Revue d'Evidence-Based Medicine



La thérapie manuelle en cas de lombalgies chroniques ?



Minerva 2014 Volume 13 Numéro 4 Page 45 - 46

Professions de santé


Analyse de
Licciardone JC, Minotti DE, Gatchel RJ, et al. Osteopathic manual treatment and ultrasound therapy for chronic low back pain: a randomized controlled trial. Ann Fam Med 2013;11:122-9.


Question clinique
Chez les patients âgés de 21 à 69 ans souffrant depuis plus de trois mois de lombalgies, quel est l’efficacité de la thérapie manuelle et de la thérapie par ultrasons sur l’intensité de la douleur versus thérapie manuelle factice et thérapie par ultrasons factice ?


Conclusion
Cette étude, de bonne qualité méthodologique, montre un bénéfice clinique limité pour une thérapie manuelle par rapport à une thérapie manuelle factice chez des patients souffrant depuis au moins trois mois de lombalgies. Du fait d’un recrutement subjectif, la possibilité d’extrapoler ces résultats est cependant limitée. Une thérapie par ultrasons ne montre pas de meilleur résultat qu’une thérapie par ultrasons factice.


 

 


Texte sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone

 

Contexte

Une lombalgie présente depuis plus de trois mois est considérée comme chronique (1,2). À ce jour, les données de médecine factuelle montrent qu’en cas de lombalgies chroniques, la thérapie manuelle n’est pad supérieure aux autres traitements (traitement par le médecin généraliste, kinésithérapie, gymnastique médicale, école du dos) (3). Actuellement, nous ne disposons pas de données fiables sur l’effet d’une thérapie par ultrasons (4).

 

Résumé

Population étudiée

  • 455 patients adultes âgés de 21 à 69 ans (âge médian de 41 ans avec IQR de 29 à 51 ans), 62 % de femmes, souffrant de lombalgies depuis au moins 3 mois ; recrutement par le biais d’annonces dans les journaux et via des agences et des cliniques à Dallas-Fort Worth, Texas
  • critères d’exclusion : signal d’alarme (cancer, ostéomyélite rachidienne, fracture vertébrale, hernie discale, spondylite ankylosante, syndrome de la queue de cheval) ; chirurgie lombaire endéans les 12 mois, perception d’allocations au cours des 3 derniers mois, procès en cours pour un problème de dos, angor, insuffisance cardiaque sévère, AIT ou AVC endéans les 12 mois, présence d’un implant, saignement ou infection dans le bas du dos, utilisation de corticoïdes endéans le mois, thérapie manuelle ou ultrasonothérapie au cours des 3 derniers mois ou plus de 3 fois au cours de l’année écoulée.

Protocole d’étude

  • étude randomisée, contrôlée, en double aveugle selon un protocole factoriel 2x2 avec :
    • thérapie manuelle (TM) : traitement de la région lombosacrée, iliaque et pubienne par différentes techniques de manipulation, stretching et activation
    • TM factice : traitement des mêmes régions avec des techniques simulant la TM
    • thérapie par ultrasons (UST) : appareil envoyant des ultrasons au niveau lombaire
    • UST factice : ondes d’ultrasons à une intensité infrathérapeutique
  • patients traités par 15 thérapeutes différents aux semaines 0, 1, 2, 4, 6 et 8
  • douleur mesurée sur une échelle visuelle analogique (EVA) avant chaque traitement et à la semaine 12.

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : pourcentage de patients avec amélioration modérée (diminution ≥ 30 %) et avec amélioration importante (diminution ≥ 50 %) sur l’EVA pour la douleur après 12 semaines
  • critères de jugement secondaires : amélioration au questionnaire RMDQ (Roland-Morris Disability Questionnaire) et sur l’échelle SF-36 GH (Medical Outcomes Study Short Form-36 Health Survey General Scale), nombre de jours d’absence au travail pour cause de lombalgie au cours des 4 dernières semaines, satisfaction par rapport au traitement sur une échelle de Likert à 5 points, recours à des traitements supplémentaires, effets indésirables
  • analyse en intention de traiter.

