Revue d'Evidence-Based Medicine



Co-trimoxazole en prophylaxie d’infections urinaires chez l’enfant prédisposé



Minerva 2010 Volume 9 Numéro 7 Page 78 - 79

Professions de santé


Analyse de
Craig JC, Simpson JM, Williams GJ, et al; Prevention of Recurrent Urinary Tract Infection in Children with Vesicoureteric Reflux and Normal Renal Tracts (PRIVENT) Investigators. Antibiotic prophylaxis and recurrent urinary tract infection in children. N Engl J Med 2009;361:1748-59.


Question clinique
L’administration de co-trimoxazole (CO-TMX) à faible dose au long cours peut-elle empêcher la survenue d’infection urinaire chez des enfants prédisposés ?


Conclusion
Cette étude montre l’intérêt (modeste), en termes de prévention d’une récidive, d’un traitement prophylactique par sulfaméthoxazole-triméthoprime durant 12 mois chez des enfants ayant fait une infection urinaire symptomatique. Par manque de puissance, elle ne peut montrer un effet sur la progression des séquelles parenchymateuses ni montrer une différence significative entre les différents sous-groupes de l’effet clinique.


 

Contexte

L’infection urinaire (IU) est une maladie courante chez les enfants et peut entraîner des séquelles parenchymateuses chez environ 5% d’entre eux. L’observation que l’infection urinaire est associée au reflux vésico-urétéral (RVU) et aux cicatrices parenchymateuses a poussé les cliniciens à réaliser une cystographie systématique chez les enfants ayant présenté un premier épisode d’IU et à leur administrer une faible dose antibiotique préventive pendant plusieurs années. Cette pratique est aujourd’hui largement remise en question.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 576 enfants âgés de 0 à 18 ans (âge moyen 14 mois) ayant développé un épisode d’IU symptomatique recrutés dans 4 centres australiens ; 42% avec RVU parmi lesquels 53% un grade III ou plus ; 71% des enfants enrôlés présentaient un premier épisode d’IU.
  • critères d’exclusion : facteurs urologiques, squelettiques ou neurologiques prédisposants, allergie au CO-TMX.

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée, contrôlée versus placebo, en double aveugle, multicentrique
  • avant randomisation, triméthoprime-sulfaméthoxazole (CO-TMX) durant 2 semaines pour tous les enfants
  • après randomisation : traitement prophylactique : CO-TMX à la dose de 2 mg/kg/j TMP et 10 mg/kg/j SMX (n=288) versus placebo (n=288)
  • étude interrompue dès la survenue d’une nouvelle IU
  • définition d’IU : association de symptômes suggestifs et d’une culture positive (au moins 1 germe pathogène si l’urine est prélevée par ponction sus-pubienne ; au moins 10 000 germes d’un seul organisme par cathétérisation vésicale et au moins 100 000 germes d’un seul organisme par mi-jet).
  • stratification initiale en sous-groupes selon l’âge, le sexe, la présence ou non d’un RVU et son grade, un antécédent d’une ou plusieurs IU et la sensibilité du microbe ayant causé l’IU index au CO-TMX
  • traitement de 12 mois, avec visite pédiatrique 1 x / 3 mois
  • analyse en intention de traiter.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : la survenue d’une nouvelle infection urinaire symptomatique (mêmes critères qu’à l’inclusion) dans les 12 mois
  • critères de jugement secondaires : la survenue d’une IU fébrile, la nécessité d’une hospitalisation à cause de l’IU ou pour une autre raison, l’administration d’un antibiotique pour une maladie intercurrente, la survenue d’une IU due à un germe résistant au CO-TMX et la détérioration de l’image scintigraphique corticale à 12 mois.

