Revue d'Evidence-Based Medicine



Prévention d’une rechute de dépression par une thérapie cognitive basée sur la pleine conscience ?



Minerva 2010 Volume 9 Numéro 3 Page 32 - 33

Professions de santé


Analyse de
Kuyken W, Byford S, Taylor RS, et al. Mindfulness-based cognitive therapy to prevent relapse in recurrent depression. J Consult Clin Psychol 2008;76:966-78.


Question clinique
Une thérapie cognitive basée sur la pleine conscience est-elle aussi efficace que la poursuite d’un médicament antidépresseur pour prévenir une rechute de dépression chez des patients en ayant déjà présenté plusieurs ?


Conclusion
Cette étude conclut qu’une thérapie cognitive basée sur la pleine conscience est une alternative acceptable à la poursuite d’un antidépresseur pour la prévention d’une rechute de dépression chez un patient qui en a déjà présenté plusieurs. En l’absence de différence significative entre les deux traitements, sauf pour quelques critères de jugement secondaires, le choix entre les deux approches dépendra de la préférence du patient et des disponibilités locales.


 

Contexte

La poursuite d’un traitement par antidépresseur peut diminuer le risque de récidive de dépression (1) mais un tel traitement d’entretien s’accompagne souvent d’effets indésirables et son observance est faible. Une thérapie cognitive basée sur la pleine conscience (MBCT pour mindfulness-based cognitive therapy) pourrait constituer une alternative. Elle consiste en un apprentissage de ses sensations corporelles, une identification des pensées et émotions liées à une rechute de dépression et leur gestion. Deux RCTs, excluant la prise d’antidépresseurs, montrent qu’en ajout aux soins habituels, versus ces soins habituels seuls, cette thérapie semble diminuer de moitié le risque de rechute (2,3). Une comparaison entre la MBCT et la poursuite d’un antidépresseur chez de tels patients n’avait encore jamais été faite.

 

Résumé

Population étudiée

  • 123 patients en première ligne de soins dans le Devon (R.-U.) ; âge moyen de 49 ans environ (écarts de 21 à 72) ; 77% de femmes ; HAM-D moyen de 5,7 (ET 4,5) ; 67% en rémission complète ; antécédents de 6 épisodes en médiane
  • critères d’inclusion : au moins 18 ans, antécédents de ≥ 3 épisodes dépressifs (DSM-IV), sous antidépresseur à dose thérapeutique depuis au moins 6 mois, en rémission complète ou partielle
  • critères d’exclusion : abus médicamenteux, lésion cérébrale, psychose passée ou actuelle, trouble bipolaire, comportement antisocial ou autodestructeur, incapacité de suivre une MBCT pour motif physique, pratique ou autre, psychothérapie en cours.

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée, contrôlée
  • intervention (n = 61) : 1 session de 2 heures par semaine durant 8 semaines, en groupe de 9 à 15 personnes ; techniques de pleine conscience, évaluation des exercices de pleine conscience imposés quotidiennement au domicile, apprentissage d’aptitudes thérapeutiques cognitivo-comportementales et après 4 à 5 semaines aide à la diminution ou à l’arrêt de l’antidépresseur ; par des thérapeutes formés et expérimentés pour cette technique
  • contrôle (n = 62) : traitement d’entretien par antidépresseur à dose thérapeutique
  • stratification initiale selon la sévérité de la dépression
  • suivi trimestriel durant 15 mois.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : délai de rechute de dépression majeure (DSM-IV)
  • critères secondaires : sévérité et durée de la rechute, souffrance durant l’épisode (auto évaluée), symptômes dépressifs résiduels (HAM-D, BDI auto évalué), comorbidité psychiatrique, qualité de vie (WHOQOL)
  • évaluation économique : coût de la MBCT, recours aux services hospitaliers et de première ligne, perte de productivité
  • analyse en intention de traiter et par protocole.

 

Résultats

  • critère primaire : pas de différence significative pour les rechutes dans les 15 mois : 47% sous MBCT, 60% sous antidépresseur ; HR 0,63 (IC à 95% de 0,39 à 1,04)
  • critères secondaires : pas de différence significative pour le nombre de récidives, la sévérité et la durée de la rechute, la souffrance ressentie durant la rechute ; sous MBCT, moins de symptômes résiduels uniquement en analyse par protocole pour le BDI, de comorbidité psychiatrique et meilleure qualité de vie pour l’état physique et psychologique (non pour l’état de bien-être social)
  • aucune différence significative en termes de coût moyen annuel
  • recours nettement moindre à des antidépresseurs sous MBCT.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que la thérapie cognitive basée sur la pleine conscience peut constituer une alternative à la poursuite d’un antidépresseur pour prévenir la rechute d’une dépression.

