Revue d'Evidence-Based Medicine



Diabète gestationnel : traitement bénéfique ?



Minerva 2010 Volume 9 Numéro 9 Page 106 - 107

Professions de santé


Analyse de
Horvath K, Koch K, Jeitler K, et al. Effects of treatment in women with gestational diabetes mellitus: systematic review and meta-analysis. BMJ 2010;340:c1395.


Question clinique
Quel est le bénéfice d’un traitement spécifique ou intensif du diabète gestationnel sur les complications durant la grossesse, périnatales et à long terme ?


Conclusion
Cette synthèse de la littérature, après d’autres, montre, chez des femmes dépistées par des tests de charge et tolérance glucidique, la rareté de preuves pertinentes d’un intérêt d’un traitement intensifié (régime + insuline) d’un diabète gestationnel en termes de résultats avec pertinence clinique manifeste.


 

Contexte

Le diabète gestationnel est défini comme un trouble de la tolérance au glucose de sévérité variable qui survient durant la grossesse. La balance bénéfices-risques de son dépistage restait imprécise. Les critères de dépistage/diagnostic ne sont pas consensuels (1), les preuves d’un intérêt de traiter après 24 semaines de grossesse demeurent limitées (2-4). Une nouvelle synthèse méthodique de la littérature apporte-t-elle des éléments plus précis sur les bénéfices du traitement de ce diabète gestationnel ?  

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

 

Sources consultées

  • bases de données EMBASE, EMBASE Alert, MEDLINE, AMED, BIOSIS, BIOS IS Preview, CCMed, CDMS, CDSR, CENTRAL, CINAHL, DARE, HTA, NHS EED, Heclinet, Journals@Ovid Full Text, SciSearch, bases de données d’éditeurs (Hogrefe, Karger, Kluwer, Krause et Pachernegg, Springer, Thieme) jusqu’en octobre 2009
  • listes de références des articles.

 

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : RCTs comparant un traitement spécifique du diabète gestationnel versus soins courants ou un traitement spécifique intensif versus moins intensif, incluant des femmes avec intolérance glucidique, avec au moins un des critères de jugement choisis
  • exclusion des études avec différence non franche d’intensité d’intervention (par exemple traitement additionnel, traitements précédents) ou avec interventions planifiées.

 

Population étudiée

  • femmes enceintes avec intolérance glucidique lors d’un test de tolérance à l’administration orale de glucose
  • 5 études comparant un traitement spécifique versus soins courants : diagnostic en 2 étapes : test de charge en glucose de 50 g ou recherche de facteurs de risque en premier lieu puis test de tolérance à l’administration de 75 ou 100 g de glucose oral ; traitement par régime, plus parfois insuline en fonction des valeurs de la glycémie
  • 14 études comparent des traitements d’intensité différente.

 

Mesure des résultats

  • critères principaux : mortalité maternelle et périnatale, lésions à la naissance, mode de délivrance, dystocie des épaules, pré-éclampsie et éclampsie, hypoglycémie néonatale, hyperbilirubinémie et autres troubles métaboliques nécessitant intervention, détresse respiratoire et mise sous respirateur, admission en service néonatal intensif, durée d’hospitalisation, qualité de vie, effets indésirables.
  • critères accessoires : macrosomie ou poids de naissance élevé, enfants petits pour l’âge gestationnel, prématurité, score d’Apgar, obésité dans l’enfance, hypertension gravidique, diabète de type 2 survenant ultérieurement chez la mère.
  • analyse en modèle d’effets aléatoires.

 

Résultats

    • 5 études comparant un traitement spécifique versus soins courants (n=2 999)
      • pas de différence significative pour la plupart des critères individuels, e.a. le recours à une césarienne (N=4) et la survenue ultérieure d’un diabète chez la mère (N=1)
      • pour des critères de pertinence clinique plus faible, avantage au traitement spécifique pour :
        • dystocie des épaules (N=2) : OR 0,40 (IC à 95% de 0,21 à 0,75)
        • pré-éclampsie (N=1, critère secondaire) : 2,5 versus 5,5%, p=0,02
        • gros bébé (N=4) : OR 0,48 (IC à 95% de 0,38 à 0,62
    • 3 études comparant traitement spécifique intensif versus moins intensif
      • dystocie des épaules : OR 0,31 (IC à 95% de 0,14 à 0,70).
       

