Revue d'Evidence-Based Medicine



Abcès cutané : antibiothérapie après incision et drainage chez l’enfant ?



Minerva 2010 Volume 9 Numéro 6 Page 72 - 73

Professions de santé


Analyse de
Duong M, Markwell S, Peter J, Barenkamp S. Randomized, controlled trial of antibiotics in the management of community-acquired skin abscesses in the pediatric patient. Ann Emerg Med 2010;55:401-7.


Question clinique
Quels sont les bénéfices en pédiatrie d’une antibiothérapie après incision et drainage chirurgicaux des abcès cutanés ?


Conclusion
Cette étude, en raison de limites méthodologiques, n’apporte pas de preuve qu’une antibiothérapie ne doit pas être donnée après incision et drainage d’un abcès cutané. Les recommandations actuelles (7) restent inchangées : les infections cutanées peuvent être traitées en ambulatoire, avec incision et drainage, sans preuve de l’intérêt d’un traitement antibiotique oral complémentaire ; en cas de lésion sévère, de co-morbidité, d’un âge < 6 mois, une référence hospitalière s’impose.


 

Contexte

Les infections cutanées sont en augmentation ces dernières années, principalement suite à l’augmentation des infections par le staphylocoque doré multi-résistant extra-hospitalier (Community-acquired methicillin-resistant Staphylococcus aureus - CA-MRSA). L’attitude actuelle consiste à drainer chirurgicalement les abcès cutanés. Surtout suite à l’émergence de CA-MRSA, une antibiothérapie est ensuite parfois recommandée. Il n’existe cependant pas de RCT évaluant les bénéfices d’une telle antibiothérapie chez les enfants.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • enfants de 3 mois à 18 ans se présentant dans un service hospitalier d’urgence pédiatrique aux E.-U. avec abcès cutané diagnostiqué par la clinique (début aigu <1 semaine, abcès fluctuant, induré et érythémateux avec ou sans écoulement purulent) et une échographie (quand disponible), température de moins de 38,4°C
  • 161 patients sélectionnés sur 1305 : sexe féminin (58%), race noire (86%), moins de 5 ans (53%, âge moyen de 4 ans), antécédents d’abcès cutanés (41%), histoire familiale d’abcès (47%)
  • critères d’exclusion : choc toxi-infectieux, pathologie chronique, traitement immunosuppresseur, prise d’antibiotique récente (<1 semaine), infections cutanées mineures/superficielles, allergie aux antibiotiques évalués, avis négatif de l’examinateur.

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée, contrôlée, en double aveugle, de non infériorité (borne d’infériorité fixée à +7%)
  • l’abcès est incisé, des frottis sont effectués puis drainage au sérum physiologique
  • puis administration, par randomisation, soit (n=78) d’un sirop de triméthoprim (10-12 mg/kg/jour) + sulfaméthoxazole en deux prises/j (= co-TMX), soit (n=83) d’un placebo en deux prises/j (sirop de Maalox® + eau) pendant 10 jours
  • suivi clinique ou téléphonique au 10ième jour et suivi téléphonique au 2ième jour et au 90ième jour
  • mesure de l’observance par mesure du volume de sirop restant au 10ième jour, une bonne observance étant définie par la prise de plus de 50% du sirop.

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : au J10, résolution clinique (absence d’érythème, de chaleur, d’induration, de fluctuation, d’induration et d’écoulement) ou échec (apparition de nouvelles lésions ou d’abcès à moins de 5 cm de l’abcès initial, aggravation des signes cliniques)
  • critères de jugement secondaires : apparition de nouvelles lésions (à plus de 5 cm de l’abcès initial) au 10ième jour ou mentionnées par téléphone au 90ième jour, apparition de lésions chez les personnes résidant sous le même toit que le patient au 10ième jour ou mentionnées par téléphone au 90ième jour ; effets indésirables du traitement.

 

Résultats

  • abcès principalement localisés dans la région fessière (55,8%) avec érythème moyen de 3,8 ± 2,3 cm et induration de 3,6 ± 1,9 cm
  • perdus de vue : 12 patients (7,5%)
  • bactéries : CA-MRSA (80%) sensible à 100% au co-TMX ; taux d’observance : 66% (55% groupe placebo et 46% groupe antibiotique)
  • critères de jugement primaires : taux d’échec groupe placebo 5,26% versus groupe traité 4,11% avec différence de 1,15 (IC à 95% : 1,15 - 6,8) ; non infériorité
  • critères de jugement secondaires : nouvelles lésions chez 19 patients (26,4%) dans le groupe placebo et 9 dans le groupe antibiotique (12,9%) avec différence de 13,5 (IC à 95% :13,5 – 24,3) ; au 90 ième jour, pas de différence significative entre les 2 groupes
  • effets indésirables : similaires dans les 2 groupes.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que des antibiotiques ne sont pas nécessaires pour la guérison des abcès cutanés chez les patients pédiatriques. Les antibiotiques peuvent aider à prévenir l’apparition de nouvelles lésions à court terme, mais d’autres études sont nécessaires.

