Revue d'Evidence-Based Medicine



Sertraline un meilleur choix pour la dépression majeure ?



Minerva 2009 Volume 8 Numéro 10 Page 140 - 141

Professions de santé


Analyse de
Cipriani A, La Ferla T, Furukawa TA, et al. Sertraline versus other antidepressive agents for depression. Cochrane Database Syst Rev 2009, Issue 2.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité, l’acceptation et la tolérance à la sertraline versus antidépresseurs tricycliques, maprotiline, ISRS et nouveaux antidépresseurs dans le traitement de la phase aiguë de la dépression majeure ?


Conclusion
Cette méta-analyse conclut à une tendance en faveur de la sertraline versus autres antidépresseurs en termes d’efficacité et d’acceptation pour le traitement d’une dépression majeure. Les preuves apportées sont cependant insuffisantes pour remettre en question les guides de pratique actuels.


 

Contexte

Dans les guides de pratique, les antidépresseurs inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) sont mentionnés comme premier choix unique (1) ou à égalité (2,3) avec les tricycliques. Parmi les ISRS, la sertraline est avancée comme étant d’une efficacité supérieure, sur base de comparaisons indirectes et directes (4). Est-ce vérifié versus tous les ISRS et aussi versus antidépresseurs plus récents, dans des comparaisons directes ?

 

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

 

Sources consultées

  • MEDLINE (1966 à 2008), EMBASE (1974 à 2008), le Cochrane Collaboration Depression, Anxiety and Neurosis Controlled Trials Register et le Cochrane Central Register of Controlled Trials jusqu’à juillet 2008
  • consultation des listes de références des études retenues et des précédentes synthèses méthodiques, d’experts, de firmes concernées, des auteurs des études.

Etudes sélectionnées

  • RCTs incluant des patients avec dépression majeure et comparant la sertraline à tout autre antidépresseur, de toute durée
  • 59 RCTs isolées, avec comparaisons multiples, 58 en double aveugle, 17 incluant moins de 100 patients.

 

Population étudiée

  • environ 10 000 patients âgés d’au moins 18 ans avec diagnostic primaire de dépression majeure (critères DSM IV ou ICD 10, DSM III, DSM III-R) ; majorité (45) des études en ambulatoire ; personnes > 65 ans non exclues dans 35 études
  • dépression modérée à sévère dans 56 études, légère à modérée dans 3 études
  • exclusion : patients avec autre pathologie sur l’axe I ou II du DSM IV, patients avec une pathologie médicale sérieuse concomitante.

Mesure des résultats

  • critères primaires : nombre d’échecs de réponse à la phase aiguë (6 à 12 semaines) ; une réponse correspond à une diminution d’au moins 50% au score de Hamilton (HAM-D) ou pour un autre score, à une amélioration forte ou très forte au CGI-I 
  • critères secondaires : nombre de patients en rémission : score ≤ 7 au entretien semi-structuré explorant 17, 21 ou 24 items. Dans la version à 17 items sont repris : humeur dépressive, sentiments de culpabilité, suicide, insomnie de début de nuit, du milieu de nuit, du matin, travail et activités, ralentissement, agitation, anxiété psychique, anxiété somatique, symptômes somatiques gastro-intestinaux et généraux, symptômes sexuels, hypocondrie, perte de poids, prise de conscience. Parmi ces items, il y en a 17 auxquels on peut répondre sur une échelle à 3 points (0 à 2) ou à 5 points (0 à 4). Les seuils utilisés pour la liste à 17 items sont les suivants : score < 8 = pas de dépression ; score ≥ 8 = symptômes résiduels d’une dépression. ">HAM-D, non malade ou à la limite de la maladie mentale au CGI-S ; scores moyens initiaux versus finaux sur plusieurs échelles (HAM-D, MADRS évalue la gravité de la dépression par le biais d'un entretien semi-structuré à 10 items (score maximal de 60 points).">MADRS), fonctionnement social, qualité de vie, coût,  acceptabilité (arrêt de traitement pour inefficacité ou effets indésirables), tolérance (effets indésirables : total ou certains précisément).

