Revue d'Evidence-Based Medicine



Nouveaux antidépresseurs : un meilleur choix ?



Minerva 2009 Volume 8 Numéro 10 Page 138 - 139

Professions de santé


Analyse de
Cipriani A, Furukawa TA, Salanti G, et al. Comparative efficacy and acceptability of 12 new-generation antidepressants: a multiple-treatments meta-analysis. Lancet 2009;373:746-58.


Question clinique
En cas de dépression majeure, quel est le meilleur choix parmi les nouveaux antidépresseurs au point de vue efficacité et tolérance ?


Conclusion
Cette méta-analyse en réseau se limite à une comparaison entre nouveaux médicaments antidépresseurs pour traiter les 8 premières semaines d’une dépression majeure chez des adultes ; le choix sélectif qu’elle propose repose sur une méthodologie statistique rigoureuse mais ignore des considérations cliniques essentielles et une comparaison avec des antidépresseurs plus anciens. Les recommandations actuelles ne sont donc pas à modifier en fonction de cette publication.


 

Contexte

Les méta-analyses évaluant l’efficacité comparative des nouveaux antidépresseurs dans le traitement de la dépression majeure chez l’adulte se limitant aux comparaisons directes effectuées dans le cadre de RCTs (1) ne montrent pas de différence substantielle au point de vue efficacité ni efficience entre les antidépresseurs de deuxième génération. Une méta-analyse en réseau des résultats de toutes les RCTs avec des comparaisons directes et indirectes conduit-elle à une autre conclusion ?

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse en réseau

 

Sources consultées

  • base de données de la Cochrane collaboration depression, anxiety, and neurosis review (de 1991 à novembre 2007)
  • consultation des firmes pharmaceutiques, des agences d’enregistrement, des chercheurs des études pour complément d’informations.

Etudes sélectionnées

  • RCTs pour le traitement aigu (8 semaines) d’une dépression majeure unipolaire chez un adulte
  • RCTs évaluant de manière comparative un des 12 nouveaux antidépresseurs : bupropion, citalopram, duloxétine, escitalopram, fluoxétine, fluvoxamine, milnacipran, mirtazapine, paroxétine, réboxétine, sertraline, venlafaxine ; pas de comparaison versus placebo
  • évaluation de la qualité méthodologique (adéquate, non précisée, inadéquate) sur les critères : étude clinique randomisée (RCT), les sujets appartenant à la population faisant l’objet de l’étude sont distribués de façon aléatoire (par exemple à l’aide d’enveloppes fermées) entre groupe(s) expérimental(aux) et groupe(s)-témoin. L’allocation en aveugle se réfère au fait que l’on tient secrète (ou aveugle) la répartition des patients entre les différents groupes constitués pour la recherche. Cela signifie que celui qui constitue les groupes (par exemple en distribuant les enveloppes) ne connaît pas le contenu de l’enveloppe et que le code ne peut pas être identifié. De cette manière on évite le biais d’attribution (ou d’allocation).">secret de l’attribution aléatoire et insu ; exclusion des méta-analyses si qualité inadéquate
  • 117 RCTs incluses (25 928 patients).

Population concernée

  • adultes souffrant d’une dépression majeure unipolaire ; score moyen initial de 23,47 au HDRS-17, et 30,09 au MADRS évalue la gravité de la dépression par le biais d'un entretien semi-structuré à 10 items (score maximal de 60 points).">MADRS
  • caractéristiques partiellement données : 53 études (n= 9 321) âge ≤ 65 ans et 8 études (n= 1 583) âge > 65 ans ; 87 études en ambulatoire ; 7 en soins primaires.

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : proportion de répondeurs (réduction d’au moins 50% versus valeur initiale au Hamilton Depression Rating Scale (HDRS) ou au Montgomery-Asberg Depression rating Scale (MADRS) ou de sujets améliorés (+ ou ++) au Clinical Global Impression (CGI) à 8 semaines ou d’arrêts de traitement avant le terme de 8 semaines
  • intention de traiter doit être complétée par une imputation de ces résultats manquants dans les différents bras d’étude.">analyse en intention de traiter.

