Revue d'Evidence-Based Medicine



Inhibiteurs des neuraminidases chez l’enfant pour l’influenza (prévention et traitement)



Minerva 2010 Volume 9 Numéro 4 Page 42 - 43

Professions de santé


Analyse de
Shun-Shin M, Thompson M, Heneghan C, et al. Neuraminidase inhibitors for treatment and prophylaxis of influenza in children: systematic review and meta-analysis of randomised controlled trials. BMJ 2009;339:b3172.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité de l’oseltamivir et du zanamivir chez l’enfant pour le traitement de la grippe saisonnière et en prévention de l’extension du virus dans la maisonnée ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique montre que chez des enfants de moins de 12 ans, les inhibiteurs des neuraminidases (oseltamivir et zanamivir) raccourcissent la durée des symptômes d’infection à influenza et diminuent la transmission dans la maisonnée, s’ils sont initiés rapidement (dans les 48 heures après le début des symptômes). Cette synthèse ne permet pas de conclusion pour les enfants avec comorbidité.


 

Contexte

Les inhibiteurs des neuraminidases (oseltamivir et zanamivir) ont remplacé les plus anciennes amantadine et rimantidine dans le traitement et la prophylaxie de la grippe. Leur pertinence clinique, surtout chez les enfants, reste source de discussions. Une mise à jour de la synthèse Cochrane de 2007 était la bienvenue, y ajoutant 3 études en traitement et une en prophylaxie.

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

Sources consultées

  • Cochrane central register of controlled trials, MEDLINE, EMBASE, clinical trial registries des firmes commercialisant l’oseltamivir et le zanamivir
  • données non publiées de l’industrie pharmaceutique
  • consultation des listes de référence des articles, des guidelines de NICE et des rapports de Health Technology Assessment au R.-U.
  • jusqu’en juillet 2009.

Etudes sélectionnées

  • inclusion : RCTs évaluant l’efficacité des inhibiteurs des neuraminidases (INA) dans le traitement et dans la prévention d’infections grippales sur base clinique ou virologique ; pas de restriction de langue
  • exclusion : risque trop élevé de biais
  • RCTs incluses en traitement : 4, 2 avec l’oseltamivir, 2 avec le zanamivir, n=1766, influenza documenté dans 1243 cas
  • RCTs incluses en prévention : 3 RCTs, 1 avec l’oseltamivir, 2 avec le zanamivir, n=863.

Population étudiée

  • enfants de maximum 12 ans.

Mesure des résultats

  • critère primaire
    • en traitement : délai de guérison = nombre total médian de jours de maladie
    • en prophylaxie : incidence de grippe chez les enfants dont un membre de la famille était atteint ; grippe sur base clinique ou influenza identifié
  • critères secondaires : délai de disparition des symptômes, délai de reprise des activités scolaires, de crèche ou normales, effet sur la fonction respiratoire des asthmatiques, effets indésirables.

Résultats

En traitement : pas de sommation possible des résultats :

  • gain pour le nombre médian de jours avant guérison des symptômes : résultats significatifs : 1,5 jour (IC à 95% de 0,3 à 2,5) pour l’oseltamivir en cas d’influenza documenté (1 étude) ; en cas de grippe clinique, intérêt de l’oseltamivir (1 étude) avec 0,9 jour (IC à 95% de 0,2 à 1,9)
  • recours aux antibiotiques : pas de réduction
  • asthme : 1 étude avec l’oseltamivir ne montre pas de réduction du nombre de crises d’asthme chez les enfants asthmatiques
  • - prévention de l’OMA : inefficace pour les 5 à 12 ans, réduction chez les moins de 5 ans (de 31% à 15% ; p=0,009)
  • tolérance : pas plus de sorties d’études sous INA ; oseltamivir : davantage de vomissements : nombre nécessaire pour nuire est le nombre de personnes qu’il faut traiter pour observer un critère «négatif » (un effet indésirable ou un décès) consécutif à l’intervention. NNH = 1/AAR de l’issue négative * 100">NNN de 20 (11 à 50)