Résultats

  • critères de jugement primaires :
    • après 12 semaines, amélioration modérée sur l’EVA chez 63 % des patients du groupe TM versus 46 % du groupe TM factice soit un RR de 1,38 avec IC à 95 % de 1,16 à 1,64 et p < 0,001 ; amélioration importante chez 50 % des patients du groupe TM versus 35 % du groupe TM factice soit un RR de 1,41 avec IC à 95 % de 1,13 à 1,76 et p = 0,002
    • après 12 semaines, pas de différence statistiquement significative entre le groupe UST et le groupe UST factice quant à l’amélioration modérée et importante.
    • pas d’interaction statistiquement significative entre le groupe TM et le groupe UST quant à la mesure de l’amélioration modérée et importante de la douleur
  • critères de jugement secondaires :
    • après 12 semaines, pas de différence significative entre la TM et la TM factice ni entre l’UST et l’UST factice pour le RMDQ, le SF-36 GH, l’absence au travail et les effets indésirables
    • après 12 semaines, nombre de personnes satisfaites du traitement plus important de manière statistiquement significative (p < 0,001), et utilisation de traitements prescrits moindre de manière statistiquement significative (p = 0,48), dans le groupe TM versus groupe TM factice.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que la thérapie manuelle atteint ou dépasse le seuil fixé par le Cochrane Back Review Group pour une ampleur d’effet modérée dans la diminution de la lombalgie chronique. Le traitement est sans danger, de moindre coût et bien toléré par les patients.

Financement 

Le premier auteur a été financé pour cette recherche par le National Institutes of Health, le National Center for Complementary and Alternative Medicine et l’Osteopathic Heritage Foundation ; ces sponsors n’ont joué aucun rôle dans la conception de l’étude, les analyses et les rapports des résultats.

  

Conflits d’intérêt 

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêt.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Le titre de l’étude laisse supposer que les patients ont été traités par une forme d’ostéopathie. Cette confusion est due au fait qu’aux U.S.A. et dans beaucoup d’autres pays, nombreux sont les ostéopathes qui pratiquent également la thérapie manuelle. Les chercheurs ont néanmoins contourné cette confusion en définissant très précisément les traitements appliqués. Les participants ont été correctement randomisés, et le secret de l’attribution a été respecté. Une stratification a également été réalisée en fonction de l’expérience des prestataires de soins (attaché à une faculté, en formation). La répartition équilibrée des caractéristiques de base dans les deux bras d’études est la preuve que la randomisation a été correctement effectuée. Le recrutement des participants est toutefois quelque peu critiquable car il s’est fait via la publication d’annonces dans les journaux et via les hôpitaux. En recrutant via les annonces plutôt que via le médecin généraliste par exemple, les investigateurs ont peut-être sélectionné un public de personnes qui croient dans la médecine manuelle, ce qui rend difficile l’extrapolation des résultats. Les personnes appliquant le traitement ne pouvaient évidemment pas le faire en aveugle, mais les auteurs ont tenté de faire respecter l’insu par les patients et par les évaluateurs. Le manque de différence statistiquement significative quant à l’observance du traitement entre les groupes laisse supposer que l’insu des participants a été bien respecté. Après 12 semaines, aucune différence n’est observée sur l’EVA entre le groupe TM factice et le groupe UST factice. Pour évaluer le respect de l’aveugle, il aurait cependant été judicieux de demander aux patients, en fin d’étude, s’ils savaient à quel groupe de traitement ils appartenaient. Enfin, la taille de l’échantillon a été calculée uniquement sur la base d’une différence d’effet entre la TM et la TM factice à partir d’une précédente méta-analyse (5). Nous pouvons nous demander si une différence de 6,6 mm sur l’EVA est pertinente et souligner que, pour des raisons budgétaires, les chercheurs n’ont pas atteint la taille d’échantillon de 488 patients prévue.

