Revue d'Evidence-Based Medicine



Les facteurs de risque cardiovasculaire sont-ils identiques chez les personnes âgées ?



Minerva 2010 Volume 9 Numéro 8 Page 89 - 89

Professions de santé


 

Comme nous le montre une étude épidémiologique analysée dans ce numéro de la revue Minerva (1), contrairement à l’ensemble des adultes, la relation entre surpoids et mortalité semble différente chez les personnes âgées. La relation poids-mortalité apparaît en « courbe en J », avec accroissement de la mortalité pour des valeurs faibles et élevées de l’Indice de Masse Corporelle (IMC). Par ailleurs, une intervention consistant en un régime hypocalorique dans la population âgée avec malnutrition associant obésité et sarcopénie (déficit de la masse et de la force musculaires) peut être défavorable (2), très probablement parce que cette obésité sarcopénique ne représente pas un accroissement du risque cardiovasculaire (CV) (3), et qu’un régime restrictif peut aggraver la fonte musculaire ; obésité et fonte musculaire contribuent alors toutes deux à diminuer les capacités fonctionnelles de la personne âgée. Cet exemple de différence apparente entre données épidémiologiques et résultats d’intervention pour les facteurs de risque est-il le seul d’une différence possible entre personnes âgées et personnes plus jeunes ? La question subsidiaire est de définir des tranches d’âge parmi les personnes âgées, et d’étudier plus attentivement les personnes de 65 à 74 ans, de 75 à 84 ans, et celles de plus de 85 ans.  

Cholestérolémie

Une méta-analyse (4) a confirmé l’intérêt d’un traitement par statine en prévention secondaire chez des personnes âgées de 65 à 82 ans en termes de réduction de la mortalité de toute cause (RRR 22% à 5 ans). L’importante RCT PROSPER dans une population âgée de 70 à 82 ans à risque CV accru mais en majorité en prévention primaire (5), analysée dans Minerva (6), n’a par contre pas montré de bénéfice pour la (prava)statine. Récemment, une sous-analyse de l’étude JUPITER en prévention primaire pour le groupe des personnes de 70 ans et plus n’a pas non plus montré de diminution significative de la mortalité sous (rosuva)statine (7).

A l’opposé, une étude d’observation (8) prospective sur 3 ans en moyenne d’une population étatsunienne âgée de 65 à 98 ans montre, après ajustement pour l’IMC, les comorbidités, les variables démographiques et le génotype lipidique (apolipoprotéine E), qu’un taux faible de cholestérol est un facteur prédictif robuste de mortalité chez des personnes âgées non démentes. Ces observations rejoignent celles de l’étude de la ville de Leiden (9) qui a montré un paradoxe chez des personnes de 85 ans et plus : comparés au tertile à cholestérol bas (200 mg/dl), les tertiles à cholestérol moyen (200-260) et élevé (260 mg/dl) ont montré un risque relatif de mortalité abaissé respectivement à 81% et à 64%.

Hypertension artérielle

En 1986 déjà, une étude (10) montrait l’intérêt de traiter une HTA chez les personnes de plus de 60 ans (moyenne 72±8) en termes de réduction d’événements CV mais pas de la mortalité globale. Semblables résultats ont été observés dans les années ’90 lors des études SHEP (11), SYSTEUR (12) et INDANA (13). Par contre, une récente étude (14,15) a elle montré l’intérêt d’un traitement (diurétique ± IEC) chez des personnes ≥ 80 ans et hypertendues en termes de diminution de la mortalité globale, et surtout de l’insuffisance cardiaque avec un NST d’environ 50 à 2 ans. La prévention chez des personnes âgées en bonne santé d‘un premier accident CV mortel ou non par diurétique visant une cible accessible (TA 150/80 mmHg) est efficace, simple et bien tolérée.

L’étude ACCOMPLISH (16) a montré que l’ajout à un IEC, chez des personnes hypertendues de 70 ans et plus, d’un antagoniste calcique ou d’un diurétique n’entraînait pas de différences significatives en termes de mortalité CV ou d’accidents vasculaires cardiaques ou cérébraux. D’autre part, une étude d’observation sur 9 ans d’une population finlandaise âgée d’au moins 85 ans (17) montrait, après ajustement pour l’âge, le sexe, les capacités fonctionnelles et les comorbidités, qu’une pression systolique plus basse (<140 ou 140-159 plutôt que ≥160) était associée avec un plus grand risque de décès. Une étude d’observation hollandaise (18) montrait que des chiffres tensionnels de PAS >140 et de PAD >70 mmHg après 85 ans n’étaient pas un facteur de risque de mortalité, quelle que soit l’anamnèse d’hypertension. Au contraire de chiffres inférieurs à 140/70 mmHg.

Contradictions ou juxtapositions interrogatives ?