En prévention : 10 jours de traitement avec INA lors d’une infection à influenza d’un membre de la famille montre une réduction de risque de 8% (5 à 12%) ; NNT = 1/RAR *100.">NST de 13 (9 à 20) ; p<0,001.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les inhibiteurs des neuraminidases diminuent la période de maladie chez des enfants présentant une grippe saisonnière et diminuent la transmission du virus dans la maisonnée. Peu d’effet sur les exacerbations d’asthme et le recours à des antibiotiques. Leur efficacité sur l’incidence de complications sérieuses et face à la souche A/H1N1 actuelle reste à évaluer.

Financement

Aucun spécifiquement - 5 des 6 auteurs sont employés par la NIHR School of Primary Care Research.

Conflits d’intérêt

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique est rigoureusement réalisée selon les directives de la Cochrane : 2 évaluateurs indépendants l’un de l’autre, recherche des données non publiées pour éviter un biais de publication, évaluation de la qualité méthodologique selon la méthodologie de recherche de biais de la Cochrane, estimation de l’hétérogénéité statistique, analyse en modèle d’effets aléatoires si hétérogénéité, analyse en sous-groupes. La qualité des études incluses est pauvre : 1 seule étude sur 4 pour le traitement est de haute qualité, pour la prophylaxie les 3 études sont de qualité moyenne. Une méta-analyse n’a cependant malheureusement pas pu être réalisée pour le traitement en raison de l’hétérogénéité clinique des critères de jugement et de l’enregistrement incomplet des résultats.

Mise en perspective des résultats

En raison de résultats variables, pas toujours significatifs, dans les études de traitement, l’incertitude persiste quant à laéchelles ou avec des instruments différents. Les résultats ne peuvent donc être rassemblés comme tels. Afin de pouvoir les sommer quand même, une technique de standardisation peut être utilisée."> taille d’effet et aux intervalles de confiance correspondants. L’efficacité en termes de complications évitées telles les exacerbations d’asthme et l’otite moyenne n’est pas concordante, ce qui ne permet pas de conclusion univoque. A ce jour, aucune étude n’a été réalisée avec ces médicaments chez des enfants présentant d’autres comorbidités telles qu’une immunosuppression, une mucoviscidose, des malformations cardiaques. Aucune étude ne concerne des enfants âgés de moins d’un an. Aucune étude n’a une puissance suffisante pour évaluer un effet sur la prévention des pneumonies et des hospitalisations.

L’efficacité observée est toujours plus importante en cas d’influenza documenté qu’en cas de grippe clinique, ce qui complique l’extrapolabilité de ces données dans la pratique quotidienne surtout en absence d’un contexte clairement épidémique. En outre, le traitement doit être initié rapidement (dans les 48 heures du début des symptômes) pour obtenir les résultats observés.

En cas de prophylaxie post-exposition, les INA sont plus performants : il faut traiter 13 enfants durant 10 jours avec du zanamivir ou de l’oseltamivir pour éviter une infection secondaire dans la maisonnée.

La pertinence clinique d’un traitement ou d’une prophylaxie chez des enfants sains n’est pas claire. Aucune étude n’a été réalisée chez des enfants de moins de 12 ans évaluant l’efficacité d’une prophylaxie primaire de longue durée (plus de 4 semaines) avec un INA. La synthèse Cochrane publiée en 2007 (1) concluait à une efficacité des INA en termes de raccourcissement de l’épisode de maladie, sans effet montré en prophylaxie. Cette nouvelle publication intègre 2 nouvelles études évaluant une prophylaxie post-exposition qui montrent une efficacité. La vaccination reste cependant, aux cotés de mesures d’hygiène, la principale prévention.

Les auteurs de cette synthèse annoncent 7 études encore en cours chez des enfants (6 en traitement, dont 3 chez des enfants avec immunosuppression et 1 étude dans un pays en voie de développement, ainsi qu’une étude en prophylaxie).