Résultats

Pour les comparaisons mixtes (indirectes + directes) :

  • critère primaire d’efficacité : voir tableau ; la réboxétine est l’antidépresseur le moins efficace
  • intolérance motivant un arrêt de traitement avant 8 semaines : moins avec l’escitalopram et avec la sertraline qu’avec la duloxétine, la fluvoxamine, la paroxétine, la réboxétine et la venlafaxine.

Tableau. cote (Eng : odds) représente un rapport de risque, le rapport entre la probabilité de survenue d’une maladie ou d’un évènement et la probabilité de non survenue de cette maladie ou de cet évènement. Un rapport de cotes est un rapport entre 2 cotes.">OR de supériorité d’un ou de plusieurs antidépresseur(s) par rapport à un autre pour le critère primaire d’efficacité (Intervalles de crédibilité significatifs, non mentionnés ici).

 

Mirtazapine*

Escitalopram*

Venlafaxine*

Sertraline*

versus duloxétine

1,39

1,33

1,30

1,27

versus fluoxétine

1,37

1,32

1,28

1,25

versus fluvoxamine

1,41

1,35

1,30

1,27

versus paroxétine

1,35

1,30

1,27

1,22

versus réboxétine

2,03

1,95

1,89

1,85

*différences non significatives entre ces 4 médicaments

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que des différences cliniquement importantes existent entre les antidépresseurs communément prescrits tant pour l’efficacité que pour la tolérance, en faveur de l’escitalopram et de la sertraline. La sertraline est, selon eux, le meilleur choix pour initier le traitement d’une dépression modérée à sévère chez un adulte en raison de sa plus-value au point de vue bénéfices, sa tolérance et son coût.

Financement

Aucun.

Conflits d’intérêt 

5 auteurs sur les 12 déclarent avoir reçu des financements de firmes pharmaceutiques à divers titres.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette méta-analyse en réseau est de bonne qualité générale mais présente aussi quelques limites ou zones d’ombre. Les auteurs n’ont consulté qu’une seule base de données, ce qui n’est généralement pas admis pour une synthèse méthodique. Ils n’ont inclus aucune étude de comparaison versus placebo, ce qui est le reproche principal. En cas d’absence de données, ils ont recours à une méthode d’imputation (en cas d’absence de données de suivi le patient est considéré comme un non répondeur) ce qui est une attitude conservatrice. Analysons maintenant leur respect des principes méthodologiques principaux d’une méta-analyse en réseau : l’homogénéité, la similarité et la cohérence (2). Pour la méta-analyse des comparaisons directes, l’hétérogénéité (I² de Higgins) est, sur l’ensemble, modérée, mais supérieure à 75% pour 2 comparaisons. Les auteurs combinent ensuite dans une méta-analyse en réseau les données de comparaisons directes et indirectes sur base de techniques adéquates (2). L’homogénéité et la similarité des données pour des comparaisons indirectes ajustées ne sont cependant pas quantifiées. L’incohérence du réseau est testée en comparant les résultats des comparaisons directes et indirectes. Cette analyse confirme la cohérence des résultats quel que soit le chemin emprunté. Les 3 incohérences statistiques sur 70 comparaisons constatées sont compatibles avec le hasard.

Les auteurs pratiquent également une analyse de sensibilité selon la dose d’antidépresseur, la présence ou non d’une imputation, et une analyse en méta-régression pour déterminer l’effet de la sponsorisation de l’étude sur les résultats.

Soulignons aussi que selon l’analyse de qualité des études suivant les 2 critères choisis par les auteurs (secret de l’attribution aléatoire et insu), seules 12 sur 117 sont considérées comme adéquates.

Mise en perspective des résultats

Les études originales utilisent différents dosages d’antidépresseurs. Les auteurs de cette méta-analyse ont recours à des quartiles précédemment déterminés (1) pour réaliser une analyse de sensibilité regroupant les études avec les mêmes écarts de doses, ce qui permet une évaluation comparative adéquate. Cette méta-analyse en réseau montre, en termes d’efficacité, un meilleur résultat pour la mirtazapine, l’escitalopram, la venlafaxine et la sertraline que pour la duloxétine, la fluoxétine, la fluvoxamine, la paroxétine et la réboxétine. Pour la tolérance un avantage est calculé pour l’escitalopram, la sertraline, le citalopram et le bupropion par rapport aux autres nouveaux antidépresseurs. Des antidépresseurs jugés plus efficaces (mirtazapine et venlafaxine) ne sont pas parmi les mieux tolérés, en termes d’arrêts de traitement.