 

Résultats

  • Critère primaire
    • 13% d’enfants avec infection urinaire sous CO-TMX et 19% dans le groupe placebo : rapport de hasards désigne le risque relatif de survenue d’un résultat dans une analyse réalisée à l’aide du modèle de régression de Cox. Il s’agit d’un risque relatif « instantané » tenant compte de la durée de présence dans l’étude.">HR 0,61 ; IC à 95% de 0,40 à 0,93 ; p=0,02 ; NST 14 (IC à 95% de 9 à 86) à 12 mois
    • résultats semblables dans tous les sous-groupes à l’exception du groupe des enfants avec un agent causal de l’IU index résistant au CO-TMX
    • 75% des IU survenues dans le groupe placebo se sont développées dans les 6 mois après la randomisation
  • Critères secondaires
    • IU fébrile : 7% sous CO-TMX et 13% sous placebo ; HR 0,49 ; IC à 95% de 0,28 à 0,86
    • nombre d’IU causées par des microbes résistant au CO-TMX plus grand dans le groupe CO-TMX
    • détérioration de l’image scintigraphique inclusion versus fin d’étude : peu nombreuses, sans différence significative
    • hospitalisations et traitements antibiotiques : réduction non significative sous CO-TMX.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’une administration à long terme de triméthoprime/sulfaméthoxazole est associée à une diminution du nombre d’infections urinaires chez des enfants prédisposés. Ce traitement paraît concordant pour les sous-groupes déterminés, mais modeste.

 

Financement 

Conseil National de la Santé australien, Conseil de Recherche médicale et une Fondation pour les enfants.

Conflits d’intérêt 

aucun conflit d’intérêt n’est déclaré.

  

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Le protocole de cette étude est correctement élaboré. La randomisation est faite par téléphone par un centre indépendant. Elle se déroule en double aveugle. Les auteurs donnent une définition correcte d’IU avec un prélèvement de l’échantillon urinaire par cathéter. La limite de cette étude est son échantillon limité. Il est utile de rappeler que si l’on assume un risque de récidive d’IU de 20% dans le groupe placebo, il faudrait recruter 600 enfants pour détecter une réduction du risque absolu de récurrence de 10%. Cette étude n’était pas suffisamment puissante pour évaluer l’effet de la prophylaxie sur la progression des séquelles parenchymateuses ni pour montrer une différence significative entre les différents sous-groupes de l’effet clinique.

 

Résultats d’autres études

Pendant des décennies, il a été recommandé de donner une antibiothérapie prophylactique prolongée aux enfants ayant développé une IU et/ou avec RVU, sur base d’études de mauvaise qualité et portant sur un petit nombre de patients. Suivant des données récentes (1), dans la population générale, le risque de développer des cicatrices parenchymateuses qui mèneraient à l’insuffisance rénale chronique après un unique épisode de pyélonéphrite aiguë est de moins de 1/1.106. Chez les enfants avec mise en évidence d’un RVU de grade III à V, le risque de lésions rénales est 4 à 6 x plus grand que le risque associé aux RVU de grade I et II et 8 à 10 x plus élevé que celui des enfants sans RVU (2). Depuis 1997, 4 études randomisées contrôlées ont adressé cette question de l’utilité de la prophylaxie chez les enfants avec IU et/ou RVU. Garin et coll. ont étudié 218 enfants âgés de 3 mois à 18 ans et n’ont pas observé que les RVU de grade bas à modéré augmentaient le risque de récidive d’IU ni de séquelle parenchymateuse après un premier épisode de pyélonéphrite aiguë (PNA) (3). Pennesi et coll. n’ont pas pu démontrer l’efficacité d’une prophylaxie par CO-TMX à prévenir la survenue de nouvelles IU ou de lésions parenchymateuses chez 100 enfants âgés de moins de 30 mois après un premier épisode de PNA (4). L’étude de Conway et coll. n’a également pas observé d’avantage à la prophylaxie antibiotique sur le risque de récidive d’IU chez 64 enfants âgés de 6 ans ou moins après un premier épisode d’IU. Elle a, par contre, montré que la prophylaxie augmentait la probabilité de développer une IU avec un germe résistant (5). Roussey-Kesler et coll. ont démontré que la prophylaxie ne réduisait pas le risque de récidive d’IU sauf chez les garçons avec un RVU de grade III (6).