 

Financement

Award « Fleur de Lis » (fond intra-muros).

 

Conflits d’intérêt 

Aucun n’est mentionné.

 

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

La principale limite de cette étude est le risque de biais de sélection (critères non clairement définis, exclusion par le seul avis de l’examinateur – 161 inclus sur 1305 possibles). L’étude est dite de non infériorité mais présente des déficiences méthodologiques (1) : la borne fixée n’est pas basée sur une revue de la littérature, et arbitrairement les auteurs admettent initialement un taux d’échec de 3,3% sous antibiotique et de 10,3% maximum sous placebo pour parler d’équivalence. Ils précisent donc une borne d’équivalence de 7% maximum (IC à 95% à une seule borne) (2), qu’ils transforment en borne de non infériorité. Une équivalence n’est pas une non infériorité, d’une part, et d’autre part, admettre a priori que 10% d’échec d’un traitement antibiotique est équivalent à 3% d’échec d’un placebo ne sera sans doute pas accepté comme valide par de nombreux cliniciens. L’analyse pour le critère primaire est par contre bien faite par protocole, ce qui est correct pour une étude de non infériorité.

 

Intérêt des résultats

Cette étude concerne la prise en charge dans un service d’urgence pédiatrique. Les résultats concernent principalement des enfants de race noire (86%). Il n’est pas mentionné dans les guérisons ou les échecs si l’abcès avant prise en charge était inférieur ou supérieur à 5 cm. Le taux d’échec de traitement sous antibiotique est de 4,1% par protocole (non connu en ITT), ce qui est légèrement supérieur aux prévisions initiales (3,3%) et 5,3% sous placebo (pouvant être, suivant l’IC à 95% donné jusqu’à 12,1%). Nous n’avons cependant pas de point de comparaison avec d’autres antibiotiques dans cette indication chez l’enfant. Pour l’apparition de nouvelles lésions au 10ième jour, il est impossible de savoir si elles se situent à moins (critère de jugement primaire) ou plus (critère de jugement secondaire) de 5 cm de l’abcès initial. De plus, les taux des nouvelles lésions sont calculés non pas sur le nombre total de patients enrôlés dans l’un ou l’autre bras mais sur ce nombre soustrait du nombre d’échec.

Il n’y a pas de mention dans l’étude de la présence ou d’absence d’apparition de lésions chez les membres résidant sous le même toit que l’enfant lors de l’enrôlement ou dans le suivi.

Le CA-MRSA semble plus fréquent aux Etats-Unis qu’en Belgique, avec un profil de résistance différent. Dès lors les résultats sont peu transposables dans notre pratique.

 

Autres études

Très peu d’études concernent l’utilité ou non d’une antibiothérapie dans les abcès cutanés après incision et drainage et les résultats sont souvent contradictoires. Dans une étude rétrospective de non-intervention (3) de 531 cas d'infection des tissus mous due au MRSA, l’antibiothérapie après incision-drainage se montre plus efficace versus contrôle (taux de guérison respectivement de 95% et 87% ; p=0,001). Une RCT (4) auprès de 166 adultes comparant l’administration de céphalexine versus placebo après incision-drainage d’un abcès a montré des taux de guérison similaires dans les 2 bras (céphalexine 84,1% (IC 95% de 74 à 91%), placebo 90,5% (IC 95% de 82 à 96%) avec une différence entre les deux résultats de 0,0006 (IC 95% -0,0461 à 0,0472).

Un guide de pratique britannique (5) recommande de ne pas administrer d’antibiothérapie après incision et drainage des abcès de petite taille (<5 cm) sans cellulite. Une antibiothérapie empirique est indiquée pour les abcès de grande taille ou en cas de présence d’infections chez les autres membres de la famille (pas de référence bibliographique donnée).

Le co-TMX n’est pas repris comme traitement de 1er choix dans les guidelines anglophones, le traitement de choix étant les céphalosporines de 1ère génération avec comme alternative l’amoxicilline-acide clavulanique ou la cloxacilline (6).

