Revue d'Evidence-Based Medicine



Toux chronique chez l’enfant : utilité d’un recours à un algorithme de décision ?



Minerva 2014 Volume 13 Numéro 3 Page 32 - 33

Professions de santé


Analyse de
Chang AB, Robertson CF, van Asperen PP, et al. A cough algorithm for chronic cough in children: a multicenter, randomized controlled study. Pediatrics 2013;131:e1576-e1583.


Question clinique
Chez des enfants présentant une toux chronique, quelle est l’efficacité, versus prise en charge courante, d’une prise en charge clinique standardisée à l’aide d’un algorithme en termes de résultats cliniques à 6 semaines ? Quelles sont la fiabilité et la validité de cette démarche évaluées en termes de respect des étapes prévues, d’échec clinique et de diagnostic final ?


Conclusion
Cette RCT conduite dans une population sélectionnée d'enfants référés en milieu (très) spécialisé montre qu’une prise en charge précoce (dans les deux semaines) d'enfants souffrant de toux chronique selon un algorithme clinique décisionnel peut augmenter plus rapidement le pourcentage d'enfants dont le score de toux sera amélioré.


 

 


Texte sous la responsabilité de la rédaction francophone

 

 

Contexte

La toux chronique est un problème fréquent de l’enfance, source d'un coût important, tant personnel (qualité de vie, consultations fréquentes) que social (absentéisme scolaire, coût des soins).

Différents guides de pratique et algorithmes décisionnels (1-3) ont été développés sans qu’aucun d’eux n’ait fait l’objet d’une évaluation clinique rigoureuse.

 

 

Résumé

Population étudiée

  • 272 enfants de moins de 18 ans (âge moyen de 4,5 (moyenne des écarts des observations par rapport à la moyenne de l’ensemble des observations. Dans une distribution normale, 95% de toutes les valeurs sont comprises entre + 1,96 écart-type (à droite) et - 1,96 écart-type (à gauche) de la moyenne, 90% des valeurs se trouvent entre + 1,65 écart-type et - 1,65 écart-type et 99% des valeurs entre + 2,58 écart-type (à droite) et - 2,58 écart-type (à gauche) de la moyenne. Un grand écart-type signifie que la dispersion autour de la moyenne est grande. Un petit écart-type implique que la dispersion autour de la moyenne est petite.">ET 3,7) ans), toussant depuis plus de 4 semaines (durée médiane de 16 (IQR 8-32) semaines), sur 346 référés pour la première fois en consultation spécialisée de pneumo-pédiatrie entre janvier 2008 et février 2011 dans 5 centres urbains australiens
  • critères d’exclusion : enfants avec pathologies respiratoires précédemment identifiées et documentées.

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée, contrôlée, multicentrique
  • randomisation (1 :1) entre un groupe bénéficiant précocement (endéans les 3 semaines, moyenne à 1,94 +/- 1 semaine après l’inclusion) d'un rendez-vous spécialisé (n = 140) et un groupe recevant un rendez-vous dans les délais usuels de 6 à 8 semaines (moyenne de 5,1 semaines +/-1,8 semaines, n = 132), dans les 2 cas suivant une prise en charge standardisée selon un algorithme clinique décisionnel (post-posée dans le 2ème groupe)
  • stratification initiale selon l’âge (≤ 6 ans et > 6 ans); pas de différence de prise en charge (médecin généraliste ou pédiatre généraliste) entre les 2 bras durant la période d’attente
  • algorithme clinique décisionnel développé aux U.S.A. (1), reprenant les étapes suivantes : présence de signes d’alarme ou de caractéristiques de la toux évoquant une pathologie précise (diagnostic à confirmer), présence ou non d’anomalies radiologiques et/ou spirométriques, toux sèche ou grasse (voir figure 1).

 

 

 

Mesure de résultats

  • critères de jugement primaires : à 6 semaines
  • proportion d’enfants ne toussant plus, c-à-d avec une amélioration de plus de 75% du score de toux pendant plus de 3 jours consécutifs
  • score de qualité de vie des parents (parent-proxy cough-specific quality of life (PC-Qol) score
  • critères secondaires : PC-QoL et score de qualité de vie pédiatrique (PedsQL) aux semaines 10, 14, 26 et 52
  • fiabilité évaluée par la concordance entre les choix réalisés par le clinicien dans les étapes clés de l’algorithme et les orientations d'experts lors d’une ré-analyse de dossiers sélectionnés au hasard (valeur kappa > 0,6)
  • validité évaluée en taux d’échecs cliniques, des diagnostics établis à 12 mois et du taux d’erreurs diagnostiques
  • analyse en intention de traiter et par protocole.

