Revue d'Evidence-Based Medicine



Radiculopathie cervicale : minerve, kinésithérapie ou attitude expectative ?



Minerva 2010 Volume 9 Numéro 8 Page 96 - 97

Professions de santé


Analyse de
Kuijper B, Tans J, Beelen A, et al. Cervical collar or physiotherapy versus wait and see policy for recent onset cervical radiculopathy: randomised trial. BMJ 2009;339:b3883


Question clinique
Quelle est l’efficacité d’un traitement par minerve semi-rigide ou par kinésithérapie, en comparaison avec une attitude expectative, dans la radiculopathie cervicale aiguë chez l’adulte ?


Conclusion
Cette étude qui évalue l’intérêt du repos avec port d’une minerve versus kinésithérapie dans une cervicalgie récente avec radiculopathie montre un bénéfice statistiquement significatif des deux interventions versus soins usuels dans les 6 premières semaines de suivi mais la pertinence clinique des différences observées est incertaine. A 6 mois, plus aucune différence n’est observée.


 

Contexte

La radiculopathie cervicale est un problème fréquent. Deux études randomisées anciennes n’ont pas montré l’intérêt du port d’une minerve ou de la kinésithérapie dans la radiculopathie chronique (1,2). L’intérêt de ces traitements dans la phase aiguë n’avait pas encore été évalué.

 

Résumé

Population étudiée

  • 205 patients (sur 275 recrutés) avec des symptômes de radiculopathie cervicale de survenue récente (<4 semaines), référés par des médecins généralistes vers 3 hôpitaux hollandais
  • critères d’inclusion : âge entre 18 et 75 ans, radiculopathie de moins d’1 mois, douleur brachiale ≥40 mm sur une échelle visuelle analogique (EVA) de 0 à 100 mm, irradiation de la douleur au delà du coude et au moins un signe supplémentaire : douleur brachiale déclenchée par la  mobilisation cervicale ou troubles sensitifs d’au moins un dermatome adjacent ou réflexes tendineux profonds diminués dans le membre affecté ou faiblesse musculaire d’au moins un myotome adjacent
  • critères d’exclusion : signes de compression médullaire, traitement antérieur avec minerve ou kinésithérapie, mauvaise compréhension de l’anglais ou du néerlandais.

Protocole d’étude

  • étude randomisée contrôlée
  • patients répartis en 3 bras : soit port d’une minerve semi-rigide en journée pendant 3 semaines avec repos maximal, puis sevrage progressif (n=69), soit kinésithérapie (mobilisation et stabilisation cervicale) bihebdomadaire pendant 6 semaines et éducation à des exercices quotidiens à domicile (n=70) soit groupe contrôle avec encouragement à continuer autant que possible les activités habituelles (n=66)
  • recours à des antalgiques (paracétamol avec ou sans AINS, voire opioïdes) autorisé
  • suivi à 3 et 6 semaines et à 6 mois avec anamnèse et examen neurologique à l’entrée, à 6 semaines et à 6 mois.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : mesure de la douleur cervicale et de la douleur brachiale sur une EVA de 0 à 100 mm, du handicap cervical évalué avec un index de 100 points (10 questions sur la fonction, les symptômes, la concentration) ; résultats calculés en modification moyenne par semaine
  • critères de jugement secondaires : satisfaction par rapport au traitement (échelle de 5 points) ; utilisation d’AINS, d’opioïdes ; absentéisme au travail
  • imputation des données manquantes en LOCF.

 

Résultats

  • 5 patients du groupe « minerve », 3 du groupe « kinésithérapie » et 4 du groupe contrôle ont été opérés
  • critères primaires pour les 6 premières semaines : voir tableau
  • critères primaires à 6 mois : pas de différence significative au niveau des valeurs médianes
  • critères secondaires : pas de différence significative.

 

Tableau. Modifications moyennes par semaine (avec IC à 95% et valeur p) pour les critères primaires pour le groupe contrôle et modification additionnelle avec le port de la minerve ou avec la kinésithérapie durant les 6 premières semaines.

Critère

Groupe contrôle

Changement supplémentaire dans le groupe minerve

Changement supplémentaire dans le groupe kinésithérapie

Douleur brachiale

-3,1(-4,0 à -2,2) p<0,001

-1,9 (-3,3 à -0,5) p=0,006

-1,9 (-3,3 à -0,8) p=0,007

Douleur cervicale

-0,9 (-2,0 à 0,3) p=0,11

-2,8 (-4,2 à -1,3) p<0,001

-2,4 (-3,9 à -0,8) p=0,002

Handicap cervical

-1,4 (-1,9 à -0,9) p<0,001

-0,9 (-1,6 à -0,1) p=0,024

-0,8 (-1,8 à 0,2) p=0,090

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que dans la phase initiale d’une radiculopathie cervicale, une minerve semi-rigide avec repos de 3 à 6 semaines et la kinésithérapie avec exercices à domicile diminuent  significativement la douleur cervicale et brachiale à 6 semaines, en comparaison avec une attitude expectative.

Financement 

Salaire d’un infirmier chercheur payé par une Fondation sans but lucratif.

