Revue d'Evidence-Based Medicine



Chirurgie arthroscopique des genoux arthrosiques ?



Minerva 2009 Volume 8 Numéro 8 Page 102 - 103

Professions de santé


Analyse de
Kirkley A, Birmingham TB, Litchfield RB, et al. A randomized trial of arthroscopic surgery for osteoarthritis of the knee. N Engl J Med 2008;359:1097-107.


Question clinique
La chirurgie arthroscopique du genou apporte-t-elle une plus-value en association à un traitement médical et physique versus ce traitement seul en cas de gonarthrose ?


Conclusion
Cette étude montre que la chirurgie arthroscopique d’un genou arthrosique sans lésion méniscale majeure n’apporte aucun bénéfice au patient concerné, par rapport à une prise en charge médicale et physique.


 

Contexte

Le traitement de l’arthrose du genou peut être conservateur ou chirurgical (arthrose évoluée). La chirurgie arthroscopique est assez largement pratiquée sans preuve de son efficacité à long terme. Cette étude vise à l’évaluer.

 

Résumé

Population étudiée

  • patients âgés d’au moins 18 ans, présentant une gonarthrose de degré 2, 3 ou 4 sur l’échelle radiographique de Kellgren et Lawrence modifiée (1), recrutés dans la patientèle de 7 chirurgiens orthopédistes de l’Ontario (Canada), diagnostic confirmé indépendamment par 1 (ou 2) autre(s) orthopédiste(s)
  • exclusion : lésion en anse de seau d’un ménisque (sur base de l’examen clinique ou en résonance magnétique nucléaire), antécédents inflammatoires ou infectieux, arthroscopie précédente, déviation axiale de 5° ou plus, traumatisme majeur du genou, arthroses évoluées de grade 4 pluricompartimentales chez les patients de plus de 60 ans, antécédent d’injection intra-articulaire d’un dérivé corticostéroïdien pendant les 3 derniers mois, pathologie neurologique, pathologie médicale réduisant l’espérance de vie à moins de 2 ans ou créant un risque chirurgical
  • 277 patients éligibles, 89 exclus, 188 randomisés.

 

Protocole d’étude

  • RCT
  • intervention : soit traitement arthroscopique du genou associé à une optimalisation du traitement physique et médical (n=94 cas) soit traitement conservateur (traitement physique et médical ; n=94)
  • traitement arthroscopique : évaluation des trois compartiments du genou, lavage avec au moins un litre de solution saline, et gestes à la demande : synovectomie, débridement et excision de fragments méniscaux, cartilagineux ou ostéophytiques ; pas de « shaving » arthroscopique ni de chondrostimulation par microfracture
  • traitement physique (dans les 2 groupes) : 12 séances de kinésithérapie d’une durée d’une heure suivies d’un programme d’auto-rééducation à domicile
  • traitement médical : suivant les guidelines, a été basé sur les lignes de conduite publiées (2) : paracétamol, anti-inflammatoires, éventuellement glucosamine et acide hyaluronique
  • durée d’étude : 2 ans.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : échelle WOMAC (Western Ontario and McMaster Universities Osteoarthritis Index)
  • critères secondaires : Medical Outcomes Study Short-Form General Health Survey (SF-36) est un questionnaire validé comportant 36 questions. Il permet d’explorer huit aspects de la qualité de vie : santé générale et mentale, capacités fonctionnelles physiques et sociales, santé physique et émotionnelle, douleur et vitalité. Les scores pour chacun des huit domaines vont de 0 (le moins bon) à 100 (le meilleur).">SF-36 et autre score de qualité de vie
  • évaluations intermédiaires (à 3, 6, 12 et 18 mois) et évaluation finale en consultation avec l’aide d’une infirmière ignorant le traitement effectué chez un patient dont les cicatrices étaient cachées.

 

Résultats

  • dans le groupe « arthroscopie », 86 sujets ont été opérés et 83 ont terminé l’étude ; dans le groupe traitement conservateur, 86 sujets ont été enrôlés, 80 terminent l’étude
  • après 2 ans, score WOMAC moyen : 874 (ET 624) pour le groupe arthroscopie ; 897 (ET 583) pour le groupe traitement conservateur ; différence absolue de -23 (ET 605) ; IC à 95% de -208 à 161 ; p=0,22
  • SF-36 respectivement de 37,0 (ET 11,4) et de 37,2 (ET 10,6) ; différence absolue de -0,2 (ET 11,1) ; IC à 95% de -3,6 à 3,2 ; p=0,93
  • des analyses post-hoc en sous-groupes ne montrent également pas de différence statistiquement significative.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’une chirurgie arthroscopique du genou n’apporte aucune plus-value thérapeutique par rapport à une prise en charge médicale et physique.

 

Financement

Canadian Institutes of Health Research.

 

Conflits d’intérêt 

Aucun conflit d’intérêt pertinent n’est déclaré.

