Revue d'Evidence-Based Medicine



Antagonistes calciques à longue durée d’action dans l’ischémie coronarienne



Minerva 2010 Volume 9 Numéro 5 Page 56 - 57

Professions de santé


Analyse de
Bangalore S, Parkar S, Messerli FH. Long-acting calcium antagonists in patients with coronary artery disease: a meta-analysis. Am J Med 2009;122:356-65.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité des antagonistes calciques à longue durée d’action chez des patients présentant une maladie coronaire ?


Conclusion
Cette méta-analyse montre que les inhibiteurs calciques à longue durée d’action administrés en cas d’angor stable (en co-traitement généralement) diminuent le risque de provoquer de l’angor et un AVC, contrairement aux antagonistes calciques à courte durée d’action qui augmentent le risque d’angor. Cette observation concorde avec les recommandations actuelles d’utiliser un bêta-bloquant et/ou un inhibiteur calcique pour le traitement symptomatique de l’angor stable. La prise en charge du risque cardiovasculaire global reste l’approche essentielle.


 

Contexte

Une méta-analyse (1) a montré un risque accru de survenue d’angor avec la nifédipine sous forme à libération immédiate ou en monothérapie en cas d’ischémie myocardique. Pour les antagonistes calciques à libération prolongée, une augmentation de risque n’était pas observée. Une mise à jour de cette synthèse de la littérature était la bienvenue.

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

 

Sources consultées

 

Etudes sélectionnées

  • RCTs évaluant les antagonistes calciques à longue durée d’action chez des patients souffrant de maladie coronaire avec un suivi d’au moins 1 an (suivi moyen de 2,6 ans ; écarts de 1,0 à 4,9 ans)
  • inclusion de 15 RCTs (n=47 694, 17 bras de comparaison) correspondant aux critères d’inclusion, sur 100 identifiées.
  • comparateur dans les études : 10 études versus placebo (n=7 992), 7 études versus autre antihypertenseur (IEC ou bêta-bloquants, n=16 251)
  • antagoniste calcique évalué : 11 études avec dihydropyridine (nifédipine à libération prolongée, amlodipine, félodipine, nisoldipine) ; 5 études avec non dihydropyridine (vérapamil à libération prolongée, mibéfradil).

 

Population concernée

  • patients avec une maladie coronaire : selon les études, angor, ischémie myocardique, post infarctus du myocarde, post angioplastie percutanée
  • exclusion fréquente (sauf 4 études) des patients avec insuffisance cardiaque modérée à sévère.

 

Mesure des résultats

  • Critères de jugement : mortalité de toutes causes, mortalité cardiovasculaire, infarctus du myocarde non fatal, AVC, angor, insuffisance cardiaque.

 

Résultats

  • voir tableau
  • résultats similaires pour les dihydropyridines et les non dihydropyridines
  • résultats similaires versus placebo ou versus autre antihypertenseur sauf pour l’insuffisance cardiaque : pour ce critère, incidence significativement moindre versus placebo mais non versus autre antihypertenseur.

 

Tableau. Risque relatif pour les différents critères de jugement (avec IC à 95%) pour les antagonistes calciques versus placebo ou autre antihypertenseur .

Critère

Risque relatif vs placebo ou autre antihypertenseur

IC à 95%

Mortalité globale

0,99

0,94 à 1,05

Mortalité cardiovasculaire

1,03

0,95 à 1,11

Infarctus du myocarde non fatal

0,96

0,87 à 1,06

Insuffisance cardiaque

0,86

0,71 à 1,05

AVC

0,79

0,70 à 0,89

Angor*

0,82

0,72 à 0,94

* hétérogénéité des études

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que chez des patients avec maladie coronaire, l’administration d’antagonistes calciques à longue durée d’action, dihydropyridines ou non, est associée à une réduction du risque d’AVC, d’angor et d’insuffisance cardiaque avec résultats similaires au comparateur pour les autres événements cardiovasculaires.