 

Conflits d’intérêt 

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

La présentation de l’étude est détaillée, la méthodologie et les outils de mesures clairement expliqués. La randomisation s’est faite de façon satisfaisante, même si bien sûr l’étude ne pouvait se faire en double aveugle, ce qui en constitue une limite. Ce biais est renforcé par le fait que les bilans neurologiques ont été réalisés par les chercheurs eux-mêmes et non par des neurologues extérieurs en insu du traitement reçu. Les auteurs signalent eux-mêmes qu’ils n’ont pu inclure que 205 patients, sur les 240 patients prévus pour atteindre une puissance de 90%. Il est étonnant que les auteurs aient inclus la mesure de la douleur cervicale et du handicap dans les critères de jugement primaires alors qu’ils ont expliqué que le critère de détermination de la taille de l’échantillon était basé sur la mesure de la douleur brachiale (différence moyenne de 10 mm estimée comme cliniquement pertinente), ce qui en faisait le seul critère de jugement primaire.

 

Interprétation des résultats

La population de cette étude était peut-être hétérogène car le recrutement s’est fait uniquement sur base de l’examen clinique, vu le choix des auteurs de se rapprocher autant que possible des conditions cliniques. En outre, la population pouvait regrouper aussi bien des patients avec apparition d’une douleur spontanée que des victimes de traumatismes. Les résultats présentés ne permettent pas au lecteur de savoir combien de patients bénéficient de l’intervention et la signification clinique des différences pose question. Sur base d’études sur les échelles visuelles utilisées, les auteurs considèrent ces différences pour la douleur (12 à 17 mm sur EVA) comme cliniquement pertinentes, mais ils reconnaissent que cela peut varier selon le contexte de l’étude et la hauteur du score initial. Pour le score de handicap, la pertinence clinique de la différence observée est vraiment douteuse. L’absence de différence significative en termes de satisfaction des patients questionne aussi la pertinence de la signification clinique des différences enregistrées. A six mois de suivi, plus aucune différence n’est observée. Des résultats en termes de nombre de patients et non en termes de moyennes ou de médianes auraient été plus éclairants pour le clinicien. Ces résultats concernent des patients référés et ne sont pas extrapolables pour les incidents aigus.

Les auteurs ne trouvent pas de différence significative en termes de résultats entre les deux attitudes opposées : l’immobilisation ou la mobilisation. Dans leur discussion, ils recommandent la minerve semi-rigide pour des raisons économiques, mais leur étude ne comprenait pas d’évaluation efficacité/coût.

Mise en perspective des résultats

La douleur cervicale simple évolue quasi toujours favorablement, mais une radiculopathie avec irradiation dans le bras très douloureuse se solde plus souvent par une intervention chirurgicale. Très peu d’études se sont intéressées aux nombreux traitements non chirurgicaux de celle-ci. Une méta-analyse récente a trouvé de faibles arguments pour la mobilisation et les exercices dans la douleur cervicale (3). Plusieurs synthèses de la Cochrane Collaboration ont étudié les effets de la mobilisation, des exercices, des massages, de l’éducation des patients et n’ont trouvé que des arguments relativement faibles en faveur des différentes approches (4,5). Les auteurs de toutes ces études concluent à la nécessité de nouvelles recherches. La synthèse de Clinical Evidence n’a pu retenir aucun traitement d’efficacité reconnue ou probable (chirurgical, médicamenteux ou autre) dans la radiculopathie cervicale (6). 

Pour la pratique

La radiculopathie cervicale est un problème fréquent qui a en général une évolution naturelle favorable. Cette étude, qui présente un certain nombre de limites, suggère qu’une prise en charge rapide avec minerve ou kinésithérapie pourrait avoir un effet bénéfique sur la rapidité de la résolution des symptômes, mais la pertinence clinique des différences observées n’est pas certaine. Elle ne montre pas d’efficacité à 6 mois d’évolution. En l’absence d’autre étude dans cette situation précise, il n’est pas possible de faire de recommandation. 

 

Conclusion

Cette étude qui évalue l’intérêt du repos avec port d’une minerve versus kinésithérapie dans une cervicalgie récente avec radiculopathie montre un bénéfice statistiquement significatif des deux  interventions versus soins usuels dans les 6 premières semaines de suivi mais la pertinence clinique des différences observées est incertaine. A 6 mois, plus aucune différence n’est observée.

 

Références

  1. Persson LC, Carlsson CA, CarlssonJY. Long-lasting cervical radicular pain managed with surgery, physiotherapy, or a cervical collar: a prospective, randomized study. Spine 1997;22:751-8.
  2. Pain in the neck and arm: a multicentre trial of the effects of physiotherapy, arranged by the British Association of Physical Medicine. BMJ1966;1:253-8.
  3. Hurwitz EL, Carragee EJ, van der Velde G, et al. Treatment of neck pain: noninvasive interventions: results of the bone and joint decade 2000-2010 task force on neck pain and its associated disorders. Spine 2008;33(4 suppl):S123-52.
  4. Gross A, Miller J, D'Sylva J, et al. Manipulation or Mobilisation for Neck Pain. Cochrane Database Syst Rev 2010, Issue 1.
  5. Kay TM, Gross A, Goldsmith CH, et al. Exercises for mechanical neck disorders. Cochrane Database Syst Rev 2005, Issue 3.
  6. Binder A. Neck pain. Clinical Evidence. Web publication date : 04 Aug 2008 (based on May 2007 search date).
Radiculopathie cervicale : minerve, kinésithérapie ou attitude expectative ?

Auteurs

Crismer A.
Département Universitaire de Médecine Générale, Université de Liège
COI :

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