Revue d'Evidence-Based Medicine



Monofilaments pour le diagnostic de la neuropathie périphérique ?



Minerva 2010 Volume 9 Numéro 9 Page 108 - 109

Professions de santé


Analyse de
Dros J, Wewerinke A, Bindels PJ, et al. Accuracy of monofilament testing to diagnose peripheral neuropathy: a systematic overview. Ann Fam Med 2009;7:555-8.


Question clinique
La précision d’un diagnostic de neuropathie périphérique par monofilament est-elle suffisante ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique de trois études hétérogènes ne permettant pas de méta-analyse montre qu’un test avec un monofilament 10 g n’est pas assez précis pour la détection d’une neuropathie du pied chez des patients diabétiques sans ulcère. Elle ne permet pas de conclusions pour des tests avec d’autres monofilaments ni pour d’autres neuropathies que diabétiques.


 

Contexte

Différents tests électrophysiologiques sont disponibles pour la détection d’une neuropathie périphérique. Ces examens sont cependant souvent complexes, exigent un temps de réalisation important et sont onéreux, ce qui complique leur application en première ligne de soins. Des tests cliniques, tel le recours à un monofilament, sont par contre moins coûteux et d’une simplicité attirante. La réalisation d’un tel test est recommandée dans les guides de pratique pour la détection précoce d’une neuropathie périphérique (débutante) chez des personnes présentant des pieds par ailleurs « normaux ».

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

 

Sources consultées

  • MEDLINE et EMBASE (jusqu’en juin 2007)
  • cibles de recherche : monofilaments, neuropathie périphérique, études diagnostiques.

 

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : neuropathie périphérique au niveau des pieds, monofilament 5.07 (10 g) en tant que test index, examen de conduction nerveuse comme test de référence
  • identification de 173 études potentiellement intéressantes ; seules 3 sont retenues par les 2 chercheurs
  • qualité des études évaluées selon les critères QUADAS (Quality Assessment of Diagnostic Accuracy Studies).

Population étudiée

  • patients souffrant d’une neuropathie diabétique dans les 3 études retenues.

Mesure des résultats

  • test index : monofilament 5.07 (10 g)
  • test de référence : examen de conduction nerveuse
  • critères de jugement primaires : sensibilité et spécificité, rapports de vraisemblance positifs (LR+) et négatifs (LR-).

Résultats

  • pas de méta-analyse possible en raison des différences importantes pour la réalisation du test index et de différences significatives dans les valeurs seuils de référence pour les anomalies de conduction
  • pour les critères primaires, pour le monofilament :
    • sensibilité de 0,41 à 0,93
    • spécificité de 0,68 à 1,00
    • LR+ de 2,4 à 16,5
    • LR- de 0,07 à 0,61.
     

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que, malgré l’utilisation fréquente du test au monofilament, peu de données sont disponibles quant à la précision de ce test pour la détection d’une neuropathie au niveau des pieds sans ulcère visualisé. Ce test étant recommandé dans plusieurs guides de pratique clinique, il doit être évalué en priorité pour une application optimale et une définition des valeurs seuils. En conséquence, les auteurs ne recommandent pas le recours exclusif au test au monofilament pour diagnostiquer une neuropathie périphérique.

Financement

Nederlandse Vereniging voor Gezondheidsonderzoek en Zorginnovatie (ZonMw) qui n’est intervenue à aucun des stades de la recherche.

 

Conflits d’intérêt

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

La recherche dans la littérature était suffisamment large selon les auteurs. La recherche se limite aux publications avant juin 2007 et n’inclut donc pas des publications plus récentes. Les auteurs excluent un grand nombre d’articles évaluant des monofilaments d’autres tailles (avec pression de torsion plus importante) ou d’autres parties du corps que les pieds, sans apporter davantage de détails sur l’exclusion d’articles en particulier, ce qui ne permet pas de contrôler l’adéquation de leur sélection. Ils évaluent la qualité des études incluses au moyen d’un outil validé. La plupart des monofilaments utilisés en pratique ont une taille de 4.17, 5.07 et 6.10 (ce qui correspond à une force de torsion de respectivement 1, 10 et 75 grammes). Les auteurs optent pour le monofilament de taille 5.07 parce qu’il s’était révélé le plus sensible dans une précédente recherche pour montrer un déficit sensoriel. Malgré ce choix de monofilament précis, le test index est hétérogène en raison de la variabilité du nombre de localisations testées avec une variation de 1 à 10 selon les études. Le test de référence est également mal décrit dans cette synthèse. Toutes les études incluses présentent aussi des limites méthodologiques qui peuvent entraîner une surestimation de la sensibilité et de la spécificité du test.