Les données épidémiologiques montrent que mieux vaut des valeurs « un peu élevées » que basses pour le poids, la tension artérielle et le cholestérol, en termes d’indépendance fonctionnelle et de durée de vie. Ces paradoxes ont mené au concept d’ « épidémiologie inverse » des personnes âgées. Les exemples donnés ci-dessus, issus d’une littérature beaucoup plus vaste, illustrent aussi les difficultés de tirer actuellement des conclusions : population d’étude d’intervention fort sélectionnée (et en bonne santé) et/ou tranche d’âge souvent fort étendue au-delà de 65 ans, faible proportion des personnes les plus âgées (≥85 ans), et limites propres aux études d’observation dans la collecte de toutes les variables pouvant influencer les résultats. Il faut également rappeler la différence fondamentale entre une observation épidémiologique (telle valeur représente tel risque, de façon causale ou non) et le bénéfice d’une intervention (telle valeur obtenue par un traitement diminue effectivement le risque d’un tel pourcentage). Ces études n’apportent également pas de réponses claires au praticien sur l’intérêt d’adopter des attitudes différentes selon des tranches d’âge précises. Le problème est cependant réel : les facteurs de risque CV classiques ne sont pas des facteurs prédictifs corrects pour des personnes âgées, et a fortiori pour celles de 85 ans et plus (19). Il importe de pouvoir à l’avenir faire mieux. L’étude BELFRAIL actuellement en cours en Belgique dans une cohorte de patients de plus de 80 ans nous apportera des éléments utiles dans ce domaine. 

 

 

Références 

  1. Poelman T. Longevité plus importante en cas de surpoids chez les personnes âgées? MinervaF 2010;9(8):90-1.
  2. Miller SL, Wolfe RR. The danger of weight loss in the elderly. J Nutr Health Aging 2008;12:487-91.
  3. Stephen WC, Janssen I. Sarcopenic-obesity and cardiovascular disease risk in the elderly. J Nutr Health Aging 2009;13:460-6.
  4. Afilalo J, Duque G, Steele R, et al. Statins for secondary prevention in elderly patients: a hierarchical bayesian meta-analysis. J Am Coll Cardiol 2008;51:37-45.
  5. Sheperd J, Blauw GJ, Murphy MB, et al; PROSPER study group. PROspective Study of Pravastatin in the Elderly at Risk. Pravastatin in elderly individuals at risk of vascular disease (PROSPER); a randomised controlled trial. Lancet 2002;360:1623-30.
  6. Lemiengre M. Traitement hypocholestérolémiant en 2004. MinervaF 2004;3(4):58-68.
  7. Glynn RJ, Koenig W, Nordestgaard BG, et al. Rosuvastatin for primary prevention in older persons with elevated C-reactive protein and low to average low-density lipoprotein cholesterol levels: exploratory analysis of a randomized trial. Ann Intern Med 2010;152:488-96.
  8. Schupf N, Costa R, Luchsinger J, et al. Relationship between plasma lipids and all-cause mortality in nondemented elderly. J Am Geriatr Soc 2005;53:219-26.
  9. Weverling-Rijnsburger AW, Blauw GJ, Lagaay AM, et al. Total cholesterol and risk of mortality in the oldest old. Lancet 1997;350:1119-23.
  10. Amery A, De Schaepdryver A. Intérêt du traitement de l’hypertension artérielle du sujet âgé. Thérapie 1986;41:473-80.
  11. Prevention of stroke by antihypertensive drug treatment in older persons with isolated systolic hypertension. Final results of the Systolic Hypertension in the Elderly Program (SHEP). SHEP Cooperative Research Group. JAMA 1991;265:3255-64.
  12. Staessen JA, Fagard R, Thijs L, et al. Randomised double-blind comparison of placebo and active treatment for older patients with isolated systolic hypertension. The Systolic Hypertension in Europe (Syst-Eur) Trial Investigators. Lancet 1997;350:757-64.
  13. Gray J. Review: antihypertensive drugs reduce stroke in patients 80 years of age or older. EBM 1999;144. Comment on Gueyffier F, Bulpitt C, Boissel JP, et al, for the INDANA Group. Antihypertensive drugs in very old people: a subgroup meta-analysis of randomized controlled trials. Lancet 1999;353:793-6.
  14. Beckett NS, Peters R, Fletcher AE, et al; HYVET Study Group. Treatment of hypertension in patients 80 years of age or older. N Engl J Med 2008;358:1887-98.
  15. De Cort P. Traitement de l’hypertension chez les personnes âgées d’au moins 80 ans.  MinervaF 2008;7(9):130-1.
  16. Jamerson K, Weber MA, Bakris GL, et al; ACCOMPLISH Trial Investigators. Benazepril plus amlodipine or hydrochlorothiazide for hypertension in high-risk patients. N Engl J Med. 2008;359:2417-28.
  17. Rastas S, Pirttila T, Viramo P, et al. Association between blood pressure and survival over 9 years in a general population aged 85 and older. J Am Geriatr Soc 2006;54:912-8.
  18. Van Bemmel T, Gussekloo J, Westendorp RG, Blauw GJ. In a population-based prospective study, no association between high blood pressure and mortality after 85 years. J Hypertens 2006;24:287-92.
  19. De Ruijter W, Westendorp RG, Assendelft WJ, et al. Use of Framingham risk score and new biomarkers to predict cardiovascular mortality in older people: population based observational cohort study. BMJ 2009;338:a3083.
Les facteurs de risque cardiovasculaire sont-ils identiques chez les personnes âgées ?

Auteurs

Boland B.
Service de Gériatrie, Cliniques Universitaires Saint-Luc, UCL
COI :

Chevalier P.
médecin généraliste
COI :

Glossaire

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