Résultats

  • sorties d’étude : 7 %
  • critères primaires
  • proportion d’enfants ne toussant plus à la semaine 6 : 54,3 % dans le groupe intervention précoce standardisée, versus 29,5 % dans le groupe intervention délai courant (p ≤ 0,0001) ; RAR de 24,7 % (IC à 95 % de 13 à 35) ; NST de 4 (IC à 95 % de 3 à 8).
  • PC-QoL : différence de 0,6 (IC à 95 % de 0,29 à 1,0)
  • critères secondaires : Peds-QL : pas de différence
  • fiabilité de l’algorithme : pour 100 % des dossiers ré analysés, les mêmes choix pour les différentes étapes de l’algorithme étaient faits par les experts
  • validité : échec clinique (diagnostic non posé initialement) dans 0,4 % des cas, pas de constat d’un diagnostic erroné dans les 6 mois de suivi.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’un traitement des enfants présentant une toux chronique qui suit un algorithme de décision standardisé améliore les issues cliniques quel que soit le moment de son application. Une évaluation ultérieure de cet algorithme clinique standardisé dans différents contextes est recommandée.

Financement

Australian National Health and Medical Research Council et NHMRC Centre for Research Excellence in Lung Health of Aboriginal and Torres Strait Islander Children.

Conflits d’intérêt

2 auteurs déclarent avoir reçu des financements d’une ou de 2 firmes pharmaceutiques mais sans lien avec la recherche ; les autres auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêt à propos du présent article.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Les études concernant la toux prolongée chez l’enfant sont rares en première ligne de soin. L’algorithme décisionnel proposé (1) s’est donc basé sur des études de patients recrutés en troisième ligne de soin et sur des opinions d’experts principalement pneumo-pédiatres. Le paysage des pathologies incluses est donc potentiellement sensiblement différent de celui rencontré en première ligne ; par exemple, les pathologies respiratoires hautes ou ORL sont peu fréquentes dans cette série tout comme dans les précédentes sur lesquelles reposent l’algorithme, or le caractère gras de la toux est un élément clé de cet algorithme et revêt une signification autre en cas d’étiologie ORL. L'application de cet algorithme implique ainsi une utilisation régulière d'antibiotiques : 41,6 % des enfants sont étiquetés dans cette étude comme souffrant d'une bronchite bactérienne prolongée (définie par une toux grasse prolongée résolue après deux semaines d'antibiotiques). Cette définition et cet usage d'antibiotiques mériteraient une évaluation en première ligne où nous connaissons par exemple l'intérêt modeste des antibiotiques dans la rhinosinusite de l'enfant.

Pour les diagnostics retenus, nous notons une faible fréquence d'infection respiratoire haute ou ORL ou encore d'étiologie digestive. Nous pouvons suspecter un biais lié au spectre de référence et au constat que les diagnostics retenus ne sont probablement pas représentatifs de ceux trouvés en première ligne.

Les patients ont été répartis en deux bras qui divergent essentiellement sur le délai de prise du premier rendez-vous. Si l’allocation est faite au hasard, l’aveugle est difficile à respecter à la fois pour le patient et le médecin. La toux ayant un contrôle central et le placebo ayant démontré son efficacité sur ce symptôme (6), il parait plausible que la connaissance du bras de l’étude, outre le sentiment d'une prise en charge rapide et optimale, ait eu un effet sur la toux et sur la perception de celle-ci.

Un des critères de jugement primaires est la proportion d’enfants qui ne toussent plus 6 semaines après l’inclusion (ou du moins dont les scores descriptifs sont améliorés d’au moins 75 %). Le même premier auteur avait déjà montré que ces scores descriptifs n’étaient ni corrélés à un compte objectif ni à la qualité de vie des patients ou de leurs parents, et que leur validité était discutée (4-5). Quelle est la pertinence de ce critère de jugement ? Représente-t-il une perception subjective de l’importance du symptôme sans lien avec ses répercussions, étant donc potentiellement influençable par la connaissance du bras de l’étude ?

 

Interprétation des résultats

La population de cette étude est constituée d’enfants recrutés en milieu spécialisé pour une toux chronique définie comme supérieure à 4 semaines. La moyenne de durée de toux à l'inclusion est de 16 semaines donc largement supérieure au seuil fixé. Nous pouvons donc nous poser la question de la pertinence de choisir 4 semaines de toux pour l’inclusion alors que le guide de pratique britannique (2) parle de toux chronique au delà de 8 semaines. Il s’agit donc à nouveau d’une population très sélectionnée et donc peu représentative de l’enfant tousseur en médecine générale.

La proportion d'enfants dont la toux est dite « résolue » à la semaine 6 est statistiquement supérieure dans le groupe intervention précoce standardisée (avec un NST de 4), toutefois la durée de la toux à partir du moment d'utilisation de l'algorithme ne change pas.

