Revue d'Evidence-Based Medicine



L’aspirine effervescente pour traiter les crises de migraine ?



Minerva 2009 Volume 8 Numéro 4 Page 42 - 43

Professions de santé


Analyse de
Lampl C, Voelker M, Diener HC. Efficacy and safety of 1,000 mg effervescent aspirin: individual patient data meta-analysis of three trials in migraine headache and migraine accompanying symptoms. J Neurol 2007;254:705-12.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité d’1 g d’aspirine effervescente (AASe) versus 50 mg de sumatriptan ou versus placebo dans le traitement des crises de migraine et de ses symptômes accompagnateurs ?


Conclusion
Cette méta-analyse sur données individuelles de patients, montre une efficacité similaire de l’administration d’1 g d’aspirine effervescente versus 50 mg de sumatriptan oral, les deux médicaments étant plus efficaces qu’un placebo. Les très nombreuses limites méthodologiques de cette recherche rendent cependant ses conclusions non fiables. Elle ne modifie pas les recommandations actuelles pour le traitement de la crise de migraine.


 

Contexte

Une synthèse récente de la littérature (1) concernant le traitement de la crise de migraine montre l’efficacité de l’aspirine et de l’ibuprofène (ou d’autres AINS comme, par exemple, le diclofénac et la naproxène) pour toute sévérité de migraine, ainsi que l’efficacité d’un gramme de paracétamol pour les crises légères à modérées. Différents triptans oraux (almotriptan, élétriptan, rizatriptan surtout) ou en sous-cutané (sumatriptan) sont également efficaces. Une synthèse évaluant l’AASe versus sumatriptan ou versus placebo n’avait pas encore été réalisée.

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse sur données individuelles

 

Sources consultées

  • processus de recherche non décrit.

 

Etudes sélectionnées

  • 3 études multicentriques, randomisées, en double aveugle, contrôlées versus placebo, avec comme traitement actif 1 g d’AASe
  • comparateur : sumatriptan oral dans 2 études sur 3
  • 2 études (n=516 et 374) en simple dose, en groupes parallèles
  • 1 étude (n=356) en simple dose, avec permutation de traitement sur 3 crises (1ère crise prise en compte).

 

Population concernée

  • adultes de 18 à 65 ans (moyenne de 41,1 (ET 11,9) ans) ; 84% de femmes migraineuses (critères de l’International Headache Society, IHS-1998) (2)
  • avec de 1 à 6 crises de migraine / mois avec ou sans aura depuis ≥ 1 an
  • exclusion : autre type de céphalées, ulcère peptique, maladies rénales, hépatiques, cardiaques ou cérébrales.
  • données individuelles acquises ; 991 crises traitées, dès un seuil de douleur ≥ modérée, avec AASe 1 g (392), sumatriptan 50 mg (221) ou placebo (378).

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : pourcentage de patients avec réduction ou absence de douleur à 2 h et maintien de l’absence de douleur à 24 h post dose unique
  • autres critères : pourcentage de crises avec disparition de(s) symptôme(s) accompagnateur(s) (nausées, photo- et phonophobie) ; pourcentage de patients ayant recours à un traitement d’appoint et délai avant ce recours
  • fréquence des effets indésirables.

 

Résultats

  • critère primaire : AASe et sumatriptan plus efficaces qu’un placebo (p<0,001), pas de différence significative entre AASe et sumatriptan (voir tableau)
  • photo- et phonophobie : pas de différence significative entre AASe et sumatriptan
  • nausées : différence de disparition significative (mais faible) en faveur AASe versus placebo (p<0,05) mais non significative entre sumatriptan et placebo
  • réponse supérieure en cas de migraine modérée versus sévère
  • effets indésirables : voir discussion.

 

Tableau. Pourcentage de patients rapportant une réduction ou absence de douleur à 2 h et un maintien de l’absence de douleur à 24 h.

Critère

AASe (IC à 95%)

sumatriptan

placebo

Réduction de douleur à 2 h

51,5% (46,6-56,5)

46,6% (40,0-53,2)

33,9% (29,1-38,6)

Absence de douleur à 2 h

27,1% (22,6-31,4)

29,0% (23,0-34,9)

15,1% (11,5-18,7)

Maintien de l’absence de douleur à 24 h 

23,5% (19,3-27,7)

22,2% (16,7-27,6)

14,6% (11,0-18,1)

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que cette méta-analyse de données individuelles de patients montre, pour le traitement des crises de migraine, tant chez les patients présentant des crises modérées que sévères, une efficacité semblable d’1 g d’AASe et de 50 mg de sumatriptan oral, avec un meilleur profil de sécurité pour l’aspirine. Pour le traitement des crises de migraine, l’usage en première intention d’AASe devrait, selon eux, être conseillé aux patients et l’utilisation d’un triptan réservée en cas de non réponse.

 

Financement 

Aucune mention.

 

Conflits d’intérêt 

Non mentionnés.

 

Discussion

Considérations méthodologiques

Cette méta-analyse repose sur des données individuelles, avantage certain au niveau de l’interprétation possible des résultats en fonction des caractéristiques des patients. Elle juge de l’efficacité thérapeutique sur base des journaliers des patients ; elle évalue la forme effervescente de l’aspirine 1 g versus sumatriptan oral 50 mg et versus placebo, ce qui est un bon choix. Elle présente cependant de très importantes limites. La méthode de recherche des études n’est pas décrite. Les auteurs de cette méta-analyse figurent parmi les auteurs des 2 des 3 études incluses. Ceci incite à penser que la méta-analyse porte surtout sur les études réalisées par ces auteurs, avec, à leur disposition, les données individuelles des patients. Il s’agit donc d’une validité scientifique d’une telle synthèse est alors limitée.">synthèse narrative et non systématique, ce qui nuit à la crédibilité des résultats. L’absence d’un résumé structuré est aussi un appel à la réserve quant à la qualité de l’étude.  