 

 

Discussion

 

Traitements de la gonarthrose

Le traitement conservateur de l’arthrose du genou comprend des mesures physiques et la prescription d’antalgiques. Le traitement chirurgical de l’arthrose évoluée est l’arthroplastie du genou à l’aide de prothèses totales ou unicompartimentales. La place des traitements anti-inflammatoires locaux et généraux, de la viscosupplémentation et de la chirurgie conservatrice reste discutée. Les preuves de la chirurgie arthroscopique à long terme manquent, ce que cette étude voulait évaluer.

 

Considérations sur la méthodologie

Les auteurs ont inclus dans leur étude la population nécessaire pour détecter avec 80% de puissance une différence au score WOMAC total d’au moins 200 points, seuil estimé pour refléter une différence cliniquement importante. Les évaluations sont faites régulièrement et à l’aide d’outils validés, et l’analyse finale est réalisée en ITT. La limite de cette étude est liée au fait que les patients opérés ou non ne pouvaient ignorer le type de traitement choisi. Il en résulte qu’un « effet placebo » est probablement venu interférer avec les résultats du groupe traité par arthroscopie, le critère primaire de l’étude étant le score WOMAC total reposant sur une évaluation par le patient-même. Les auteurs attribuent à cet effet le score légèrement meilleur à trois mois des patients soumis à l’arthroscopie. Pour les résultats initiaux et à 3 mois, notons plusieurs discordances entre les chiffres figurant dans les différents tableaux et le texte (valeurs p par rapport aux IC sur graphique), ce qui jette un doute sur leur fiabilité et leur signification statistique.

 

Mise en perspective des résultats

Cette étude montre donc l’absence d’une plus-value d’une chirurgie arthroscopique du genou par rapport à une prise en charge médicale et physique. Les auteurs soulignent la fréquence des traitements arthroscopiques dans l’arthrose du genou qui persiste malgré la publication d’une RCT (3). Cette RCT avait la particularité de comparer une arthroscopie avec débridement et lavage versus chirurgie factice (uniquement incision cutanée sans arthroscopie), fait rarissime dans cette indication (4) et, en général, dans les interventions chirurgicales. Cette étude de Moseley (3) concernait cependant uniquement des hommes (population de « vétérans » américains) et utilisait un outil de mesure non validé (Knee Specific Pain Scale) sur une période également de 2 ans : elle ne montrait aucun bénéfice d’une intervention versus placebo tout au long du suivi (même à 3 mois) (5). Les résultats de l’étude de Moseley ont été largement diffusés dans la presse lue par les chirurgiens orthopédistes (6).

L’étude de Kirkley analysée ici, se distingue donc de la précédente par la population incluse (majorité de femmes, 41 et 33% d’hommes selon les groupes), le recours a un outil de mesure validé (score WOMAC) mais, par contre, un traitement de comparaison non chirurgical factice mais médical et physique standardisé, traitement dont les preuves d’efficacité versus placebo n’apparaissent pas dans le protocole d’étude.

 

Pour la pratique

Le traitement arthroscopique est un traitement invasif qui présente les risques d’un geste chirurgical nécessitant une anesthésie. L’intérêt de cette nouvelle étude est, outre sa méthodologie rigoureuse, l’exclusion de situations particulières comme les déviations axiales significatives et les cas évidents de lésions méniscales majeures symptomatiques. Cette dernière situation démontrée cliniquement ou par IRM est la seule indication qui mérite de proposer aujourd’hui un traitement arthroscopique a un patient ayant un genou arthrosique. Les règles de bonne pratique nous amènent à conseiller de restreindre ses indications aux cas démontrés de lésion méniscale symptomatique (4,7). L’effet antalgique du simple lavage du genou arthrosique n’est pas durable. Il n’est donc pas recommandé de le pratiquer.

 

Conclusion

Cette étude montre que la chirurgie arthroscopique d’un genou arthrosique sans lésion méniscale majeure n’apporte aucun bénéfice au patient concerné, par rapport à une prise en charge médicale et physique.

 

 

Références

  1. Kellgren JH, Lawrence JS. Radiological assessment of osteo-arthrosis. Ann Rheum Dis 1957;16:494-502.
  2. Recommendations for the medical management of osteoarthritis of the hip and knee: 2000 update. American College of Rheumatology Subcommittee on Osteoarthritis Guidelines. Arthritis Rheum 2000;43:1905-15.
  3. Moseley JB, O'Malley K, Petersen NJ, et al. A controlled trial of arthroscopic surgery for osteoarthritis of the knee. N Engl J Med 2002;347:81-8.
  4. Felson DT, Buckwalter J. Debridement and lavage for osteoarthritis of the knee. N Engl J Med 2002;347:132-3.
  5. Bellemans J. Une arthroscopie est-elle judicieuse en cas de gonarthrose ? MinervaF 2003;2(3):44-5.
  6. Fowler P. Arthroscopic lavage or debridement did not reduce pain more than placebo in patients with osteoarthritis. J Bone Jt Surg 2003;85A:387.
  7. Stuart MJ, Lubowitz JH. What, if any, are the indications for arthroscopic debridement of the osteoarthritic knee? Arthroscopy 2006;22:238-9.
Chirurgie arthroscopique des genoux arthrosiques ?



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