Revue d'Evidence-Based Medicine



Nourriture épaissie en cas de reflux gastro-oesophagien chez le nourrisson ?



Minerva 2009 Volume 8 Numéro 10 Page 134 - 135

Professions de santé


Analyse de
Horvath A, Dziechciarz P, Szajewska H. The effect of thickened-feed intervention on gastroesophageal reflux in infants: systematic review and meta-analysis of randomized, controlled trials. Pediatrics 2008;122:e1268-e1277.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité des épaississants de l’alimentation sur les symptômes de reflux gastro-oesophagien (RGO) chez les nourrissons sains ?


Conclusion
Cette méta-analyse apporte comme seule conclusion que l’épaississement de la nourriture diminue faiblement le nombre de régurgitations chez des nourrissons présentant un reflux gastro-oesophagien, sans pouvoir préciser le nombre de nourrissons présentant dans les études une maladie de reflux. L’épaississement de l’alimentation n’a pas d’effet sur les autres symptômes de reflux.


 

Contexte

Les épaississants alimentaires font l’objet d’une forte promotion, de la part de l’industrie des aliments pour bébés, pour traiter le RGO chez les nourrissons. Une méta-analyse publiée en 2004 montrait que l’épaississement de l’alimentation diminue, à court terme, la fréquence et la sévérité des régurgitations chez des nourrissons sains (1). Plusieurs études ont été publiées depuis lors. Cette nouvelle synthèse méthodique évalue l’efficacité et la sécurité de l’épaississement de la nourriture pour traiter le RGO ainsi que la différence d’efficacité entre les produits.

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

 

Sources consultées

  • Cochrane Central Register of Controlled Trials en 2008
  • MEDLINE de 1966 à 2008
  • EMBASE de 1980 à 2008
  • CINAHL (Cumulative Index of Nursing and Allied Health Literature)
  • références des congrès de gastro-entérologie pédiatriques, des études et articles de synthèse et méta-analyses isolées.

 

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : RCTs publiées comparant sur plusieurs jours une alimentation pour nourrisson épaissie versus placebo ou absence d’intervention chez des nourrissons sains présentant un reflux gastro-oesophagien (toutes définitions confondues) ; tout type ou dosage d’épaississant (farine de caroube, fécule de riz ou de maïs) ; mention d’au moins un critère primaire parmi ceux choisis pour cette synthèse
  • critères d’exclusion : non RCT
  • inclusion finale de 14 RCTs avec groupes parallèles ou en permutation, d’une durée de 1 à 8 semaines.

 

Population étudiée

  • 877 nourrissons en bonne santé, âgés de 13 jours à 12 mois, présentant un reflux gastro-oesophagien.

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : symptômes ou amélioration des symptômes de RGO (tels que régurgitations, pleurs, irritabilité, vomissements, haut le cœur) sous évaluation des parents/gardiens ou du médecin traitant ; survenue de complications (plaintes respiratoires, retard de prise pondérale) ; effets indésirables
  • critères secondaires : sous pHmétrie oesophagienne de 24 heures, proportion de temps avec pH<4, nombre d’épisodes de pH<4, nombre d’épisodes avec pH<4 d’une durée de plus de 5 minutes, épisode le plus long avec pH<4
  • analyse en protocole d’investigation et pour la méthode d’analyse. Des études sont dites hétérogènes quand elles divergent entre elles pour ces critères. S’il n’y a pas d’hétérogénéité statistique montrée, nous pouvons, dans une méta-analyse, utiliser le modèle d’effets fixes qui présuppose qu’il n’y a qu’une seule valeur sous-jacente pour l’effet constaté. Suivant ce modèle, une variation des effets observés est liée au hasard.">modèle d’effets fixes et, en cas d’hétérogénéité, d’au hasard mais aussi à des variations réelles entre les études. L’hypothèse d’un modèle d’effet aléatoire est qu’il existe une «population» d’effets éventuels avec une répartition précise autour d’un effet global moyen.">effets aléatoires.

Résultats

Pour le groupe épaississant versus placebo ou absence de traitement

 

Critères primaires :

  • absence de régurgitation (N=3 ; n=327) : RR 2,9 (IC à 95% de 1,7 à 4,9) ; NST 6 (IC à 95% de 4 à 10)
  • nombre d’épisodes de régurgitations et de vomissements quotidiens (N=2 ; n=144) : moyenne pondérée" data-content="En mettant en commun les résultats individuels d’études dans une méta-analyse, une pondération statistique peut être attribuée aux résultats des études incluses. En attribuant ce facteur de pondération, il est possible d’attribuer dans l’analyse plus de poids aux études réalisées auprès de populations numériquement plus importantes ou de meilleure qualité méthodologique. La Différence Moyenne Pondérée est le résultat d’une méta-analyse incluant des études dont les résultats sont exprimés en variables continues (rapportées avec moyenne et écart type) pondérées et mises en commun.">DMP -1,4 (IC à 95% de -2,5 à -0,2) en modèle d’effets aléatoires (I² = 94%)
  • prise de poids (N=4 ; n=265) : DMP 3,68 g/j (IC à 95% de 1,55 à 5,81) en modèle d’effets aléatoires (I² = 68%) ; 3 autres études sans différence pour la prise de poids mais avec résultats ne pouvant être sommés.

Critères secondaires :

  • proportion de temps avec pH<4 (N=4 ; n=217) : pas de différence significative
  • nombre d’épisodes avec pH<4 de plus de 5 minutes (N=3 ; n=176) : pas de différence significative
  • durée de l’épisode le plus long avec pH<4 (N=2 ; n=116) : moindre sous épaississant.
  • effets indésirables : aucun sévère.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs de cette méta-analyse concluent que  l’épaississement de la nourriture n’a qu’une efficacité modérée pour le traitement du reflux gastro-oesophagien chez les nourrissons sains.