 

Apport de cette étude

La présente étude est donc la cinquième étude randomisée contrôlée s’intéressant à ce sujet. C’est aussi la plus puissante et la mieux conduite et la seule à prouver que la prophylaxie permet une réduction modeste mais significative (NST de 14 sur 12 mois) du nombre d’IU récidivantes. La réduction du risque de récidive d’IU était plus grande chez les enfants avec RVU de grade III à V (6,8%) par rapport aux enfants avec RVU I-II (5,4%) et ceux sans RVU (1,8%) mais cette tendance n’était pas significative. Elle montre aussi que ce traitement augmente le risque de développer une IU symptomatique causée par un germe résistant et que les enfants qui ont eu initialement une IU liée à un organisme résistant au CO-TMX semblent ne retirer aucun bénéfice de cette prophylaxie par la suite.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer les conclusions différentes des études précédentes : un manque de puissance pour détecter des différences cliniques significatives, l’absence de double aveugle, une définition moins stricte de l’IU avec, notamment, des prélèvements d’urine inadéquats (sac collecteur, 80% de résultats faux positifs possibles) et l’utilisation de critères d’inclusion qui ne soient pas représentatifs de tous les enfants prédisposés (certaines études ont limité le recrutement à une population particulière d’enfants à risque - comme les enfants avec RVU de grade I à III à l’exclusion des grades supérieurs-, ce qui ne permet pas de généraliser leurs conclusions).

Nous attendons les résultats de 2 études en cours, l’une en Suède et l’autre aux E.-U., portant sur un nombre encore plus grand de patients, qui permettront d’évaluer l’efficacité de la prophylaxie dans différents sous-groupes d’enfants, en particulier les différents grades de RVU.

 

Pour la pratique

Sur la base d’une absence de preuve de l’efficacité d’un traitement  prophylactique dans les études récentes et d’un risque quasi inexistant de séquelles parenchymateuses rénales graves après un unique épisode de pyélonéphrite, les enfants sans risque particulier, ce compris avec RVU I-II, ne doivent pas recevoir de prophylaxie au long cours après un premier épisode d’IU. Par contre, l’étude analysée ici encourage à envisager une antibiothérapie prophylactique chez les enfants avec RVU de grade III et plus et/ou ayant présenté des IU inhabituelles ou récidivantes. Dans les deux derniers cas, la prophylaxie pourrait être donnée 6 mois, la période qui paraît le plus à risque.

 

Conclusion

Cette étude montre l’intérêt (modeste), en termes de prévention d’une récidive, d’un traitement prophylactique par sulfaméthoxazole-triméthoprime durant 12 mois chez des enfants ayant fait une infection urinaire symptomatique. Par manque de puissance, elle ne peut montrer un effet sur la progression des séquelles parenchymateuses ni montrer une différence significative entre les différents sous-groupes de l’effet clinique.

 

Références

  1. Blumenthal I. Vesicoureteric reflux in children: where next? [Comment] Lancet 2005;365:570-1.
  2. Hoberman A, Keren R. Antimicrobial prophylaxis for urinary tract infection in children. [Editorial] N Engl J Med 2009;361:1804-6.
  3. Garin EH, Olavarria F, Nieto VG, et al. Clinical significance of primary vesicoureteral reflux and urinary antibiotic prophylaxis after acute pyelonephritis: a multicenter, randomized, controlled study. Pediatrics 2006;117:626-32.
  4. Pennesi M, Travan L, Peratoner L, et al; North East Italy Prophylaxis in VUR study group. Is antibiotic prophylaxis in children with vesicoureteral reflux effective in preventing pyelonephritis and renal scars? A randomized, controlled trial. Pediatrics 2008;121:e1489-94.
  5. Conway PH, Cnaan A, Zaoutis T, et al. Recurrent urinary tract infections in children: risk factors and association with prophylactic antimicrobials. JAMA 2007;298:179-86.
  6. Roussey-Kesler G, Gadjos V, Idres N, et al. Antibiotic prophylaxis for the prevention of recurrent urinary tract infection in children with low grade vesicoureteral reflux: results from a prospective randomized study.  J Urol 2008;179:674-9.
Co-trimoxazole en prophylaxie d’infections urinaires chez l’enfant prédisposé

Auteurs

Godefroid N.
Néphrologie pédiatrique, Cliniques Universitaires Saint Luc, Bruxelles
COI :

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