 

Pour la pratique

Cette étude, en raison de limites méthodologiques, n’apporte pas de preuve qu’une antibiothérapie ne doit pas être donnée après incision et drainage d’un abcès cutané. Les recommandations actuelles (7) restent inchangées : les infections cutanées peuvent être traitées en ambulatoire, avec incision et drainage, avec ou sans traitement antibiotique oral. Les patients présentant un abcès important, des symptômes systémiques (fièvre, tachycardie, instabilité hémodynamique), un diabète ou une immunosuppression, ainsi que les enfants de moins de 6 mois seront de préférence hospitalisés en vue d’un traitement parentéral. En se basant sur des déterminations de sensibilité et sur l’expérience clinique, l’antibiothérapie orale consistera en clindamycine ou co-trimoxazole (7). Les mesures pour prévenir la transmission du CA-MRSA (7,8) restent toujours d’application : couvrir les plaies en drainage avec un pansement propre, prendre un bain et laver ou désinfecter les mains régulièrement, laver les vêtements en contact avec les plaies cutanées, ne pas utiliser pour d’autres personnes des objets pouvant être contaminés (essuies, vêtements, matériel de rasage, matériel de sport).

Même si un nombre croissant de personnes porteuses de MRSA est retrouvé régulièrement en dehors de l’hôpital, il semble que les CA-MRSA en Belgique soit peu fréquents (9). Il n’est pas possible d’établir, sur base de critères cliniques, si une infection cutanée est provoquée par un Staphylococcus aureus sensible à la méthicilline (MSSA) ou par un MRSA. Il faut davantage songer à un MRSA chez des patients ayant déjà présenté une infection à MRSA, ou chez les membres de leur famille ou auprès des personnes qui évoluent à leur contact dans une communauté fermée (crèche, caserne, prison) ou dans un club de sport et chez des personnes ayant effectué récemment un séjour à l’étranger (7).

 

Conclusion

 

Cette étude, en raison de limites méthodologiques, n’apporte pas de preuve qu’une antibiothérapie ne doit pas être donnée après incision et drainage d’un abcès cutané. Les recommandations actuelles (7) restent inchangées : les infections cutanées peuvent être traitées en ambulatoire, avec incision et drainage, sans preuve de l’intérêt d’un traitement antibiotique oral complémentaire ; en cas de lésion sévère, de co-morbidité, d’un âge < 6 mois, une référence hospitalière s’impose.

 

Références

  1. Chevalier P. Etude de non infériorité : intérêt, limites et pièges. MinervaF; 2009;8(7):100.
  2. Sackett DL. Superiority trials, non-inferiority trials, and prisoners of the 2-sided null hypothesis. Evid Based Med 2004;9(2):38-9.
  3. Ruhe JJ, Smith N, Bradsher RW, Menon A. Community-onset methicillin-resistant Staphylococcus aureus skin and soft-tissue infections: impact of antimicrobial therapy on outcome. Clin Infect Dis 2007;15;44:777-84.
  4. Rajendran PM, Young D, Maurer T et al. Randomized, double-blind, placebo-controlled trial of cephalexin for treatment of uncomplicated skin abscesses in a population at risk for community-acquired methicillin-resistant staphylococcus aureus infection. Antimicrob Agents Chemother 2007;51:4044-8.
  5. Nathwani D, Morgan M, Masterton RG, et al; British Society for Antimicrobial Chemotherapy Working Party on Community-onset MRSA Infections. Guidelines for UK practice for the diagnosis and management of MRSA infections presenting in the community. J Antimicrob Chemother 2008;61:976-94.
  6. Majamaa H. Skin abscess and folliculitis. EBM Guidelines. Duodecim Medical Publications Ltd, 2009
  7. BAPCOC. MRAS en pratique ambulatoire. Guide belge des traitements anti-infectieux en pratique ambulatoire. Edition 2008, p. 81-3.
  8. Centers for Disease Control and Prevention. Environmental management of Staph and MRSA in community settings, July 2008. http://www.cdc.gov/ncidod/dhqp/ar_mrsa_Enviro_Manage.html (consulté le 12 mai 2010).
  9. Staphylococcus aureus méticillino-résistants (MRSA). Folia Pharmacotherapeutica 2007;34:19-22.
Abcès cutané : antibiothérapie après incision et drainage chez l’enfant ?

Auteurs

Semaille P.
Département de Médecine Générale, Université Libre de Bruxelles
COI :

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