Financement

Non mentionné.

 

Conflits d’intérêt

Les auteurs n’en déclarent aucun dans le contexte de cette recherche.

 

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique avec méta-analyses (si sommation possible) est correctement élaborée et décrite. La recherche étendue dans la littérature est réalisée de manière indépendante par 2 chercheurs. En raison du nombre faible d’études trouvées, la réalisation d’un funnel plot n’a pas de sens, ce qui ne permet pas d’exclure un biais est un erreur systématique dans la méthodologie d’une étude. Il existe un biais de publication si la publication des études dépend de l’ampleur, de la direction ou de la signification statistique des résultats de l’étude. Cette forme de biais est importante pour les méta-analyses. La recherche des biais de publication peut se faire à l’aide, par exemple, d’un funnel plot.">biais de publication éventuel. La qualité méthodologique des études, évaluée également de manière indépendante par 2 chercheurs, repose sur les critères suivants : élaboration de la séquence et respect du secret de l’attribution, insu des participants, chercheurs, évaluateurs et analystes, analyse en intention de traiter, pourcentage de suivi dans l’étude (≥ 80%). Sur les 14 études incluses, seules 6 sont en aveugle et 8 en intention de traiter doit être complétée par une imputation de ces résultats manquants dans les différents bras d’étude.">analyse en intention de traiter ; 13 mentionnent un suivi d’au moins 80%. Pour chacun des critères de jugement choisis, la sommation des résultats a dû se limiter à un nombre faible d’études. L’hétérogénéité statistique est évaluée au moyen de tests Chi² et I² et l’analyse est faite de manière adéquate en fonction de la présence (modèles d’effets aléatoires) ou de l’absence (modèle d’effets fixes) d’hétérogénéité.

 

Mise en perspective des résultats

Cette synthèse méthodique confirme les résultats observés dans de précédentes recherches (1-3) : l’épaississement de la nourriture diminue faiblement le nombre de régurgitations. Cette conclusion doit cependant être interprétée prudemment. Le nombre d’études trouvées est faible : 14 dans cette méta-analyse, 6 dans celle qui l’a précédée. Des limites méthodologiques sont fréquemment apparentes. La définition de RGO n’est pas univoque dans les différentes études. Le respect de l’insu est incertain pour plusieurs études. Le respect total de cet insu est par ailleurs difficile à appliquer, la texture d’un aliment épaissi étant reconnaissable par les parents (et chercheurs). Cette absence totale ou partielle d’insu peut entraîner une surestimation de l’effet traitement. La plupart des études sont sponsorisées par l’industrie de l’alimentation pour nourrissons et le degré d’intervention de ce sponsor dans l’étude n’est pas précisé. Seules 3 études mentionnent des effets indésirables sous épaississant : diarrhée, difficultés de boire et réactions allergiques avec la farine de caroube. Les études incluses présentent cependant une puissance et une durée insuffisantes pour une évaluation correcte de ce critère, surtout à long terme. Les données comparatives sont insuffisantes pour proposer un meilleur choix.

 

Pour la pratique

Les régurgitations sont un phénomène fréquent et physiologique chez les nourrissons sains ; les parents doivent être rassurés. Une maladie de reflux gastro-oesophagien (GORD) est définie par les complications liées à ce reflux : prise de poids insuffisante, refus alimentaire, irritabilité post-prandiale, symptômes respiratoires. La proportion d’enfants répondant à ces critères et inclus dans les études n’est pas précisée. Cette étude montre l’effet limité de l’épaississement de l’alimentation sur le nombre de régurgitations, avec peu d’effet sur les autres plaintes liées au reflux ; le pH mesuré au niveau de l’œsophage est également peu influencé. D’autres possibilités thérapeutiques peuvent être envisagées : surélévation de la tête, antihistaminiques H2, inhibiteurs de la pompe à protons, abord chirurgical, en fonction de la sévérité de la situation (4).

 

Conclusion

Cette méta-analyse apporte comme seule conclusion que l’épaississement de la nourriture diminue faiblement le nombre de régurgitations chez des nourrissons présentant un reflux gastro-oesophagien, sans pouvoir préciser le nombre de nourrissons présentant dans les études une maladie de reflux. L’épaississement de l’alimentation n’a pas d’effet sur les autres symptômes de reflux.

 

Références

  1. Craig WR, Hanlon-Dearman A, Sinclair C, et al. Metoclopramide, thickened feedings, and positioning for gastro-oesophageal reflux in children under two years. Cochrane Database Syst Rev 2004, Issue 4.
  2. Carroll AE, Garrison MM, Christakis DA. A systematic review of nonpharmacological and nonsurgical therapies for gastro-esophageal reflux in infants. Arch Pediatr Adolesc Med 2002:156:109-13.
  3. Huang RC, Forbes DA, Dabies MW. Feed thickener for newborn infants with gastro-oesophageal reflux. Cochrane Database Syst Rev 2002, Issue 3.
  4. Rudolph CD, Mazur LJ, Liptak GS, et al; North American Society for Pediatric Gastroenterology and Nutrition. Guidelines for evaluation and treatment of gastroesophageal reflux in infants and children: recommendations of the North American Society for Pediatric Gastroenterology and Nutrition. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2001;32:S1-31.
Nourriture épaissie en cas de reflux gastro-oesophagien chez le nourrisson ?



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