Revue d'Evidence-Based Medicine



Interruption brève du traitement anticoagulant oral : quels risques ?



Minerva 2009 Volume 8 Numéro 8 Page 110 - 111

Professions de santé


Analyse de
Garcia DA, Regan S, Henault LE, et al. Risk of thromboembolism with short-term interruption of warfarin therapy. Arch Intern Med 2008;168:63-9.


Question clinique
Quelle est la fréquence des complications thromboemboliques et hémorragiques lors d’une brève interruption du traitement anticoagulant oral par warfarine sans relais par héparine à l’occasion d’un geste invasif en médecine ambulatoire ?


Conclusion
Cette étude montre que pour la majorité des patients bénéficiant d’un traitement anticoagulant oral par warfarine et qui ne sont pas à risque élevé de thrombose (absence de valve cardiaque mécanique, de maladie thromboembolique veineuse récente, d’antécédent d’AVC sur embolie ou de cancer), une interruption brève (£ 5 jours) de la warfarine à l’occasion d’un geste invasif mineur sans relais par héparine est associée à un risque faible d’accident thromboembolique.


 

Contexte

La prise en charge des patients sous anticoagulant oral (antivitamine K) nécessitant un geste invasif demeure problématique. Une évaluation du risque d’accident thromboembolique en cas d’interruption du traitement anticoagulant sans relais par héparine au sein d’une large population était bienvenue.

 

Résumé

Population étudiée

  • 1 024 patients ; âge moyen de 71,9 (ET 10,6) ans ; femmes 42,8% ; suivis dans 101 centres américains de soins primaires ; arrêt temporaire du traitement anticoagulant oral pour un geste invasif mineur réalisé en ambulatoire (colonoscopie, chirurgie stomatologique ou ophtalmique surtout ; plus rarement : injection péridurale, biopsie de prostate, du sein ou procédures dermatologiques)
  • indications du traitement anticoagulant : fibrillation auriculaire (54%), antécédents de maladie thromboembolique veineuse (14%) et valve cardiaque mécanique (13%)
  • 73 patients (7,1%) à risque élevé d’accident thromboembolique : valve cardiaque en position mitrale, maladie thromboembolique veineuse récente (< 4 semaines) ou cancer actif.

 

Protocole d’étude

  • étude d’observation prospective, multicentrique (E.-U.)
  • exclusion : interruptions pour intervention chirurgicale nécessitant une hospitalisation, prise en charge de l’anticoagulation n’étant plus du ressort du centre participant.

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement : incidence des événements thromboemboliques et des saignements cliniquement significatifs durant les 30 jours suivant l’interruption d’un traitement anticoagulant oral par warfarine.

 

Résultats

  • 1 293 épisodes d’interruption du traitement anticoagulant oral chez 1 024 patients
  • relais (bridging) par héparine (quasi exclusivement de bas poids moléculaire) : 8,3% des patients : 2,7% des patients avec fibrillation auriculaire, 28,8 % de ceux avec valve cardiaque mécanique
  • durée d’interruption du traitement par héparine variable : chez 83,8% des patients, la prise de warfarine interrompue durant une période ≤ à 5 jours
  • critères de jugement : complications thromboemboliques pour 7 patients (4 de localisation artérielle et 3 veineuse ; 2 des 7 patients à haut risque) : 0,7 % ; IC à 95% de 0,3 à 1,4% ; aucun n’avait bénéficié d’un relais par héparine ; accidents thromboemboliques : 0,4% lors d’une interruption de l’anticoagulation orale ≤ 5 jours et de 2,2% si > ou = 7 jours
  • patients en fibrillation auriculaire (n=550) : fréquence des complications thromboemboliques de 0,7% (IC à 95% de 0,2 à 1,9%)
  • complications hémorragiques majeures, 6 patients, soit 0,6% (IC à 95% de 0,2 à 1,3%)
  • complications hémorragiques significatives mais non majeures : 17 patients, soit 1,7% (IC à 95% de 1,0 à 2,6%) ; parmi ces 23 patients, 14 avaient reçu un traitement par héparine.

 

Conclusion des auteurs 

Les auteurs concluent qu’une interruption brève (≤ 5 jours) d’un traitement avec de la warfarine en raison d’une procédure chirurgicale mineure en ambulatoire chez des patients à long terme sous anticoagulothérapie est associée à un faible risque de thromboembolie. Le risque de saignement cliniquement significatif, même chez des patients avec procédure ambulatoire minime, doit être mis en balance avec le risque thromboembolique individuel avant l’administration d’un traitement anticoagulant de relais.

 

Financement 

Firme Bristol Myers Squibb

 

Conflits d'intérêt 

2 auteurs ont reçu de différentes firmes pharmaceutiques des subsides de recherche et des honoraires pour avis et consultance.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette étude comporte tous les risques de biais potentiels liés à une étude d’observation, particulièrement pour l’existence ou non d’un traitement de relais par héparine (HBPM principalement) uniquement chez les personnes à plus haut risque. Le nombre de patients bénéficiant d’un relais est cependant faible : 8,3% des cas au total, 2,7% des patients avec fibrillation auriculaire, mais 28,8% de ceux avec valve cardiaque mécanique. Les auteurs reconnaissent que pour les patients avec valve cardiaque, comme pour le sous-groupe à haut risque de patients ayant fait un AVC sous FA, un biais de sélection est possible. Les auteurs insistent eux-mêmes sur la faible puissance (peu d’événements) de leur observation.

Ils n’ont pas réalisé d’analyse de régression multivariée, analyse généralement effectuée dans les études d’observation. Pour ces deux raisons, des conclusions pour des sous-groupes de patients ne sont pas possibles.