 

Interprétation des résultats

Outre une différence statistiquement significative dans la diminution (par rapport à la valeur initiale) du score médian sur l’EVA (-18 mm (IQR de -31 à 0 mm) pour la TM versus -9 mm (IQR de -25 à 3 mm) pour la TM factice, le traitement par thérapie manuelle a présenté de manière statistiquement significative une proportion plus élevée de patients chez lesquels l’amélioration était modérée à importante. Cependant, ces seuils d’améliorations de 30 % (modérée) et de 50 % (importante) sont basés sur un document de consensus (6). Dans quelle mesure ces seuils sont-ils corrélés à une amélioration des capacités fonctionnelles dans la vie quotidienne ? Ceci n’est pas documenté. Pour les critères de jugement secondaires, aucune différence n’est montrée quant à la qualité de vie et à l’incapacité de travail. Une amélioration est également constatée pour environ un tiers à la moitié des patients du groupe TM factice. Ceci signifie que nous ne pouvons pas considérer la TM factice comme un traitement réellement placebo. L’étude ne comporte, par exemple, pas de groupe « liste d’attente » permettant d’évaluer l’efficacité réelle de cette intervention factice. De ce fait et en raison de la brièveté du suivi, il nous est impossible de tirer une conclusion concernant la sécurité des traitements évalués. Le recrutement subjectif (voir plus haut) et la réalisation de l’étude dans un autre système de soins de santé, ne nous permettent également pas d’en extrapoler les résultats.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude, de bonne qualité méthodologique, montre un bénéfice clinique limité pour une thérapie manuelle par rapport à une thérapie manuelle factice chez des patients souffrant depuis au moins trois mois de lombalgies. Du fait d’un recrutement subjectif, la possibilité d’extrapoler ces résultats est cependant limitée. Une thérapie par ultrasons ne montre pas de meilleur résultat qu’une thérapie par ultrasons factice.

 

Pour la pratique

La RBP belge sur les lombalgies communes (1), le NHG-Standaard concernant les lombalgies non spécifiques (2) et le guide de pratique du CKS (7) proposent la gymnastique médicale comme traitement possible pour la lombalgie chronique. Seul le CKS recommande en plus la thérapie manuelle. Cette recommandation est cependant basée sur une étude contrôlée randomisée plus ancienne (8) qui avait montré qu’après 12 mois, il n’y avait pas de différence cliniquement pertinente dans l’amélioration de la lombalgie entre « les meilleurs soins » du médecin généraliste, la gymnastique médicale et la thérapie manuelle (9). L’absence de plus-value de la thérapie manuelle par rapport aux autres traitements non médicamenteux en cas de lombalgies chroniques a déjà été plusieurs fois confirmée (3,9,10). Les résultats de la présente étude qui compare la thérapie manuelle et la thérapie manuelle factice n’apportent pas d’argument pour modifier les recommandations en cours.

 

 

Références

  1. Timmermans B. Recommandation de Bonne Pratique. Les lombalgies communes. SSMG 2000.
  2. Chavannes AW, Mens JMA, Koes BW, Lubbers WJ. NHG-Standaard Aspecifieke lagerugpijn (Eerste herziening). Huisarts Wet 2005;48:113-23.
  3. Assendelft WJ, Morton SC, Yu EI, et al. Spinal manipulative therapy for low back pain. Cochrane Database Syst Rev 2004, Issue 1. Update in: Cochrane Database Syst Rev 2013, Issue 1.
  4. Seco J, Kovacs FM, Urrutia G. The efficacy, safety, effectiveness, and cost-effectiveness of ultrasound and shock wave therapies for low back pain: a systematic review. Spine J 2011; 11:966-77.
  5. Licciardone JC, Brimhall AK, King LN. Osteopathic manipulative treatment for low back pain: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. BMC Musculoskelet Disord 2005;6:43.
  6. Dworkin RH, Turk DC, Wyrwich KW, et al. Interpreting the clinical importance of treatment outcomes in chronic pain clinical trials: IMMPACT recommendations. J Pain 2008;9:105-21.
  7. Back pain - low (without radiculopathy). CKS.
  8. UK BEAM Trial Team. United Kingdom back pain exercise and manipulation (UK BEAM) randomised trial: effectiveness of physical treatments for back pain in primary care. BMJ 2004;329:1377-84.
  9. Vermeire E. Exercices physiques et manipulations pour les lombalgies. MinervaF 2006;5(4):52-4.
  10. Duyver C. Exercices supervisés, à domicile ou manipulations (chiropraxie) pour les lombalgies chroniques. MinervaF 2012;11(3):32-3.
La thérapie manuelle en cas de lombalgies chroniques ?

Auteurs

Devroey D.
Vakgroep Huisartsgeneeskunde, Vrije Universiteit Brussel
COI :

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