Résultats

  • efficacité (total de 9 303 patients) : la sertraline est plus efficace que la fluoxétine (cote (Eng : odds) représente un rapport de risque, le rapport entre la probabilité de survenue d’une maladie ou d’un évènement et la probabilité de non survenue de cette maladie ou de cet évènement. Un rapport de cotes est un rapport entre 2 cotes.">OR 0,73 ; IC à 95% de 0,59 à 0,92 pour le critère primaire) mais moins efficace que la mirtazapine
  • acceptation et tolérance (total de 9 950 patients) : la sertraline est mieux acceptée et tolérée que l’amitriptyline, l’imipramine, la paroxétine et la mirtazapine mais moins bien acceptée que le bupropion
  • effets indésirables particuliers : la sertraline est généralement associée à une incidence supérieure de diarrhée.
  • pour les résultats spécifiquement versus antidépresseurs tricycliques, voir discussion.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que cette synthèse méthodique avec méta-analyse montre une tendance en faveur de la sertraline versus autres antidépresseurs en termes d’efficacité et d’acceptation, en ayant recours à un intervalle de confiance à 95% et à une approche conservatrice, avec analyse en au hasard mais aussi à des variations réelles entre les études. L’hypothèse d’un modèle d’effet aléatoire est qu’il existe une «population» d’effets éventuels avec une répartition précise autour d’un effet global moyen.">modèle d’effets aléatoires. Cependant, les études incluses ne procurent pas de données pour les critères préspécifiés dans le protocole. Les résultats de pertinence nette pour les patients et pour les cliniciens ne sont rapportés dans aucune des études incluses.

Financement

Les auteurs mentionnent un don de la Fondazione Cariverona à un centre de l’OMS situé à l’Université de Vérone (comme le premier auteur) mais sans établir le lien avec  cette publication.

 

Conflits d’intérêt 

Un des auteurs déclare avoir reçu des honoraires de différentes firmes pharmaceutiques pour des recherches ou des présentations.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette méta-analyse est élaborée selon une méthodologie correcte : recherche méthodique dans la littérature, dans plusieurs bases de données, validation de la qualité méthodologique des études (élaboration de séquence d’attribution, étude clinique randomisée (RCT), les sujets appartenant à la population faisant l’objet de l’étude sont distribués de façon aléatoire (par exemple à l’aide d’enveloppes fermées) entre groupe(s) expérimental(aux) et groupe(s)-témoin. L’allocation en aveugle se réfère au fait que l’on tient secrète (ou aveugle) la répartition des patients entre les différents groupes constitués pour la recherche. Cela signifie que celui qui constitue les groupes (par exemple en distribuant les enveloppes) ne connaît pas le contenu de l’enveloppe et que le code ne peut pas être identifié. De cette manière on évite le biais d’attribution (ou d’allocation).">secret de l’attribution, double aveugle, données incomplètes pour certains items, mention sélective des résultats favorables, autres biais), extraction des données indépendamment par 2 chercheurs, recherche d’une hétérogénéité (test I² Higgins) et d’un erreur systématique dans la méthodologie d’une étude. Il existe un biais de publication si la publication des études dépend de l’ampleur, de la direction ou de la signification statistique des résultats de l’étude. Cette forme de biais est importante pour les méta-analyses. La recherche des biais de publication peut se faire à l’aide, par exemple, d’un funnel plot.">biais de publication, analyse de sensibilité en fonction de différentes caractéristiques (méthodologiques ou autres) des études (5). Les auteurs soulignent la faible qualité générale des études incluses, notamment le fait que près de la moitié des études ne mentionnent que des résultats incomplets et que 18 seulement sont exemptes de compte rendu sélectif. Une constatation : il n’y a aucune donnée chiffrée dans l’abstract, fait rarissime dans une méta-analyse de la Cochrane Collaboration.

Interprétation des données

Les comparaisons sont multiples et les résultats sont donnés, à juste titre, comparaison de médicament à médicament et non sertraline versus classe de médicament. Il n’est pas possible de les discuter toutes ici. Nous nous limiterons donc aux résultats posant question, aux comparaisons versus tricycliques et à une comparaison avec l’autre méta-analyse en réseau des mêmes auteurs pour la plupart (4) analysée dans ce numéro de Minerva (5).

Versus mirtazapine

Les auteurs annoncent une plus grande efficacité de la mirtazapine versus sertraline : aucune différence significative n’est observée dans leurs résultats pour les différents critères. Versus antidépresseurs tricycliques