Mise en perspective des résultats

Par soustraction des taux de réponse sous placebo, les auteurs ont calculé les bénéfices thérapeutiques au niveau efficacité, concept important, surtout dans les études où un taux de réponse conséquent peut être attendu avec le placebo ainsi que par l’évolution spontanée de la crise migraineuse (3,4). Le bénéfice thérapeutique ainsi calculé est limité : AASe 17,6% (IC 10,8-24,5), sumatriptan 12,7% (IC 4,6-20,9) pour le soulagement de la douleur. Pour la rémission de la douleur à 2 h, des chiffres du même ordre sont observés. Ces chiffres pour l’absence de douleur à 2 h sont semblables à ceux mentionnés dans la méta-analyse de Ferrari (53 RCTs, 24 098 patients) (5), ce qui renforce, pour les auteurs de la présente méta-analyse, la confiance dans leur interprétation de la valeur relative de l’AASe.
Pour les facteurs pouvant prédire une réponse thérapeutique favorable, seul le caractère modéré de la douleur initiale, versus douleur sévère, est prédictif d’un taux de réponse supérieur. Ni le sexe, ni le poids, ni l’âge, ni le moment de la prise n’ont de valeur prédictive pour cette diminution de la douleur.

Un traitement d’appoint est utilisé par significativement plus de patients du groupe placebo, et ceci plus précocement. Les auteurs ne décrivent cependant pas ces traitements d’appoint, ce qui ne permet aucune interprétation fiable surtout de la pertinence clinique de la différence observée.

Les auteurs de cette méta-analyse se livrent à des comparaisons de NST avec d’autres études comparant triptans et aspirine. Minerva a déjà souligné la fragilité de telles comparaisons de NST (6). Une synthèse méthodique récente de la Cochrane Collaboration (7) comparant le sumatriptan oral versus placebo, absence de traitement, autres traitements médicamenteux, thérapie comportementale ou physique pour le traitement des crises migraineuses chez les adultes, conclut à l’efficacité (absence de douleur à 2 h) du sumatriptan oral (25, 50 et 100 mg) et à une bonne tolérance malgré des effets indésirables mineurs assez fréquents ; elle conclut également à un effet généralement comparable des autres triptans au niveau efficacité et effets indésirables, à une efficacité significativement inférieure de l’association ergotamine-caféine versus sumatriptan, et à un manque d’études concernant des autres antimigrainuax.

 

Effets indésirables

Les effets indésirables, plus nombreux dans le groupe sumatriptan (16%) que dans les groupes AASe (12%) et placebo (7%), sont essentiellement d’ordre gastro-intestinal (7,2%, 3,6% et 2,9% respectivement) et neurologique (3,6%, 1,8% et 1,3%), résultat surprenant, l’aspirine étant généralement considérée comme un médicament à toxicité gastro-intestinale ; les effets indésirables les plus fréquemment signalés (nausées et vomissements) sont potentiellement attribuables à la crise de migraine. La méta-analyse de Ferrari (5) mentionne une augmentation de risque d’effets indésirables (SNC et thoraciques) pour le sumatriptan 50 mg versus placebo de 7,8% (IC 95% : 2,6-13,1).

 

Pour la pratique

Cette méta-analyse de piètre qualité n’apporte pas d’élément neuf parmi ceux figurant dans les guides de pratique récents. L’aspirine 1000 mg et l’ibuprofène 400 mg (ou autre AINS) restent des traitements de 1er choix pour les crises migraineuses de toute intensité, le paracétamol pouvant se révéler efficace en cas de crise d’intensité légère à modérée (1). En absence d’efficacité d’analgésiques simples lors de crises précédentes, les triptans seront essayés (1) malgré certains désavantages (restrictions à leur usage en présence de maladies cardiovasculaires, coût) ; leur efficacité et leurs effets indésirables sont doses dépendants (8).

 

Conclusion

Cette méta-analyse sur données individuelles de patients, montre une efficacité similaire de l’administration d’1 g d’aspirine effervescente versus 50 mg de sumatriptan oral, les deux médicaments étant plus efficaces qu’un placebo. Les très nombreuses limites méthodologiques de cette recherche rendent cependant ses conclusions non fiables. Elle ne modifie pas les recommandations actuelles pour le traitement de la crise de migraine.

 

Références

  1. SIGN. The diagnosis and management of headache in adults. A national clinical guideline. Scottish Intercollegiate Guidelines Network, November 2008.
  2. Classification and diagnostic criteria for headache disorders, cranial neuralgias and facial pain. Headache Classification Committee of the International Headache Society. Cephalalgia 1988;8(Suppl 7):1-96.
  3. Spierings EL. Migraine: behandeling & preventie. Geneesmiddelenbulletin 1997;2:13-20.
  4. Your questions to the PBAC. Sumatriptan 50 mg tablet. Aust Prescr 1997;20:86-7.
  5. Ferrari MD, Roon KI, Lipton RB, Goadsby PJ. Oral triptans (serotonin 5-HT(1B/1D) agonists) in acute migraine treatment: a meta-analysis of 53 trials. Lancet 2001;358:1668-75.
  6. Chevalier P. Nombre de sujets à traiter. MinervaF 2009;8(2):24.
  7. McCrory DC, Gray RN. Oral sumatriptan for acute migraine. Cochrane Database Syst Rev 2003; Issue 3.
  8. Fiche de transparence. Antimigraineux. CBIP, Bruxelles, juillet 2008.
L’aspirine effervescente pour traiter les crises de migraine ?

Auteurs

Vanwelde C.
Centre Académique de Médecine Générale, Université Catholique de Louvain
COI :

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