 

Financement 

Aucun n’est mentionné.

 

Conflits d’intérêt 

Le troisième auteur déclare avoir reçu des dédommagements de différentes firmes pour différentes tâches.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

La méthodologie de cette méta-analyse est correcte : recherche systématique dans plusieurs bases de données, extraction des données par 2 chercheurs indépendamment l’un de l’autre. L’évaluation de la qualité méthodologique des études est faite selon le score de Jadad. Un biais de publication est recherché mais non mis en évidence. L’protocole d’investigation et pour la méthode d’analyse. Des études sont dites hétérogènes quand elles divergent entre elles pour ces critères. Dans les méta-analyses, il est important que les études rassemblées soient aussi homogènes que possible. Nous pouvons évaluer la présence d’hétérogénéité statistique entre différentes études par une analyse critique des méthodologies de recherche employées dans les études, par une mise en graphique (plot) de comparaison des différentes études ou par des tests statistiques (Q-test ou test I² de Higgins).">hétérogénéité des études est évaluée par test Chi² ettest I² de Higgins calcule le pourcentage de variation entre les études lié à une hétérogénéité et non au hasard, donnée importante lors de la sommation des différents résultats. Ce test statistique évalue la non concordance (‘inconsistency’) dans les résultats des études. Au contraire du Test Q, le test I² dépend du nombre d’études disponibles. Un résultat de test 0 à 40% = l’hétérogénéité pourrait être peu importante ; 30 à 60% = l’hétérogénéité peut être modérée ; 50 à 90% = l’hétérogénéité peut être substantielle ; 75 à 100% = l’hétérogénéité est considérable."> avec analyse en modèle d’effets fixes ou aléatoires selon l’absence ou la présence d’hétérogénéité statistique. Une analyse de sensibilité est effectuée pour différentes variables : pathologie précise visée (angor, ischémie myocardique, post infarctus du myocarde, post PCI), co-morbidité (insuffisance cardiaque, hypertension) et génération d’antagoniste calcique évalué. Les auteurs reprennent la définition de maladie coronaire de l’étude originale mais reconnaissent qu’elle n’est pas uniforme. Ils n’incluent parfois que certains bras d’étude, correspondant à leurs critères d’inclusion. Les comparateurs actifs utilisés sont d’autres antihypertenseurs : bêta-bloquants, IEC. Les IEC ne peuvent être considérés comme des médicaments anti-angoreux à proprement parler. Pour ces comparaisons, un ajustement des données en fonction de la baisse des chiffres tensionnels aurait été fort instructif pour savoir si l’effet favorable est lié ou non à une baisse des chiffres tensionnels.

 

Mise en perspective des résultats

Une précédente méta-analyse (1), basée sur 60 études (n=3 096), ne montrait pas de différence statistiquement significative pour les événements cardiovasculaires majeurs, les crises d’angor, l’ensemble des événements cardiovasculaires pour la nifédipine versus comparateur mais bien une augmentation des crises d’angor pour la seule nifédipine non à libération prolongée (OR 4,19 ; IC à 95% de 1,41 à 12,49) ou en monothérapie (OR 2,61 ; IC à 95% de 1,30 à 5,26). Les études originales étaient de petite taille (n≤50 dans 80% des études) et de courte durée.

Cette méta-analyse-ci ne concerne que les antagonistes calciques à action prolongée. Elle permet de conclure à une absence d’augmentation de risque cardiovasculaire pour ces médicaments versus placebo ou bêta-bloquant ou IEC, mais aussi à une absence d’effet favorable sur le pronostic (décès, infarctus). Les RR sont proches de 1 (absence de différence), avec des intervalles de confiance étroits, ce qui indique une précision et une puissance suffisantes. Pour une possible réduction du risque d’AVC, nous calculons un NST de 167 pour l’ensemble des études (avec des durées de 1,1 à 4,9 ans). Pour les 3 RCTs incluses concernant des patients en insuffisance cardiaque et donnant des résultats pour ce critère, les antagonistes calciques n’augmentent pas le risque d’aggravation de celle-ci. Il faut cependant rappeler que la plupart des autres études excluaient les patients en insuffisance cardiaque modérée à sévère, ce qui rend une conclusion globale fort aléatoire dans ce domaine. L’analyse de sensibilité montre des résultats plus favorables pour les antagonistes calciques pour certains critères, selon la pathologie précise visée par l’étude (voir paragraphe précédent) mais pas selon le type d’antagoniste calcique, ce qui ne permet pas d’en recommander un en particulier.

