Revue d'Evidence-Based Medicine



Buflomédil en prévention cardiovasculaire en cas d’artérite ?



Minerva 2009 Volume 8 Numéro 9 Page 128 - 129

Professions de santé


Analyse de
Limbs International Medicinal Buflomedil (LIMB) Study Group, Leizorovicz A, Becker F. Oral buflomedil in the prevention of cardiovascular events in patients with peripheral arterial obstructive disease: a randomized, placebo-controlled, 4-year study. Circulation 2008;117:816-22.


Question clinique
Un traitement à long terme par buflomédil oral chez des patients présentant une claudication intermittente réduit-il l’incidence de leurs événements cardiovasculaires ?


Conclusion
Cette étude au protocole intéressant montre un bénéfice pour un critère primaire composite mais une analyse précise montre une absence de preuve d’un bénéfice clinique réel en termes de prévention d’événements cardiovasculaires spécifiques pour le buflomédil administré pendant 2 à 4 ans chez des patients présentant une artérite des membres inférieurs symptomatique (claudication). En surdosage ce médicament est potentiellement très toxique.


 

Contexte

L’artériopathie périphérique obstructive est une pathologie athérosclérotique fréquemment associée à des lésions des autres artères et donc à la survenue d’autres événements cardiovasculaires. Un médicament indiqué pour le traitement de cette artérite, le buflomédil, a-t-il également une efficacité préventive pour les événements cardiovasculaires autres que l’aggravation de l’artérite périphérique ?

 

 

Résumé

Population étudiée

  • inclusion de 2 078 patients > 40 ans avec artérite périphérique obstructive documentée, claudication intermittente (stade II de la classification de Fontaine) et index cheville-bras entre 0,31 et 0,80 inclus ; âge moyen de 61 ans, 80% d’hommes, 55% de fumeurs (+16% d’ex-fumeurs), autres facteurs de risque ou pathologie cardiovasculaire fréquents
  • critères d’exclusion : e.a. stade de Fontaine ≥ III, sténose ou occlusion iliaque ou fémorale, occlusion embolique, maladie de Buerger, artériopathie non athérosclérotique des membres inférieurs, facteurs confondants pour l’évaluation des critères (par ex séquelle majeure d’AVC), infarctus du myocarde ou AVC dans les 45 jours précédents, chirurgie (endo)vasculaire dans les 45 jours précédents ou planifiée, thrombophilie.

 

Protocole d'étude

  • étude randomisée, en double aveugle, contrôlée versus placebo, multicentrique (123), internationale (France surtout, Tchéquie, Hongrie, Russie) avec inclusion en 2000-2002
  • intervention : buflomédil (n=1 043) 2 x 300 mg/j (150 mg si clairance créatinine < 40 mL/min) versus placebo (n=1 035)
  • aspirine (ou anticoagulant) recommandée à tous les patients ; vasodilatateurs périphériques exclus
  • durée moyenne de traitement : 33 mois (minimum 24 mois, jusqu’à 4 ans après randomisation).

 

Mesure des résultats

  • critère primaire composite : événement cardiovasculaire : décès cardiovasculaire, infarctus myocardique non fatal, AVC non fatal, détérioration symptomatique de l’artérite périphérique, amputation de la jambe
  • critères secondaires : les différentes composantes du critère primaire composite, décès global, tout événement cardiovasculaire, distance de marche sans douleur et maximale, index cheville/bras, qualité de vie
  • sécurité : événements indésirables, particulièrement myoclonie et convulsions
  • analyse en intention de traiter.

 

Résultats

  • arrêts de traitement : 21,3% sans différence notable entre les 2 groupes
  • critère primaire : 9,1% dans le groupe buflomédil versus 12,4% dans le groupe placebo ; HR 0,742 ; IC à 95% de 0,603 à 0,915 ; p=0,0163 et p=0,005 après ajustement
  • critères secondaires : effet favorable mais non statistiquement significatif pour chacun des composants du critère primaire (y compris la détérioration symptomatique de l’artérite) et pour la mortalité totale
  • index cheville/bras : +9,2% dans le groupe buflomédil versus -3,6% dans le groupe placebo ; p<0,001 pour la différence
  • distance de marche sans douleur et distance de marche maximale significativement mieux améliorées sous buflomédil (p<0,001)
  • tolérance au traitement semblable dans les 2 groupes. 

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que, versus placebo, le buflomédil administré durant 3 ans réduit l’incidence d’événements cardiovasculaires de 26%, la différence pour le critère composite étant principalement liée à la moindre détérioration symptomatique de l’artérite périphérique. Ils invitent à prendre en considération l’ajout de buflomédil à un traitement antiagrégant plaquettaire chez des patients avec artérite périphérique et claudication intermittente.

 

Financement 

Firme Cephalon, France.

 

Conflits d'intérêt 

1 membre de la firme dans le comité directeur ; président et vice-présidents du comité directeur et en même temps du comité de rédaction consultants pour la firme.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Le protocole de cette étude est correctement conçu mais en absence de mention d’une prépublication, nous n’avons pas de certitude que les critères d’évaluation ont bien été fixés a priori. La réalisation de l’étude est par ailleurs non transparente au niveau des chercheurs et des centres qui y ont participé, du nombre de patients par centre également. Seuls les noms de (quelques) membres des comités d’étude sont mentionnés. Il est très curieux que cette publication ait lieu 9 ans après le début de la randomisation dans l’étude ; la présentation (favorable) des résultats a sans doute été longue à mettre en place.

