Revue d'Evidence-Based Medicine



Traitement de la migraine liée aux menstruations



Minerva 2009 Volume 8 Numéro 4 Page 40 - 41

Professions de santé


Analyse de
Pringsheim T, Davenport WJ, Dodick D. Acute treatment and prevention of menstrually related migraine headache: evidence-based review. Neurology 2008;70:1555-63.


Question clinique
Quels sont les traitements efficaces pour soulager ou prévenir à court terme les migraines liées aux menstruations ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique de la littérature ne trouve que peu d’études pour le traitement ou pour la prévention des crises de migraine survenant lors des menstruations. Des méta-analyses ne sont dès lors possibles que pour les triptans. Les conclusions rejoignent les recommandations des guides de pratique les plus récents qui ne reposent cependant que sur le même nombre faible d’études (une par médicament) chez un nombre généralement restreint de patientes.


 

Contexte

La migraine liée aux menstruations est une céphalée qui survient du jour -2 à +3 des menstruations durant au moins 2/3 des cycles (International Classification of Headache Disorders). Elle toucherait 8% des femmes. Deux stratégies de prise en charge existent : le traitement symptomatique au moment de la crise et le traitement préventif à court terme pris au moment des menstruations.

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

 

Sources consultées

  • MEDLINE (à partir de 1966), EMBASE (à partir de 1980) et la Cochrane Collaboration Library
  • abstracts des conférences des sociétés internationales de Neurologie de la dernière année avant la recherche.

 

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : RCTs en double aveugle de tout médicament versus placebo ou autre médicament pour le soulagement ou la prévention de la migraine liée aux menstruations, incluant au moins 20 patientes 
  • critère d’exclusion : aucun
  • inclusion de 8 RCTs (+ 1 publication commune de 2 RCTs) pour les crises (3 255 femmes, de 24 à 579 par étude), évaluant sumatriptan, zolmitriptan, naratriptan, acide méfénamique et de 10 RCTs en prévention (1 041 femmes, de 20 à 579 patientes par étude), évaluant estrogènes, naproxène, nimésulide, magnésium, naratriptan, frovatriptan.

 

Population étudiée

  • femmes âgées de 18 à 65 ans (post ménopause, le cycle hormonal est médicamenteux)
  • critères de la Classification Internationale de la migraine liée aux menstruations
  • toutes les études sur les triptans excluent : grossesse, allaitement, problème cardiaque, hypertension incontrôlée, prise concomitante d’IMAO ou d’ergotamine.

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires :
      • pour les traitements des crises : absence ou réduction de la douleur (au moins 2 points sur une échelle de 0=pas de douleur à 3=douleur sévère) à 2 heures
      • pour les traitements préventifs : incidence de la migraine, nombre de jours de migraine
  • effets indésirables pour tous les traitements
  • résultats donnés en cote (Eng : odds) représente un rapport de risque, le rapport entre la probabilité de survenue d’une maladie ou d’un évènement et la probabilité de non survenue de cette maladie ou de cet évènement. Un rapport de cotes est un rapport entre 2 cotes.">Odds Ratios et différence de réponse (gain thérapeutique) versus placebo.

 

Résultats

  • les résultats statistiquement significatifs sont résumés dans le tableau 1 pour le traitement de la crise et dans le tableau 2 pour le traitement préventif à court terme.

 

Tableau 1. Efficacité des traitements de la crise de migraine versus placebo, gain thérapeutique, OR avec IC à 95%.  

Médicament

Méta-analyse (nombre d’études)

ou étude

Gain thérapeutique en % (IC à 95%)

OR (IC à 95% ou

valeur p)

Sumatriptan 100 mg

MA (2)

34 (26 - 42)

4,33 (2,96 - 6,32)

Sumatriptan 50 mg

MA (2)

25 (17 - 33)

3,02 (2,08 - 4,38)

Zolmitriptan 1, 2,5 ou 5 mg

MA (2)

26 (15 - 37)

2,97 (1,98 - 4,45)

Rizatriptan 10 mg

MA (2)

20 (12 - 27)

2,34 (1,68 - 3,25)

Acide méfénamique 3 x 500 mg

1 étude

58,3

p < 0,05

 

Tableau 2. Efficacité des traitements en prévention de la migraine à court terme versus placebo, gain thérapeutique avec valeur p. 