 

Interprétation des résultats

Seules trois études sont retenues, concernant toutes des patients souffrant d’un diabète sucré. Soulignons qu’une polyneuropathie diabétique est une affection à physiopathologie spécifique, certainement non représentative d’autres syndromes neuropathiques périphériques douloureux. Les auteurs auraient dû le préciser. Une évolution rapide vers une hypoesthésie à anesthésie complète symétrique au niveau des membres distaux est propre à cette polyneuropathie diabétique. Dans d’autres neuropathies périphériques des symptômes sensoriels positifs (tels qu’hyperalgésie, hyperpathie ou allodynie) ou une association de symptômes sensoriels négatifs et positifs sont souvent présents de façon prolongée. Il n’est donc pas correct de généraliser les résultats de cette synthèse méthodique à tous les types de neuropathies périphériques. Par ailleurs, un test au monofilament peut également être utile dans plusieurs autres situations que la détection de valeurs seuils élevées chez des patients souffrant d’un diabète avec polyneuropathie sensorielle.

La large distribution des rapports de vraisemblance entre les études retenues est à mettre en exergue. Elle est probablement liée à une hétérogénéité clinique importante. Les auteurs ne précisent pas si le recours à ce test est fait pour un dépistage généralisé, pour une recherche sur cas ciblés ou pour un diagnostic. Une seule étude est effectuée en première ligne de soins et elle n’inclut que 37 patients.

 

Autres études

La littérature actuelle reste fort imprécise quant à la valeur diagnostique du test au monofilament, entre autres en raison de la grande variabilité des tailles de ceux-ci et du nombre de localisations testées. Différents auteurs font des suggestions pour augmenter la valeur diagnostique de ce test : se limiter à 3 localisations bien précisées au niveau du pied (face plantaire du gros orteil, du 1er métatarsien et du 5ème métatarsien) (1). La taille du monofilament à utiliser reste aussi une question (2,3). Les auteurs d’une autre synthèse ont montré qu’un test au monofilament 5.07 est un test prédisant de manière significative la survenue d’ulcères chez des patients diabétiques (4). Dans une autre étude (5), un monofilament 6 g correspond, chez des personnes saines, à une valeur de détection sensorielle normale. L’impossibilité de provoquer une telle stimulation indique, selon les auteurs, une détérioration de la perception sensorielle. Ces valeurs seuils de détection semblent cependant variables individuellement. Il est donc proposé d’adopter une gradation dans les stimulations de 6 g, 8 g et 10 g, processus également applicable chez les patients diabétiques. Ces stimulations sont nettement différentes de celles utilisées dans les études reprises dans la synthèse analysée ici.

 

Pour la pratique

La RBP de la SSMG (6) recommande (Niveau 1) de rechercher systématiquement une neuropathie diabétique chez les patients souffrant d’un diabète de type 2 dans le cadre de la prévention du pied diabétique, avec anamnèse ciblée des nerfs sensitifs (et des nerfs autonomes), un examen visuel minutieux des pieds et un test de la sensibilité à l’aide d’un monofilament. Une évaluation des anomalies de la statique du pied et un dépistage d’une maladie vasculaire périphérique permettent de compléter l’évaluation du risque de problèmes du pied. Le monofilament recommandé est celui de 10 g, à appliquer sur la face plantaire du gros orteil et au niveau des têtes métatarsiennes 1 et 5.

La synthèse méthodique analysée ici montre l’absence de preuves suffisantes de l’intérêt de l’utilisation d’un monofilament 10 g pour la détection d’une neuropathie diabétique en première ligne de soins. L’interprétation de ce test doit rester prudente et cadrée.

 

Conclusion

Cette synthèse méthodique de trois études hétérogènes ne permettant pas de méta-analyse montre qu’un test avec un monofilament 10 g n’est pas assez précis pour la détection d’une neuropathie du pied chez des patients diabétiques sans ulcère. Elle ne permet pas de conclusions pour des tests avec d’autres monofilaments ni pour d’autres neuropathies que diabétiques.

 

Références

  1. Feng Y, Schlösser FJ, Sumpio BE. The Semmes Weinstein monofilament examination as a screening tool for diabetic peripheral neuropathy. J Vasc Surg 2009;50:675-82.
  2. Kamei N, Yamane K, Nakanishi S, et al. Effectiveness of Semmes-Weinstein monofilament examination for diabetic peripheral neuropathy screening. J Diabetes Complications 2005;19:47-53.
  3. Lee S, Kim H, Choi S, Park Y, et al. Clinical usefulness of the two-site Semmes-Weinstein monofilament test for detecting diabetic peripheral neuropathy. J Korean Med Sci 2003;18:103-7.
  4. Crawford F, Inkster M, Kleijnen J, Fahey T. Predicting foot ulcers in patients with diabetes: a systematic review and meta-analysis. QJM 2007;100:65-86.
  5. Thomson MP, Potter J, Finch PM, Paisey RB. Threshold for detection of diabetic peripheral sensory neuropathy using a range of research grade monofilaments in persons with Type 2 diabetes mellitus. J Foot Ankle Res 2008;1:9.
  6. Wens J, Sunaert P, Nobels F, et al. Recommandations de Bonne Pratique. Diabète sucré de type 2. SSMG 2007.
Monofilaments pour le diagnostic de la neuropathie périphérique ?

Auteurs

Hans G.
Pijnkliniek, UZ Antwerpen
COI :

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