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’un traitement du diabète de grossesse consistant en un seul traitement hypoglycémiant ou en une association de celui-ci à des soins obstétricaux particuliers, semble diminuer le risque de certaines complications périnatales. La décision de traiter tiendra compte du fait que les preuves d’un bénéfice sont issues d’études sélectionnant les femmes suivant une stratégie en 2 étapes (test de charge glucidique/dépistage de facteurs de risque, puis test oral de tolérance glucidique).

 

Financement 

Institut für Qualität und Wirtschaftlichkeit im Gesundheitswesen Dillenburger (Köln) dont plusieurs des auteurs sont des employés.

 

Conflits d'intérêt 

déclaration d’absence de conflits d’intérêt pour ce travail signée par chacun des auteurs.

 

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique de la littérature avec méta-analyse est de très bonne qualité. La recherche a été effectuée dans de très nombreuses bases de données, la sélection sur critères précis réalisée indépendamment l’un de l’autre par deux chercheurs, avec un protocole rigoureux d’évaluation de la qualité méthodologique des études originales, de la recherche du risque de biais : randomisation, secret d’attribution, insu des évaluateurs, comparabilité du risque initial des femmes incluses, imputation des données manquantes. Le double-aveugle ne peut être exigé vu le type d’intervention. Les auteurs estiment le risque de biais élevé dans la majorité des études. L’extraction des données a été également faite de manière indépendante par deux chercheurs. L’hétérogénéité est recherchée (tests Chi² et ) sans sommation en cas d’hétérogénéité.

 

Interprétation des résultats

La montagne a accouché d’une souris. La recherche très large dans la littérature n’a pas localisé beaucoup d’études et malgré la diversité des critères de jugement, les sommations possibles de résultats pour plusieurs études sont rares.

Pour les 5 études comparant un traitement spécifique versus soins courants, la population des études est sélectionnée en deux étapes. La première est un test de charge de 50 g de glucose oral positif ou la présence de facteurs de risque de diabète gestationnel. Ces facteurs de risque sont (4) : IMC >25 (surtout un périmètre abdominal >88 cm) avant le début de la grossesse, anamnèse familiale positive pour le diabète de type 2 (surtout au premier degré), âge >25 ans, grossesse multiple, antécédents de diabète gestationnel (macrosomie ou enfants gros pour l’âge gestationnel, >4 kg), antécédents de “Impaired Fasting Glucose” (IFG) avec un “Fasting Plasma Glucose” (FPG) de 110-125 mg/dl, antécédents de “Impaired Glucose Tolerance” (IGT) avec un  test oral de tolérance glucidique (TOTG) égal à 140-199 mg/dl après deux heures. La deuxième étape est un TOTG (50 ou 70 g).    

Dans une des 2 études les plus récentes, l’étude ACHOIS publiée en 2005 (5), un résultat en faveur d’un traitement spécifique (régime + insuline) est montré pour le critère principal composite (décès périnatal, dystocie des épaules, fracture osseuse et paralysie par lésion nerveuse périphérique) : 1% des naissances dans le groupe intervention pour 4% dans le groupe soins courants, p=0,004. L’inclusion de la dystocie des épaules dans ce critère composite prête à discussion : la plupart des dystocies n’entraînent pas de complication (3). L’autre étude plus récente, publiée en 2009 (6), choisit comme critère de jugement composite primaire les décès périnataux, les complications et traumatismes obstétricaux et les complications néonatales, sans différence significative entre les deux bras de traitement. Ce sont les résultats de ces 2 études qui sont utilisés pour montrer une différence méta-analytique pour le nombre de dystocies, critère de pertinence clinique faible comme mentionné ci-dessus. Comme le reconnaissent les auteurs dans leur présentation des résultats (mais non dans leur conclusion d’abstract !), il n’y a guère de résultat favorable significatif pour des critères avec pertinence clinique réelle.

Les différentes études ne mentionnent pas d’effet indésirable des traitements. Elles ne donnent également pas de suivi à long terme des enfants.