 

Financement

UK Medical Research Council

 

Conflits d’intérêt

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Les auteurs de cette RCT en documentent fort bien le motif. Le recrutement des patients se base initialement sur les dossiers médicaux de 5 pratiques de première ligne mais se fait, finalement, sur invitation par le médecin traitant. En tenant compte des nombreux critères d’inclusion et d’exclusion, la population incluse est fort sélectionnée. Les deux approches thérapeutiques sont bien définies et décrites en détail. La qualité de l’intervention MBCT est évaluée par un thérapeute indépendant via des enregistrements vidéo. L’observance du traitement antidépresseur poursuivi est étroitement suivie par le médecin traitant, à l’aide d’une échelle validée, la rendant probablement meilleure que dans la pratique quotidienne. L’existence d’une dépression dans les 3 mois précédents est évaluée par des chercheurs expérimentés, à l’insu de la randomisation, au moyen d’un instrument validé basé sur les critères du DSM-IV. La variation inter observateurs est remarquablement faible (kappa de 0,84). Aucun calcul de puissance n’est effectué initialement, les auteurs en justifiant la non estimation au vu de l’absence d’étude précédente pour la même comparaison, motivation méthodologiquement incorrecte. Ceci ne nous permet pas de conclure si leur étude est finalement d’une puissance suffisante pour montrer une différence pour le critère primaire.

Leur analyse des résultats est faite en intention de traiter et par protocole (suivi d’au moins 4 des 8 séances de MBCT), avec analyse de sensibilité pour plusieurs facteurs précis tels que l’absence de données de suivi.

 

Interprétation des résultats

La MBCT n’apparaît pas supérieure à la poursuite d’un antidépresseur, ni pour le critère primaire ni pour la majorité des critères secondaires. Les auteurs en concluent que la première peut être une alternative à la seconde. Trois quarts des patients sous MBCT réussissent à arrêter leur antidépresseur et leurs symptômes dépressifs résiduels sont diminués significativement, uniquement cependant en analyse par protocole du score BDI. Sur base d’une référence à l’étude de Judd et coll (4), les auteurs estiment que ces symptômes résiduels sont prédictifs d’une rechute de dépression. Cette étude de Judd est effectuée dans un autre contexte, académique. L’interprétation clinique du nombre de symptômes résiduels entre deux épisodes dépressifs reste une question.

Les résultats de cette étude concernent une population fort sélectionnée (123 des participants potentiels) avec en médiane 6 épisodes dépressifs à l’anamnèse, prête, selon leur médecin, à une approche psychothérapeutique de groupe avec suppression progressive de l’antidépresseur. Parmi les participants potentiels, 36% ont refusé d’être inclus dans l’étude, 19% estimant que ce traitement exigerait trop de temps. D’autres études sont donc nécessaires pour évaluer l’extrapolabilité et l’acceptabilité de la MBCT dans une population plus large.

Une analyse coût-efficacité montre que la MBCT représente un coût incrémentiel de 50$ par jour sans dépression, coût équivalent à d’autres psychothérapies. Les coûts de la MBCT et du traitement d’entretien convergent cependant avec le temps, et dans les 3 derniers mois du suivi qui en représente 15, la MBCT semble moins chère. D’autres études à plus long terme devraient apporter confirmation de cette observation (5).

 

Autres études

Une autre étude a été publiée récemment, RCT suisse indépendante (6) évaluant la MBCT en prévention de la rechute de dépression. Elle montre un délai pour une rechute allongé sous MBCT associée aux soins usuels versus soins usuels seuls, mais après 14 mois, la fréquence de rechutes est identique dans les 2 groupes. Nous ne disposons pas à l’heure actuelle d’une évaluation de l’association d’une MBCT à la poursuite d’un traitement antidépresseur en prévention des rechutes.

 

Pour la pratique

Une thérapie cognitive basée sur la pleine conscience semble être une alternative acceptable à la poursuite d’un antidépresseur pour des patients présentant des dépressions récidivantes et qui ne sont pas partisans d’une prophylaxie médicamenteuse en raison d’effets indésirables ou d’une préférence personnelle pour une approche psychothérapeutique. Ce traitement n’est pas (encore) repris dans les guides de pratique. Ce type d’intervention est disponible assez largement en Belgique, du moins en Flandre.

 

 

Conclusion

Cette étude conclut qu’une thérapie cognitive basée sur la pleine conscience est une alternative acceptable à la poursuite d’un antidépresseur pour la prévention d’une rechute de dépression chez un patient qui en a déjà présenté plusieurs. En l’absence de différence significative entre les deux traitements, sauf pour quelques critères de jugement secondaires, le choix entre les deux approches dépendra de la préférence du patient et des disponibilités locales.

 

Références

  1. De Meyere M. Prévention de la rechute d'une dépression. MinervaF 2004;3(3):40-1.
  2. Ma SH, Teasdale JD. Mindfulness-based cognitive therapy for depression: replication and exploration of differential relapse prevention effects. J Consult Clin Psychol 2004;72:31-40.
  3. Teasdale JD, Segal ZV, Williams JM, et al. Prevention of relapse/recurrence in major depression by mindfulness-based cognitive therapy. J Consult Clin Psychol 2000;68:615-23.
  4. Judd LL, Akiskal HS, Maser JD, et al. Major depressive disorder: A prospective study of residual subthreshold depressive symptoms as predictor of rapid relapse. J Affect Disord 1998;50:97-108.
  5. Raes F, Dewulf D, Van HC, Williams JM. Mindfulness and reduced cognitive reactivity to sad mood: evidence from a correlational study and a non-randomized waiting list controlled study. Behav Res Ther 2009;47:623-7.
  6. Bondolfi G, Jermann F, der Linden MV, et al. Depression relapse prophylaxis with Mindfulness-Based Cognitive Therapy: Replication and extension in the Swiss health care system. J Affect Disord, In Press, Corrected Proof, available online 8 August 2009.  
Prévention d’une rechute de dépression par une thérapie cognitive basée sur la pleine conscience ?



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