Pour ce qui est de la différence de score de qualité de vie des parents à la semaine 6 après inclusion, évaluée à 0,6 dans cette étude (avec IC à 95 % de 0,29 à 1,0), le premier auteur recommande une différence minimale de 0,9 comme pertinente (7). De même, il n'y avait pas de différence observée selon l'échelle de qualité de vie pédiatrique Peds-QL à plus long terme. Il ne semble pas y avoir de différence significative en termes de nombre de visites médicales puisque plus de 10 visites sont mentionnées chez 51 enfants du groupe intervention précoce/standardisée et chez 48 enfants dans l'autre groupe.

Le fait d'inclure plus tôt les enfants dans cet algorithme paraît donc avoir peu (à 6 semaines) ou pas (à plus long terme) d’impact en termes de qualité de vie des enfants ou des parents, de nombre de consultations mais semble avancer la résolution de la toux. Les conséquences éventuelles à long terme d'un délai de traitement n'ont pas été évaluées.

Il aurait par ailleurs été utile de mentionner des effets indésirables des médicaments utilisés en raison de l’application de l'algorithme décisionnel (effets indésirables des antibiotiques par exemple).

Démarche clinique

Il s'agit d'une première étude clinique évaluant l’algorithme du guide de pratique développé en 2006 aux U.S.A. et en Australie. L’évaluation de base consiste à rechercher des signes cliniques d’orientation ainsi qu’à réaliser une radiographie du thorax et/ou une spirométrie (à partir de 3 - 6 ans).

En première ligne de soins, l'évaluation de signaux d'alerte ou de signes d'une affection pouvant bénéficier d'un traitement, la recherche de facteurs d'environnement pouvant favoriser une toux et la rencontre des familles avec leur anxiété, vécu et attentes par rapport à ce symptôme fréquent restent la pierre d'angle de la prise en charge. Les examens paracliniques sont prescrits selon l’orientation clinique, une radiographie du thorax et une spirométrie pouvant être utiles en cas de non amélioration de la toux (8).

 

Conclusion de Minerva

Cette RCT conduite dans une population sélectionnée d'enfants référés en milieu (très) spécialisé montre qu’une prise en charge précoce (dans les deux semaines) d'enfants souffrant de toux chronique selon un algorithme clinique décisionnel peut augmenter plus rapidement le pourcentage d'enfants dont le score de toux sera amélioré.

 

Pour la pratique

Le guide de pratique belge (8) concernant la toux prolongée chez l’enfant recommande pour le bilan de base uniquement la recherche de signes cliniques, les autres examens étant prescrits selon l’évolution et les signes cliniques. Un guide de pratique britannique (2) recommande ces examens en cas de toux de plus de 8 semaines, gardant une attitude d’expectative armée pour une toux de 3 à 8 semaines.

Etant donné le contexte de la RCT analysée ici, ses conclusions ne peuvent être extrapolées à la population infantile en général et ne remettent donc pas en question les recommandations actuelles.

 

Références

  1. Chang AB, Glomb WB. Guidelines for evaluating chronic cough in pediatrics: ACCP evidence-based clinical practice guidelines. Chest 2006;129(1 Suppl):260S-283S.
  2. Shields MD, Bush A, Everard ML, et al; British Thoracic Society Cough Guideline Group. BTS guidelines: Recommendations for the assessment and management of cough in children. Thorax 2008;63 Suppl 3:iii1-iii15.
  3. Leconte S, Paulus D, Degryse J. Prolonged cough in children: a summary of the Belgian primary care clinical guideline. Prim Care Respir J 2008;17:206-11.
  4. Chang AB, Newman RG, Carlin JB, et al. Subjective scoring of cough in children: parent-completed vs child-completed diary cards vs an objective method. Eur Respir J 1998;11:462-6.
  5. Leconte S, Ferrant D, Dory V, Degryse J. Validated methods of cough assessment: a systematic review of the literature. Respiration 2011:161-74.
  6. Eccles R. Mechanisms of the placebo effect of sweet cough syrups. Respir Physiol Neurobiol 2006;152:340-8.
  7. Newcombe PA, Sheffield JK, Chang AB. Minimally important change in a Parent-Proxy Quality-of-Life questionnaire for pediatric chronic cough. Chest 2011;139:576-80.
  8. Leconte S, Paulus D, Degryse J. Recommandation de Bonne Pratique. La toux prolongée chez l’enfant. SSMG 2007.
Toux chronique chez l’enfant : utilité d’un recours à un algorithme de décision ?

Auteurs

Leconte S.
Centre Académique de Médecine Générale, Université Catholique de Louvain
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