 

Mise en perspective des résultats

Cette étude montre que l'incidence cumulée à 1 mois des événements thromboemboliques chez les patients dont l’anticoagulation orale par AVK est interrompue pour une période courte (£ 5 jours) en général (91,7%) sans relais par héparine à l’occasion d’une procédure invasive mineure est faible. Il est important de souligner que la plupart des patients de cette étude présentent un risque faible ou intermédiaire de complication thromboembolique. Seuls 7% des patients de l’étude doivent être considérés à risque élevé. Les conclusions ne peuvent dès lors être extrapolées aux populations à risque élevé : valve cardiaque mécanique, maladie thromboembolique veineuse récente, antécédent d’AVC thromboembolique, contexte néoplasique. Les conclusions de cette étude ne s’appliquent en outre pas aux patients devant bénéficier d’une chirurgie lourde ou d’autres procédures invasives justifiant une hospitalisation. De telles procédures sont associées tant à un risque thrombotique qu’hémorragique accru.

Il n’y a pas de RCT publiée qui ait évalué une telle attitude. Les études d’observation précédemment réalisées apportent des éléments non concordants. Dans une étude de cohorte rétrospective, la majorité des 603 patients subissant une intervention chirurgicale n’arrêtent pas leur traitement anticoagulant ; l’incidence de saignement sévère péri-opératoire y est de 9,5% (IC à 95% de 7,1 à 12,1) avec un risque beaucoup plus élevé si l’INR est > 3 plutôt que < 2 (1). Une autre étude rétrospective évalue le risque de saignement chez 100 patients (58 avec chirurgie majeure) et interruption partielle de l’anticoagulant ; l’INR moyen est de 1,8 (écarts de 1,2 à 4,9) le jour de l’intervention ; seuls 2 patients (2%) présentent un saignement majeur mais 34 patients (34%) doivent recevoir une transfusion (2). Outre les limites inhérentes à des études d’observation, le risque encouru par les patients est fort variable (chirurgie mineure ou majeure par exemple).

L’étude d’observation analysée ici suggère qu’un relais pas héparine n’est pas nécessaire chez un grand nombre de patients à risque non élevé lors d’une interruption transitoire du traitement anticoagulant. Chez les patients à risque élevé, par contre, un relais par héparine est recommandé selon les derniers guidelines de l’American College of Chest Physicians (3). Etant donné que le temps de demi-vie de la warfarine est de 36 à 42 heures, les experts proposent d’arrêter celle-ci environ 5 jours avant l’intervention chirurgicale, s’il y a lieu de l’arrêter. Pour la phenprocoumone le délai est plus long, c’est-à-dire de 10 jours (3). Les guidelines ne mentionnent pas de délai pour l’acénocoumarol, mais son temps de demi-vie étant plus court (8 heures) un délai de 5 jours est souvent recommandé par des experts, délai probablement trop long et qui devrait être réévalué.

 

Risques liés à la poursuite du traitement

Les complications hémorragiques ont été surtout observées dans le groupe restreint ayant bénéficié d’un relais par héparine. Cette observation met en lumière une fois de plus que le relais par héparine n’est pas sans risques hémorragiques. Ces risques hémorragiques doivent être confrontés aux risques de récidive d’accident thrombotique en l’absence de relais. Une étude randomisée contrôlée comparant le relais par héparine à un placebo dans ce contexte serait bienvenue. Tel est l’objectif de l’étude BRIDGE (The Bridge study – Effectiveness of bridging anticoagulation for surgery) mise en place par le NIH (4). Dans l’attente d’une telle étude, le clinicien doit tenter d’évaluer les risques et les bénéfices des diverses stratégies : poursuite ou arrêt de l’anticoagulation orale, avec ou sans relais.

  

Pour la pratique

Cette étude montre que le risque de thromboembolie est minime chez des personnes sous traitement chronique par warfarine mais à risque faible ou intermédiaire, lors d’une procédure chirurgicale ambulatoire si l’arrêt de la warfarine est ≤ 5 jours. Un relais par héparine n’est pas nécessaire chez un grand nombre de patients (non à risque élevé) lors d’une interruption transitoire (≤ 5 jours) du traitement anticoagulant. Ses conclusions rejoignent les recommandations actuelles (3). La durée de l’arrêt avant l’intervention n’est pas fixée dans des guidelines pour l’acénocoumarol.

 

Conclusion

Cette étude montre que pour la majorité des patients bénéficiant d’un traitement anticoagulant oral par warfarine et qui ne sont pas à risque élevé de thrombose (absence de valve cardiaque mécanique, de maladie thromboembolique veineuse récente, d’antécédent d’AVC sur embolie ou de cancer), une interruption brève (≤ 5 jours) de la warfarine à l’occasion d’un geste invasif mineur sans relais par héparine est associée à un risque faible d’accident thromboembolique.

 

 

 

Références

  1. Torn M, Rosendaal FR. Oral anticoagulation in surgical procedures: risks and recommendations. Br J Haematol 2003;123:676-82.
  2. Larson BJ, Zumberg MS, Kitchens CS. A feasibility study of continuing dose-reduced warfarin for invasive procedures in patients with high thromboembolic risk. Chest 2005;127:922-7.
  3. Douketis JD, Berger PB, Dunn AS, et al; American College of Chest Physicians. The perioperative management of antithrombotic therapy: American College of Chest Physicians Evidence-Based Clinical Practice Guidelines (8th Edition). Chest 2008;133(6 suppl):299S-339S.
  4. http://clinicaltrials.gov/ct2/show/NCT00786474
Interruption brève du traitement anticoagulant oral : quels risques ?

Auteurs

Hermans C.
Service d’Hématologie, Maladies Thrombotiques et Hémorragiques, Clin. Univ. Saint-Luc, Bruxelles
COI :

Glossaire

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