Pour le calcul de l’échantillon à inclure pour atteindre une puissance de 90%, les auteurs ont tablé sur une incidence d’événements cardiovasculaires de 20 à 24% sur 3 ans ; l’incidence n’a pas dépassé 11% dans le groupe placebo en cours d’étude. Malgré tout, la barre de 25% de réduction de risque a été, de justesse (26%) atteinte. L’adjudication des événements s’est faite de manière centralisée. Les auteurs ont ajusté leurs résultats d’observation pour les variables suivantes : âge, sexe, clairance rénale, index cheville/bras, précédent infarctus myocardique ou AVC, diabète.

 

Interprétation des résultats

La claudication intermittente est considérée comme un symptôme cardinal de l’artérite périphérique mais de nombreux patients avec artérite périphérique ne sont pas diagnostiqués en raison de l’absence de plaintes de claudication «classiques» (1). Les résultats de cette étude sont valides pour des patients avec une artérite périphérique ET une claudication intermittente, avec lésions artérielles confirmées.

Un résultat global sur un critère composite est calculé. Aucun résultat n’est cependant statistiquement significatif au niveau des différentes composantes du critère composite, même pas pour l’aggravation des symptômes d’artériopathie périphérique comme les auteurs le suggèrent. Comme récemment explicité dans Minerva (2) l’évaluation générale d’une efficacité par un critère composite ne peut être extrapolée à une efficacité similaire pour chacune des composantes de ce critère composite si ceux-ci ne montrent pas de résultat statistiquement significatif. Nous pouvons en conclure aussi bien à un manque de puissance de l’étude pour ces différents critères qu’à un réel manque d’efficacité. Un effet favorable et statistiquement significatif n’est observé que pour la distance de marche et pour l’index cheville/bras. Il s’agit bien là de critères intermédiaires et non d’événements cardiovasculaires cliniques.

Les auteurs affirment dans leur discussion que le buflomédil influence favorablement toutes les composantes du critère composite sauf l’infarctus myocardique non fatal et l’AVC, réduisant en particulier l’incidence de mortalité cardiovasculaire de 30%. Un tel port d’œillères d’auteurs dans leurs commentaires d’étude, au mépris du paysage et des conventions statistiques strictes, en dit long sur leurs mises sur ce cheval (de traitement).

La description des co-traitements montre que le traitement de base est donc loin d’être optimal dans cette population (e.a. les statines). Les auteurs justifient cet état de chose par l’époque à laquelle s’est déroulée l’étude… tout en affirmant que ce sont les co-traitements qui diminuent l’incidence globale des événements plus bas que prévu.

 

Mise en perspective

Une précédente méta-analyse (3) incluait 2 RCTs et un total de 127 participants. Ces deux études montraient un bénéfice en faveur du buflomédil versus placebo pour les critères de distance de marche sans douleur et de distance maximale de marche (DMM) mais avec des intervalles de confiance fort larges par exemple pour la DMM la Différence Moyenne Pondérée est de 80,7 m dans une étude et de 171,4 m dans l’autre mais avec des intervalles de confiance à 95% respectivement de 9,4 à 152 m et de 51,3 à 291,5 m. Les auteurs de cette synthèse méthodique Cochrane insistent sur la faiblesse des preuves pour l’évaluation du buflomédil, sur l’exclusion de la plupart des études (4/6) à cause de leur piètre qualité, sur un biais de publication certain (4 autres études ne permettant pas de conclusion, non publiées). Cette méta-analyse souligne aussi la toxicité du buflomédil, potentiellement létale pour une dose supérieure à 6 g (convulsions, troubles de la conduction cardiaque, arrêt cardiaque). Un surdosage chronique peut également entraîner des convulsions (4). Une insuffisance rénale ou hépatique accroît le risque.

Pour rappel, une autre synthèse Cochrane (5) concernant le naftidrofuryl, analysée dans Minerva (6) montrait un bénéfice sur le critère distance de marche sans douleur sur tapis roulant mais également aucun renseignement concernant les événements cardiovasculaires ou la qualité de vie.

 

Pour la pratique

Cette évaluation d’un rôle préventif du buflomédil sur les événements cardiovasculaires dans un échantillon de population beaucoup plus important que dans les autres études ne nous apporte donc aucune preuve utile pour le clinicien. La prise en charge des facteurs de risque cardiovasculaire tels que le tabagisme, l’hypertension, le diabète et les dyslipidémies reste l’élément essentiel du traitement de l’artérite périphérique avec la promotion de l’exercice physique.

 

Conclusion

Cette étude au protocole intéressant montre un bénéfice pour un critère primaire composite mais une analyse précise montre une absence de preuve d’un bénéfice clinique réel en termes de prévention d’événements cardiovasculaires spécifiques pour le buflomédil administré pendant 2 à 4 ans chez des patients présentant une artérite des membres inférieurs symptomatique (claudication). En surdosage ce médicament est potentiellement très toxique.

 

Références

  1. Bruyninckx R. Plaintes de claudication : facteur prédictif d’artérite périphérique ? MinervaF 2007;6(1):6-8.
  2. Chevalier P. Critères composites : interprétation clinique. MinervaF 2009;8(5):68.
  3. de Backer TL, Bogaert M, Vander Stichele R. Buflomedil for intermittent claudication. Cochrane Database Syst Rev 2009, Issue 2.
  4. Aronson JK. Buflomedil. In: Meyler's Side Effects of Drugs. 15th Edition, 2006.
  5. de Backer TL, Vander Stichele R, Lehert P, Van Bortel L. Naftidrofuryl for intermittent claudication. Cochrane Database Syst Rev 2008, Issue 2.
  6. Chevalier P. Naftidrofuryl pour la claudication intermittente. MinervaF 2008;7(9):140-1.
Buflomédil en prévention cardiovasculaire en cas d’artérite ?



Ajoutez un commentaire

Commentaires