Quelle peut être la portée de telles conclusions tirées de savantes et rigoureuses méthodes statistiques ? Au niveau d’une efficacité clinique relativement (OR) plus importante, le critère de jugement retenu est un résultat favorable sur 1 parmi 3 échelles (HDRS, MARDS ou CGI). L’absence de référence et de chiffre précis ne permet pas de juger réellement de l’ampleur d’un bénéfice cliniquement pertinent.

La tolérance est évaluée uniquement en fonction du taux d’arrêts de traitement, ce qui est une limite difficilement acceptable. Comme le reconnaissent les auteurs, les effets indésirables, la possibilité d’un syndrome de sevrage, le fonctionnement social sont des critères d’évaluation importants, non pris en compte dans cette méta-analyse. Nous ne disposons, dans cette recherche, d’aucune comparaison avec les antidépresseurs plus anciens.

Toutes les observations et tous les calculs présentés dans cette méta-analyse en réseau ne concernent que les 8 premières semaines du traitement de la dépression, ce qui est une frustration pour le clinicien qui désire connaître le résultat et les différences à plus long terme, les recommandations étant de traiter durant minimum 6 mois.

Une synthèse classique (comparaisons directes) (1) de l’efficacité comparative des antidépresseurs de seconde génération concluait à l’absence de différence substantielle au point de vue efficacité et efficience entre antidépresseurs de seconde génération, à l’absence de différence au point de vue qualité de vie et à des données contradictoires quant à la rapidité d’action (sauf pour la mirtazapine) dans le traitement des troubles dépressifs.

Pour la pratique

Les recommandations pour la première ligne de soins en Belgique (3) précisent qu’un traitement médicamenteux antidépresseur est à réserver comme première approche aux troubles dépressifs sévères en première ligne de soins, à initier immédiatement en cas de risque suicidaire. En cas de dépression légère ou modérée, un médicament antidépresseur n’est pas un premier choix en première ligne de soins. Ces recommandations insistent sur la possibilité d’effets indésirables sévères pour toutes les classes d’antidépresseurs. Le choix d’un antidépresseur tricyclique est tout aussi défendable que celui d’un nouvel antidépresseur, le choix devant se faire en fonction de la sévérité de la dépression, des choix du patient et du profil d’effets indésirables du médicament envisagé.

Cette méta-analyse en réseau, sans comparaison avec les antidépresseurs tricycliques, sans analyse comparative des effets indésirables de nouveaux antidépresseurs, sans évaluation de l’ampleur d’une différence cliniquement pertinente entre eux, n’apporte que des éléments indicatifs, à vérifier, en faveur de la sertraline.

 

Conclusion

Cette méta-analyse en réseau se limite à une comparaison entre nouveaux médicaments antidépresseurs pour traiter les 8 premières semaines d’une dépression majeure chez des adultes ; le choix sélectif qu’elle propose repose sur une méthodologie statistique rigoureuse mais ignore des considérations cliniques essentielles et une comparaison avec des antidépresseurs plus anciens. Les recommandations actuelles ne sont donc pas à modifier en fonction de cette publication.

 

Références

  1. Gartlehner G, Hansen RA, Thieda P, et al. Comparative effectiveness of second-generation antidepressants in the pharmacologic treatment of adult depression. AHRQ Publication No. 07-EHC007-EF January 2007.
  2. Chevalier P. Méta-analyse en réseau: comparaisons directes et indirectes. MinervaF 2009;8(10):148.
  3. Heyrman J, Declercq T, Rogiers R, et al. Depressie bij volwassenen: aanpak door de huisarts. Aanbeveling voor medische praktijkvoering. Huisarts Nu 2008;37:284-317.
Nouveaux antidépresseurs : un meilleur choix ?



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