Revue d'Evidence-Based Medicine



Dégénérescence maculaire chez la femme : traitement antioxydant efficace ?



Minerva 2009 Volume 8 Numéro 9 Page 120 - 121

Professions de santé


Analyse de
Christen WG, Glynn RJ, Chew EY, et al. Folic acid, pyridoxine, and cyanocobalamin combination treatment and age-related macular degeneration in women. The Women’s Antioxidant and Folic Acid Cardiovascular Study. Arch Intern Med 2009;169:335-41.


Question clinique
Un traitement destiné à diminuer le taux d’homocystéine (acide folique + vitamine B6 + vitamine B12) diminue-t-il l’incidence de dégénérescence maculaire liée à l’âge chez la femme à haut risque cardiovasculaire ?


Conclusion
Cette étude montre que, dans un groupe de femmes à haut risque cardiovasculaire, la prise régulière d’un supplément en acide folique, pyridoxine et cyanocobalamine diminue l’incidence de la dégénérescence maculaire liée à l’âge.


 

Contexte

Le taux d’homocystéinémie semble, dans des études épidémiologiques, directement lié à une dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). L’efficacité d’un traitement visant à diminuer le taux d’homocystéine (acide folique et antioxydants, pyridoxine (alias vitamine B6) et cyanocobalamine (alias vitamine B12)) en termes de prévention d’une dégénérescence maculaire liée à l’âge n’avait pas encore été évaluée dans une RCT.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 5 205 femmes professionnelles de la santé, âgées d’au moins 40 ans (âge moyen de 63 ans), avec pathologie cardiovasculaire persistante ou ≥ 3 facteurs de risque cardiovasculaire, 11 et 12% de fumeuses et 44 et 45% d’ex-fumeuses 
  • exclusion : DMLA initiale.

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée, en double aveugle, versus placebo, faisant partie d’une étude au protocole factoriel 2 x 2 x 2 (vitamine E ou placebo, bêta-carotène ou placebo, acide ascorbique ou placebo, traitement associé ou placebo) en évaluation de la prévention cardiovasculaire (voir tableau)
  • intervention : groupe intervention (= groupe traitement associé) : acide folique 2,5 mg/j + hydrochloride de pyridoxine (50 mg/j) + cyanocobalamine (1 mg/j) (n= 2 607) versus placebo dans le groupe contrôle (n= 2 598)
  • durée moyenne de traitement et d’observation : 7,3 ans.

Mesure des résultats

  • DMLA sur déclaration individuelle annuelle d’un examen médical confirmant un diagnostic de survenue de DMLA (date du diagnostic confirmée par l’ophtalmologue)
  • confirmation d’une acuité visuelle ≤ 20/30 en raison de cette pathologie par l’ophtalmologue (relation entre la perte d’acuité visuelle et DMLA établie).

 

Résultats

  • DMLA : 55 cas dans le groupe intervention versus 82 dans le groupe placebo ; RR ajusté 0,66 ; IC à 95% de 0,47 à 0,93 ; p=0,02
  • DMLA significative au point de vue visuel : 26 cas versus 44 ; RR 0,59 ; IC à 95% de 0,36 à 0,95 ; p=0,03.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que leur RCT incluant une importante cohorte de femmes à haut risque cardiovasculaire indique l’efficacité d’une supplémentation quotidienne en acide folique, pyridoxine et cyanocobalamine pour la prévention de la dégénérescence maculaire liée à l’âge.

 

Financement 

National Heart, Lung, and Blood Institute, National Eye Institute ; médicaments fournis par des firmes n’intervenant à aucun des stades de l’étude.

 

Conflits d’intérêt 

3 auteurs déclarent avoir reçu des honoraires de firmes pharmaceutiques.

 

Discussion

Dégénérescence maculaire

Le médecin généraliste peut évoquer ce diagnostic au moyen d’un test facile à réaliser, la grille d’Amsler (1). Cette affection est de fréquence croissante avec l’âge, atteignant 20 à 30% pour les personnes âgées de plus de 75 ans (1). Des données européennes (2)  indiquent une prévalence de 48% pour un stade précoce (modifications morphologiques minimes ou nulles) et de 3,32% pour un stade fort évolué (atrophique ou exsudatif) avec perte visuelle pour la population ≥ 65 ans.

 

Considérations sur la méthodologie

Les résultats sont ajustés pour les autres traitements reçus dans le cadre de l’étude (vitamine C, vitamine E, bêta-carotène) et pour l’âge. La plupart des patientes (84%) déclarent qu’elles ont pris au moins 2/3 de leurs médicaments pendant l’étude. Ces 2/3 ne correspondent pas aux 80% normalement considérés comme nécessaires pour parler d’une bonne observance thérapeutique (par ailleurs non définie dans le protocole initial). Dans les deux groupes, il y avait une proportion de 23% des patientes qui prenaient des suppléments nutritionnels dont la composition n’est pas précisée. Les auteurs ne mentionnent pas s’ils ont effectué leur analyse en intention de traiter et ils ne mentionnent pas non plus le nombre de sujets qui ont quitté l’étude. L’origine de la préparation de vitamines utilisée dans cette étude n’étant pas spécifiée, et certains auteurs signalant des liens avec des firmes éventuellement concernées, l’évaluation d’un conflit d’intérêt est difficile à établir.