Pour les comparaisons versus tricycliques, les 18 RCTs datent en général des années 90, la plus récente étant de 2003 et demeurant la seule en faveur de la sertraline. Une seule autre donne aussi un résultat avec une différence significative pour le critère primaire, en faveur de l’amitriptyline. Sur l’ensemble des comparaisons avec l’amitryptiline, la seule différence significative au point de vue efficacité est en faveur de l’amitriptyline : modification moyenne versus valeur initiale : DMS 0,18 ; IC à 95% de 0,04 à 0,32 ; p= 0,009. La description des populations incluses dans les études est insuffisante pour interpréter l’efficacité en fonction de la sévérité de la dépression comme cela a été fait dans une autre méta-analyse analysée dans Minerva (6). Au point de vue acceptation, il n’y a pas de différence significative sertraline versus amitriptyline (OR 0,94 ; IC à 95% de 0,74 à 1,18), contrairement à ce que les auteurs indiquent dans leur conclusion. Il y a moins d’effets indésirables (au total) sous sertraline que sous amitriptyline (OR 0,59 ; IC à 95% de 0,39 à 0,89 ; p=0,01), mais avec cependant plus de diarrhée avec la sertraline qu’avec les différents tricycliques. Il n’y a pas significativement plus d’arrêts pour effets indésirables sous amitriptyline que sous sertraline.

Versus autre méta-analyse récente

La comparaison avec l’autre méta-analyse récente, en réseau, montre quelques différences dans celle-ci (4,5). Seules 29 RCTs comparent la sertraline à un autre (nouvel) antidépresseur (comparaisons directes) dans la méta-analyse en réseau (5 090 sujets). Pas de supériorité de la mirtazapine versus sertraline au point de vue efficacité (1 seule étude pour 2 dans la présente méta-analyse). Même efficacité de la sertraline et de l’escitalopram et même acceptation, comme dans la méta-analyse Cochrane. Pas de différence significative pour les sorties d’étude sertraline versus bupropion sur base des 3 mêmes études que la présente méta-analyse qui conclut, elle, à un avantage significatif en faveur du bupropion (moins d’arrêts). Les chiffres de patients pris en considération pour les analyses dans les 2 publications sont différents…

Finalement, les auteurs de la méta-analyse Cochrane signalent eux-mêmes que les résultats de pertinence nette pour les patients et pour les cliniciens ne sont rapportés dans aucune des études incluses, par exemple les attitudes des patients et de leurs soignants vis-à-vis du traitement, la capacité de reprise du travail et d’un fonctionnement social normal.

Pour la pratique

Cinq auteurs sont communs à deux méta-analyses, l’une comparant la sertraline à tous les autres antidépresseurs (analysée ici), l’autre comparant entre eux, par voie directe ou indirecte tous les nouveaux antidépresseurs (4,5). Les auteurs concluent la première fois à une tendance en faveur de la sertraline versus autres antidépresseurs et dans l’autre cas à un avantage de la sertraline et de l’escitalopram versus autres nouveaux antidépresseurs (efficacité semblable à d’autres mais meilleure tolérance), la sertraline étant l’antidépresseur le plus efficient. Ils y ajoutent, dans cette méta-analyse-ci, un plus grand intérêt de la mirtazapine (non étayé par les chiffres qu’ils donnent) et du bupropion (moins d’effets indésirables), observation non faite dans leur autre méta-analyse sur les mêmes études. Sur base des résultats donnés, l’amitriptyline est plus efficace que la sertraline. Il n’y a donc pas d’argument robuste pour modifier les recommandations actuelles : choisir, si un antidépresseur est nécessaire, entre tricyclique (amitriptyline la mieux évaluée) et ISRS (sertraline la plus efficiente), avec le patient, en fonction des co-morbidités et des effets indésirables possibles.

 

Conclusion

Cette méta-analyse conclut à une tendance en faveur de la sertraline versus autres antidépresseurs en termes d’efficacité et d’acceptation pour le traitement d’une dépression majeure. Les preuves apportées sont cependant insuffisantes pour remettre en question les guides de pratique actuels.

  

Références

  1. NICE. Depression: management of depression in primary and secondary care - NICE guidance. National Clinical Practice Guideline Number 23.
  2. Van Marwijk HW, Grundmeijer HG, Bijl D, et al. NHG-Standaard Depressieve stoornis (depressie). Huisarts Wet 2003;46:614-33.
  3. Heyrman J, Declercq T, Rogiers R, et al. Depressie bij volwassenen: aanpak door de huisarts. Aanbeveling voor medische praktijkvoering. Huisarts Nu 2008;37:284-317.
  4. Cipriani A, Furukawa TA, Salanti G, et al. Comparative efficacy and acceptability of 12 new-generation antidepressants: a multiple-treatments meta-analysis. Lancet 2009;373:746-58.
  5. Chevalier P. Nouveaux antidépresseurs : un meilleur choix ? MinervaF 2009;8(10):138-9.
  6. De Meyere M. Un lien entre l’efficacité des nouveaux antidépresseurs et la sévérité de la dépression. MinervaF 2008;7(9):134-5.
Sertraline un meilleur choix pour la dépression majeure ?



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