Cette méta-analyse ne prend pas en compte les co-traitements (statines, aspirine, autres antihypertenseurs) dont le rôle est essentiel pour diminuer le risque cardiovasculaire global. Si une efficacité des antagonistes calciques est donc observée dans cette méta-analyse pour certains critères (AVC, angor), c’est très fréquemment en association avec d’autres traitements (par exemple avec des bêta-bloquants dans 63 à 80%, avec des statines dans 68 à 83% dans d’importantes études). Cette recherche ne prend également pas en compte les co-morbidités dans l’analyse des résultats, faute de données individuelles.

 

Pour la pratique

Pour le traitement de l’angor stable, différentes classes de médicaments ont montré une efficacité en monothérapie et en association les unes avec les autres : bêta-bloquants, antagonistes calciques, dérivés nitrés (2). Les guides de pratique ont évolué ces dernières années d’une prise en charge de l’angor stable (3) vers une prise en charge plus globale du risque cardiovasculaire (4,5). Dans ce cadre, au-delà du traitement médicamenteux symptomatique de l’angor stable, d’une éventuelle intervention sur les artères coronaires, il est universellement admis qu’il faut prendre en charge tous les facteurs de risque cardiovasculaire et que les traitements médicamenteux validés doivent être mis en place : antiagrégants plaquettaires, hypolipidémiants et en fonction de la co-morbidité, des symptômes et des facteurs de risque du patient, des inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (ou antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II), des bêta-bloquants, des antagonistes du calcium (6). L’arrêt du tabac est impératif.

 

Conclusion

Cette méta-analyse montre que les inhibiteurs calciques à longue durée d’action administrés en cas d’angor stable (en co-traitement généralement) diminuent le risque de provoquer de l’angor et un AVC, contrairement aux antagonistes calciques à courte durée d’action qui augmentent le risque d’angor. Cette observation concorde avec les recommandations actuelles d’utiliser un bêta-bloquant et/ou un inhibiteur calcique pour le traitement symptomatique de l’angor stable. La prise en charge du risque cardiovasculaire global reste l’approche essentielle.

 

Références

  1. Stason WB, Schmid CH, Niedzwiecki D, et al. Safety of nifedipine in angina pectoris: a meta-analysis. Hypertension 1999;33:24-31.
  2. O’Toole L. Angina (chronic stable) in Clinical Evidence. Search date June 2007.
  3. Rutten FH, Bohnen AM, Schreuder BP, et al. NHG-Standaard Stabiele angina pectoris (Tweede herziening). Huisarts Wet 2004:47:83-95.
  4. Boland B, Christiaens T, Goderis G, et al. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering. Globaal cardiovasculair risicoprofiel. Huisarts Nu 2007;36:339-71.
  5. Hubens V, Jonckheer P, Laperche J, et al. Cahier de prévention. Le risque cardiovasculaire global. Institut de Médecine Préventive, SSMG.
  6. INAMI. L’usage efficient des médicaments dans le traitement de l’angor stable. Rapport du jury. Réunion de consensus 23 novembre, 2006.
Antagonistes calciques à longue durée d’action dans l’ischémie coronarienne

Auteurs

Chevalier P.
médecin généraliste
COI :

Schröder E.
Service de Cardiologie, Cliniques Universitaires UCL de Mont-Godinne
COI :

Code





Ajoutez un commentaire

Commentaires