Revue d'Evidence-Based Medicine



Dépistage chez des femmes à haut risque de cancer du sein : mammographie et échographie ?



Minerva 2010 Volume 9 Numéro 1 Page 10 - 11

Professions de santé


Analyse de
Berg WA, Blume JD, Cormack JB et al; ACRIN 6666 Investigators. Combined screening with ultrasound and mammography vs mammography alone in women at elevated risk of breast cancer. JAMA 2008;299:2151-63.


Question clinique
Quelle est la plus-value d’un ajout d’une échographie à une mammographie dans le dépistage du cancer du sein chez la femme à haut risque ?


Conclusion
Cette étude conclut à l’intérêt de l’ajout d’une échographie à une mammographie pour le dépistage du cancer du sein chez des femmes à haut risque. Ce bénéfice va de pair avec une augmentation des cas de faux positifs. Ces résultats ne peuvent pas être extrapolés à la population générale.


 

Contexte

Les résultats non favorables du dépistage du cancer du sein chez les femmes âgées de moins de 50 ans en termes de mortalité globale et de mortalité liée au cancer du sein (1) sont attribués, partiellement, à une densité accrue du tissu mammaire. Contrairement à la mammographie, l’échographie peut dépister de petits cancers du sein, non calcifiés. Au plus les seins sont denses au plus l’échographie est performante pour le dépistage (2,3). L’apport diagnostique de l’échographie en ajout à une mammographie dans une population à haut risque n’avait pas encore été évalué.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 2725 femmes de 55 ans d’âge moyen (écarts de 25 à 91) se présentant pour la première fois dans 1 des 21 centres pour examen de suivi annuel
  • critères d’inclusion : risque augmenté de cancer du sein (antécédent de cancer du sein ou de lésion hyperplasique ou de carcinome in situ, risque ≥ 25% au modèle de Gail ou de Claus, mutation BRCA 1 ou 2, irradiation thoracique, médiastinale ou axillaire) ; tissu parenchymateux dense ou très dense dans au moins 1 quadrant lors d’une mammographie précédente
  • critères d’exclusion : symptômes ou signes de cancer du sein actuel, présence d’une prothèse mammaire, carcinome métastasé, grossesse ou allaitement, mammographie ou échographie dans les 11 derniers mois, intervention ou RMN mammaire dans les 12 derniers mois, autre cancer non guéri depuis au moins 5 ans.

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée contrôlée
  • mammographie suivie d’une échographie (n = 1340) versus échographie suivie d’une mammographie (n = 1372) ; examinateurs en insu du premier résultat ; interprétation par une tierce personne en cas de discordance de résultat aux 2 examens
  • interprétation de la mammographie et de l’échographie sur une échelle BI-RADS étendue ; test positif si ≥ 4 ; prise en compte du résultat à la mammographie et du résultat le plus sévère pour mammographie + échographie
  • tests index : mammographie versus mammographie + échographie
  • test de référence : association du suivi clinique à 1 an (avec diagnostic de cancer du sein déclaré) avec les résultats de biopsie dans les 365 jours (avec cancer ductal infiltrant ou in situ, ou carcinome lobulaire infiltrant).

 

Mesure des résultats

  • par participante (et non par nombre de cancers)
  • critères primaires : sensibilité, spécificité, valeurs prédictives positives et négatives avec IC à 95%, aire sous la courbe (AUC) de la courbe ROC.

 

Résultats

  • connus pour 2637 femmes ; sorties d’étude : 3,23%
  • 40 femmes avec un cancer (41 cancers) : avec un score BI-RADS ≥ 4 : 31 pour l’association mammographie + échographie, 20 pour la mammographie seule, 12 pour l’échographie seule
  • faux positifs : 4,4% pour la mammographie, 8,1% pour l’échographie, 10,4% pour l’association
  • critères primaires : voir tableau.

 

Tableau. Nombre de cancers identifiés par 1000 femmes dépistées, sensibilité, spécificité, AUC de la courbe ROC, valeurs prédictives positives et négatives de l’association mammographie + échographie versus mammographie seule (avec intervalles de confiance à 95%), différences et valeur p pour ces différences entre les 2 groupes. 

 

Mammographie + échographie

Mammographie seule

Différence mammographie + échographie vs mammographie seule

Nombre de cancers du sein identifiés par 1 000 femmes dépistées

11,8 (8-16,6)

7,6 (4,6-11,7)

4,2 (1,1-7,2); p=0,003

Sensibilité

77,5 (61,6-89,2)

50 (33,8-66,2)

27,5 (9,5-45,5); p=0,003

Spécificité

89,41 (88,16-90,57)

95,53 (94,67-96,3)

-6,12 (-7,2 à -5); p<0,001

AUC de la courbe ROC

0,90 (0,83-0,95)

0,68 (0,53-0,80)

0,23 (0,10-0,35);p<0,001

Valeur prédictive +

10,1 (7,0-14,1)

14,7 (9,2-21,8)

0,65* ; p=0,03

Valeur prédictive -

99,61 (99,27-99,82)

99,20 (98,77-99,51)

2,08* ; p=0,004

Force probante

7,7

11,1

 

Force excluante

4

1,9

 

* odds ratio

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’ajout d’une échographie à une mammographie de dépistage permet de dépister 1,1 à 7,2 cancers supplémentaires par 1000 femmes à haut risque, au prix d’une augmentation sensible de faux positifs.

 

Financement

Avon Foundation et National Cancer Institute qui ne sont intervenus à aucun des stades de la recherche ni de la publication.