 

Interprétation des résultats

Cette étude ne concerne que l’incidence de DMLA dans une population féminine à haut risque, avec des résultats favorables mais avec une ampleur modérée : NST d’environ 91 pour l’ensemble des DMLA et de 164 pour la DMLA avec signes visuels significatifs sur une période moyenne de 7,3 ans. L’effet bénéfique sur l’incidence commence à se manifester après 2 ans de traitement. Vu le protocole d’étude ciblant la prévention de la DMLA, aucune  conclusion n’est possible dans cette étude quant à l’efficacité de ce traitement pour éviter la progression de la pathologie. Une relation entre survenue de DMLA avec une baisse de l’homocystéinémie (montrée sur un échantillon de 300 participantes) est possible mais également discutable selon les auteurs. Ils mentionnent aussi que leur résultat favorable peut être lié au hasard et demande confirmation dans une étude avec des critères d’inclusion de préférence plus larges. Une diminution de l’homocystéinémie grâce à une telle association de vitamines était aussi supposée avoir un bénéfice au point de vue cardiovasculaire. Pour rappel, dans l’étude WAFACS, la baisse de l’homocystéinémie n’apportait aucun bénéfice au niveau cardiovasculaire (3), comme dans l’étude HOPE2 (4). Comme le risque cardiovasculaire reste comparable dans les deux groupes, il ne joue donc pas, en tant que tel, de rôle important comme facteur d’influence sur une évolution différente possible de la DMLA entre les 2 groupes.

 

Autres études

De nombreux traitements sont actuellement proposés en prévention ou traitement de cette affection. Dans des études d’observation, l’ingestion régulière, dans l’alimentation, de bêta-carotène, de vitamine C et de zinc montre une réduction substantielle du risque de développer une dégénérescence maculaire liée à l’âge (5). Le bénéfice de l’administration de suppléments de ces différents éléments a été évalué dans une synthèse de la littérature (6). Celle-ci conclut à un effet modeste possible de l’administration d’antioxydants et de zinc dans la réduction de la progression de la maladie. Ces résultats favorables reposent principalement sur une seule étude américaine. Les auteurs rappellent que l’administration de bêta-carotène peut augmenter le risque de cancer du poumon chez le fumeur et que l’administration de vitamine E est associée à un risque accru d’insuffisance cardiaque chez les patients diabétiques ou présentant une pathologie vasculaire.

 

Effets indésirables

Les composantes de l’association administrée dans cette étude peuvent provoquer des effets indésirables. Citons d’abord l’acide folique (1 mg/j) qui augmente le risque de cancer de la prostate (7), ne prévient pas la récidive d’adénome colorectal mais a tendance à sélectionner l’adénome de haut grade (8). Rappelons la possible toxicité de la vitamine B6 à dose forte ou à dose habituelle mais prolongée en termes de neuropathies périphériques (9).

 

Pour la pratique

Le tabagisme doublant le risque de DMLA et la consommation régulière de légumes verts diminuant ce risque dans des études d’observation, il semble utile de recommander l’arrêt du tabac et la consommation de légumes verts (10). En plus, sur base d’un suivi prospectif d’une cohorte de patients hollandais, un régime nutritionnel riche en antioxydants (fruits, légumes, céréales) semble protecteur (5). En ce qui concerne la composition de l’association des vitamines, il n’y pas de médicaments similaires enregistrés en Belgique. La quantité de la vitamine B12 dans cette association ne permet pas la notification comme nutriment selon l’Arrêté Royal du 25 avril 1990. Une préparation magistrale est donc le seul moyen de mettre l’association vitaminique évaluée à la disposition des patients.

 

Conclusion

Cette étude montre que, dans un groupe de femmes à haut risque cardiovasculaire, la prise régulière d’un supplément en acide folique, pyridoxine et cyanocobalamine diminue l’incidence de la dégénérescence maculaire liée à l’âge.

 

Références

  1. Wiggins MN, Uwaydat SH. Age-related macular degeneration: options for earlier detection and improved treatment. J Fam Pract 2006;55:22-7.
  2. Augood CA, Vingerling JR, de Jong PT, et al. Prevalence of age-related maculopathy in older europeans. The European Eye Study (EUREYE). Arch Ophtalmol 2006;124:529-35.
  3. Albert CM, Cook NR, Gaziano M, et al. Effect of folic acid and B vitamins on risk of cardiovascular events and total mortality among women at high risk for cardiovascular disease. JAMA 2008;299:2027-36.
  4. The Heart Outcomes Prevention Evaluation (HOPE) 2 Investigators. Homocysteine lowering with folic acid and B vitamins in vascular disease. N Engl J Med 2006;354:1567-77.
  5. van Leeuwen R, Boekhoorn S, Vingerling JR, et al. Dietary intake of antioxidants and risk of age-related macular degeneration. JAMA 2005;24:3101-7.
  6. Evans JR. Antioxidant vitamin and mineral supplements for slowing the progression of age-related macular degeneration. Cochrane Database Syst Rev 2007, Issue 3.
  7. Figueiredo JC, Grau MV, Haile RW, et al. Folic acid and risk of prostate cancer: results from a randomized clinical trial. J Natl Cancer Inst 2009;101:432-5.
  8. Cole BF, Baron JA, Sandler RS, et al; Polyp Prevention Study Group. Folic acid for the prevention of colorectal adenomas: a randomized clinical trial. JAMA 2007;297:2351-9.
  9. Vitamine B6: neuropathies périphériques. Rev Prescr 2008;28:907.
  10. Nutritional supplements for macular degeneration. Drug Ther Bull 2006;44:9-11.
Dégénérescence maculaire chez la femme : traitement antioxydant efficace ?

Auteurs

Chevalier P.
médecin généraliste
COI :

Laekeman G.
em. Klinische Farmacologie en Farmacotherapie, KU Leuven
COI :

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