hillside Hospital, Division of Psychiatry Research, V.S.
COI :

De Hert M.
UPC, Katholieke Universiteit Leuven, campus Kortenberg
COI :

Code





Ajoutez un commentaire

Commentaires