 

Conflits d’intérêt

de nombreux auteurs déclarent avoir reçu des honoraires ou des équipements de firmes de matériel d’imagerie.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette étude diagnostique est bien élaborée. Les critères d’inclusion et d’exclusion sont correctement décrits. Le critère « tissu parenchymateux dense ou très dense dans au moins 1 quadrant lors d’une précédente mammographie » n’est cependant pas suffisamment précis. La densité mammaire est donc fort variable dans cette population d’étude, ce qui a peut-être diminué la performance de l’échographie (2). Le test de référence est bien décrit. Les tests index ont été pratiqués chez toutes les participantes, avec une séquence aléatoire. L’interprétation de la mammographie et de l’échographie est faite sur une échelle BI-RADS étendue par des radiologues spécialement formés, en insu du premier résultat. En cas de test positif, celui-ci doit être confirmé par un autre radiologue qui détermine le mode de suivi à court terme. La validité externe de l’étude est renforcée par son caractère multicentrique.

 

Mise en perspective des résultats

Les résultats de cette étude sont impressionnants. L’ajout d’une échographie à une mammographie augmente le diagnostic de cancer du sein de 55% : de 7,6 à 11,8 par 1000 femmes. La sensibilité de l’association mammographie + échographie semble être de 27,5% supérieure à celle de la mammographie seule. Dans la population à haut risque de cette étude-ci, il semble donc défendable d’ajouter une échographie à la mammographie. Il y a un mais. L’augmentation de la sensibilité s’accompagne d’un doublement du nombre de faux positifs (de 116/2637 sous mammographie seule à 275/2637 avec l’association d’examens). Cette association entraîne de plus nombreuses indications de biopsie (276 vs 84) et 91, 2% des biopsies effectuées en raison d’une échographie anormale se sont révélées négatives. Ce nombre élevé de faux positifs doit être mis en balance avec le fait que la mammographie seule manque 8 cas de cancer du sein par 1000 examens de dépistage. Il faut aussi prendre en considération les faux négatifs malgré l’association des 2 examens : 9 sur 40 cas (22,5%). Les chercheurs n’ont pas évalué si les résultats faussement positifs ont entraîné des dommages physiques ou émotionnels (4). Des femmes présentant une telle augmentation de risque (la moitié ont des antécédents de cancer du sein, l’autre moitié une anamnèse familiale positive) n’estiment-elles pas qu’il est plus important de mieux exclure ce diagnostic, même au prix d’une augmentation du nombre de faux positifs (5) ?

Ces résultats en faveur d’une association de la mammographie et de l’échographie se maintiendront-ils dans les dépistages ultérieurs ? La mortalité par cancer du sein dans cette population à risque en sera-t-elle diminuée ? Les auteurs n’évaluent malheureusement pas le rapport coût/efficacité. Ils insistent, dans leur discussion, sur les limites de l’ajout d’un nouvel examen (l’échographie en l’occurrence) en termes d’investissement de temps majoré : 19 minutes supplémentaires en moyenne (écarts de 2 à 90 minutes).

 

Pour la pratique

Cette étude ne concerne que des femmes à risque majoré. L’efficacité observée pour l’association d’une échographie à une mammographie ne peut être extrapolée à la population générale, à plus faible risque. La prévalence de cancer du sein dans la population générale des femmes âgées de 40 à 50 ans est, en effet, beaucoup plus basse que celle de cette population à haut risque : 0,04% versus 1,5% (4). La probabilité a posteriori de dépistage d’un cas supplémentaire de cancer grâce à l’association des 2 examens est très faible dans la population générale. Ce petit bénéfice en termes de sensibilité ne fait pas le poids versus l’augmentation importante du nombre de faux positifs, le nombre de faux négatifs qui restera élevé en raison des difficultés de l’examen, l’augmentation des coûts de dépistage (échographie supplémentaire + biopsies éventuellement indiquées), les difficultés du contrôle de la technique et de la double lecture. Au vu d’une diminution de la spécificité de 6%, dans cette population à haut risque, le nombre de faux positifs augmente de 140% et le nombre de biopsies de 220%. Dans une population à plus faible risque ces augmentations seraient encore relativement plus élevées. Suivant les guides de pratique actuels, l’échographie n’a sa place que comme technique diagnostique en cas de problèmes spécifiques : anomalies à la mammographie, implants mammaires, femmes jeunes ou allaitantes, identification d’une tumeur palpable non visualisée à la mammographie (6).

 

Conclusion

Cette étude conclut à l’intérêt de l’ajout d’une échographie à une mammographie pour le dépistage du cancer du sein chez des femmes à haut risque. Ce bénéfice va de pair avec une augmentation des cas de faux positifs. Ces résultats ne peuvent pas être extrapolés à la population générale.

 

Références

  1. Mammographies et dépistage des cancers du sein : Dossier complet publié. Rev Prescr 2006;26:348-74.
  2. Kolb TM, Lichy J, Newhouse JH. Comparison of the performance of screening mammography, physical examination, and breast US and evaluation of factors that influence them: an analysis of 27,825 patient evaluations. Radiology 2002;225:165-75.
  3. Kaplan SS. Clinical utility of bilateral whole-breast US in the evaluation of women with dense breast tissue. Radiology 2001;221:641-9.
  4. Is mammography + ultrasound better than mammography alone for high-risk women? [Comment] J Fam Pract 2008;57:508.
  5. Kuhl CK. The “Coming of Age” of nonmammographic screening for breast cancer. [Comment] JAMA 2008;299:2203-5.
  6. Garmyn B, Govaerts F, Van de Vyver N, et al. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering: Borstkankerscreening. Huisarts Nu 2008;37:2-27.
Dépistage chez des femmes à haut risque de cancer du sein : mammographie et échographie ?

Auteurs

Bleyen L.
Centrum voor Preventie en Vroegtijdige opsporing van Kanker, Universiteit Gent
COI :

Poelman T.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent
COI :

Glossaire

courbe ROC

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