Une synthèse méthodique (2) qui évalue l’efficacité des médicaments antiviraux en traitement et en prophylaxie chez des adultes, également commentée dans Minerva (3), conclut que l’efficacité des inhibiteurs des neuraminidases est trop faible pour qu’ils soient utiles en cas de grippe saisonnière. En présence d’un type viral nouveau avec tableau clinique plus sévère, l’intérêt est encore moins clair.

Des effets indésirables sévères sont de plus en plus rapportés avec l’oseltamivir. Particulièrement chez les enfants, des effets indésirables neuropsychiatriques importants sont notifiés : comportement suicidaire, hallucinations, convulsions, délire, phénomènes extrapyramidaux (4). Ont également été signalés : un risque accru d’angioedème et d’épidermolyse toxique (5), des troubles visuels (diplopie) et cardiaques (tachycardie, fibrillation auriculaire) (6). Ces observations après commercialisation sont en contraste flagrant avec les seules nausées décrites comme effets indésirables dans les RCTs.

Un problème s’y ajoute : le développement croissant d’une résistance aux INA : en 2007-2008, en Belgique, 53% des virus A/H1N1 testés étaient résistants à l’oseltamivir (7).

Pour la pratique

Le rapport rédigé par le KCE en 2006 (8) concernant l’évaluation des médicaments antiviraux en cas de grippe saisonnière ne recommandait pas l’utilisation en routine des inhibiteurs des neuraminidases pour un traitement chez les enfants avec ou sans comorbidités en raison d’un manque de preuves en termes d’événements cliniquement pertinents tels que complications, hospitalisation et décès, avec un risque trop élevé d’effets indésirables et de développement d’une résistance. Les auteurs concluaient aussi à des données insuffisantes pour se prononcer sur la prophylaxie post-exposition ou primaire à long terme chez les enfants. La vaccination et les mesures d’hygiène restent la stratégie préventive principale (8). Il n’est pas rationnel d’utiliser les inhibiteurs des neuraminidases à grande échelle (prophylaxie et traitement) durant une grippe saisonnière, au vu d’un risque de surtraitement et de favoriser l’apparition d’une résistance, en raison du coût élevé et des effets indésirables. La place des inhibiteurs des neuraminidases en cas de pandémie reste à déterminer.

 

Conclusion

Cette synthèse méthodique montre que chez des enfants de moins de 12 ans, les inhibiteurs des neuraminidases (oseltamivir et zanamivir) raccourcissent la durée des symptômes d’infection à influenza et diminuent la transmission dans la maisonnée, s’ils sont initiés rapidement (dans les 48 heures après le début des symptômes). Cette synthèse ne permet pas de conclusion pour les enfants avec comorbidité. 

 

Références

  1. Matheson NJ, Harnden AR, Perera R, et al. . Neuraminidase inhibitors for preventing and treating influenza in children. Cochrane Database Syst Rev 2007, Issue 1.
  2. Jefferson T, Demicheli V, Rivetti D, et al. Antivirals for influenza in healthy adults: systematic review. Lancet 2006;367:303-13.
  3. Michiels B. Médicaments contre l’influenza chez les adultes en bonne santé. MinervaF 2007;6(2):18-20.
  4. Oseltamivir: troubles neuropsychiatriques. Rev Prescr 2007;27:435.
  5. Oseltamivir. Prévention de la grippe chez les enfants à risque: la vaccination avant tout. Rev Prescr 2006;26:649.
  6. Oseltamivir: troubles visuels et cardiaques. Rev Prescr 2009; 29:107.
  7. European Centre for Disease Prevention and Control. Antivirals and Antiviral Resistant Influenza - Resistance to Oseltamivir. September 2008 .
  8. Van de Vyver N, De Sutter A, Michiels B, et al. Médicaments antiviraux en cas de grippe saisonnière et pandémique. Revue de littérature et recommandations de bonne pratique. Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE). Bruxelles, 2006. KCE reports 49 B.
Inhibiteurs des neuraminidases chez l’enfant pour l’influenza (prévention et traitement)

Auteurs

Michiels B.
Vakgroep Eerstelijns- en Interdisciplinaire Zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
COI :

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