 

Autres études

En 2008, une synthèse méthodique de la littérature réalisée par l’US Preventive Services Task Force (2) ne trouvait aucune RCT évaluant le bénéfice et le risque d’un dépistage systématique du diabète gestationnel. Pour déterminer le bénéfice d’un traitement de ce diabète gestationnel, cette recherche s’appuyait sur les résultats de l’étude ACHOIS (5) : un bénéfice d’un traitement spécifique versus soins courants était revendiqué en termes de complications néonatales (critère primaire composite) et de diminution du risque d’HTA gravidique (critère secondaire). Les auteurs de la synthèse concluaient à des preuves limitées suggérant un bénéfice pour certains critères maternels ou néonataux. La critique de ce critère primaire est faite plus haut. La présente synthèse inclut les résultats d’une RCT supplémentaire (6), ce qui ne modifie pas la conclusion globale de faiblesse de preuves.

Nous avions aussi analysé dans Minerva (7) une RCT (8) comparant insuline et metformine utilisée seule ou en association avec de l’insuline en cas de diabète de grossesse. L’efficacité était jugée semblable (pas plus de complications périnatales) mais l’effet à long terme de la metformine sur l’enfant n’est pas évalué.

  

Pour la pratique

La RBP belge sur le suivi de la grossesse (4) mentionne une recommandation (faible) pour le dépistage d’un diabète gestationnel chez toute femme enceinte entre 24 et 28 semaines de grossesse en reconnaissant que cette recommandation pour le dépistage et pour la gestion du diabète gestationnel repose sur un consensus. Le dépistage repose sur un test oral de charge glucidique (50 g), suivi s’il est positif d’un test oral de tolérance glucidique (75 g deux heures ou 100 g trois heures). Les auteurs admettent qu’il est possible de faire l’impasse sur ce dépistage en cas d’absence de tout facteur de risque. Les arguments avancés pour réaliser ce dépistage (risque accru de diabète ultérieur, de mortalité périnatale et de macrosomie) reposent sur des références anciennes (1992, 1997). Les synthèses de la littérature plus récentes, dont celle qui est analysée ici, ne confirment pas ces affirmations. Des Agences britanniques, étatsuniennes et françaises ne recommandent plus de dépistage systématique (3). Des conseils de régime et d’activités physiques, avec ajout éventuel d’insuline restent le premier choix en cas de diabète de grossesse.

 

 

Conclusion

Cette synthèse de la littérature, après d’autres, montre, chez des femmes dépistées par des tests de charge et tolérance glucidique, la rareté de preuves pertinentes d’un intérêt d’un traitement intensifié (régime + insuline) d’un diabète gestationnel en termes de résultats avec pertinence clinique manifeste.

 

Références

  1. Young G. Review: little evidence exists on the benefits and harms of screening for and treating gestational diabetes. Evid Based Med 2008;13:172. Comment on: Hillier TA, Vesco KK, Pedula KL, et al. Screening for gestational diabetes mellitus: a systematic review for the U.S. Preventive Services Task Force. Ann Intern Med 2008;148:766–75.
  2. Hillier TA, Vesco KK, Pedula KL, et al. Screening for gestational diabetes mellitus: a systematic review for the U.S. Preventive Services Task Force. Ann Intern Med 2008;148:766–75.
  3. Diabète gestationnel : trop d’incertitudes pour dépister. Rev Prescrire 2009;29:927-8.
  4. Seuntjens L, Neirinckx J, Van Mackelenbergh A, et al. Recommandations de Bonne Pratique. Suivi de la grossesse. SSMG 2008.
  5. Crowther CA, Hiller JE, Moss JR, et al; Australian Carbohydrate Intolerance Study in Pregnant Women (ACHOIS) Trial Group. N Engl J Med 2005;352:2477-86.
  6. Landon MB, Spong CY, Thom E, et al. A multicenter, randomized trial of treatment for mild gestational diabetes. N Engl J Med 2009;361:1339-48.
  7. Van Pottelbergh I., Poelman T. Metformine pour le diabète de grossesse ? MinervaF 2009;8(7):92-3.
  8. Rowan JA, Hague WM, Gao W, et al. Metformin versus insulin for the treatment of gestational diabetes. N Engl J Med 2008;358:2003-15.
Diabète gestationnel : traitement bénéfique ?

Auteurs

Chevalier P.
médecin généraliste
COI :

Jandrain B.
Service de Diabétologie, Nutrition et Maladies métaboliques, CHU de Liège
COI :

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