Médicament

Nbre d’études

Gain thérapeutique en %

Valeur p

Estradiol transdermique 1,5 mg

2

44

23

< 0,05

= 0,03

Frovatriptan 2,5 mg x 2

1

26

< 0,0001

Naratriptan 1 ou 2,5 mg x 2

1

non mentionné

< 0,05 pour 1mg

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs recommandent le traitement des crises par sumatriptan, rizatriptan ou acide méfénamique et le traitement préventif à court terme avec des estrogènes transcutanés, du frovatriptan ou du naratriptan. Le choix entre ces traitements est établi sur considérations cliniques.

 

Financement

Non mentionné.

 

Conflits d’intérêt

Un auteur signale avoir été rémunéré pour consultance auprès de firmes commercialisant les médicaments évalués.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse repose sur un protocole de recherche dans la littérature correctement élaboré mais la présentation de l’étude est confuse. Les chercheurs ont, indépendamment l’un de l’autre, fait une recherche dans la littérature, extrait les données et confirmé leur exactitude. Les résultats ont été synthétisés dans une grille commune. Les désaccords entre chercheurs ont été résolus après discussion. La qualité des études a été jugée selon les critères de l’US Preventive Services Task Force. Pour être jugée « bonne », une étude devait répondre à plusieurs critères dont : groupes comparables, randomisation et secret de l’attribution corrects, pas de taux de sorties d’étude important ou inégal suivant les bras d’étude, analyse en intention de traiter. Une étude était considérée comme « correcte » si elle répondait à une partie de ces critères et sans faute irrémédiable. Une recherche était estimée « mauvaise » en cas de faute irrémédiable : absence d’aveugle, d’analyse en intention de traiter, d’analyse des facteurs confondants, par exemple. Seules 3 études (sur 18) sont considérées comme de bonne qualité. Par contre, ces auteurs incluent dans leurs évaluations (et recommandations) des études qu’ils jugent de mauvaise qualité. De nombreux critères de jugement primaires ont été pris en compte. Plusieurs études, dont l’étude sur l’acide méfénamique et les études sur les estrogènes impliquaient peu de patientes. Une méta-analyse n’est possible que pour 3 triptans, et uniquement pour le traitement de la crise de migraine liée aux menstruations. Les intervalles de confiance et les gains thérapeutiques ne sont pas présentés de façon systématique comme proposé dans la méthodologie.

 

Interprétation des résultats

Les auteurs de cette publication sont fort préoccupés de pouvoir faire des recommandations précises au niveau de chacun des médicaments évalués dans 1 ou plusieurs études. Ils en oublient de proposer une attitude pratique, un algorithme de traitement, en fonction des résultats trouvés. Par exemple, ils précisent qu’ils ne se prononcent pas (ni pour ni contre) le zolmitriptan comme traitement symptomatique à cause de ses effets indésirables jugés trop fréquents. L’analyse des données ne montre pourtant pas de différence significative pour les effets indésirables versus placebo… comme pour les 2 doses de sumatriptan qui par contre est recommandé par ces mêmes auteurs. Le lien entre recherche dans la littérature et  formulation de recommandations nous semble donc bien tortueux. Notons aussi, dans beaucoup d’études, une proportion importante de réponses au placebo. Plusieurs médicaments ont été étudiés à des doses variables ce qui complique la synthèse mais aussi les conclusions pour la pratique.

 

Autres études

Une chute du taux d’estrogènes durant la phase lutéale du cycle menstruel est avancée comme facteur étiologique des migraines liées aux menstruations. Une méta-analyse étudiant la migraine chez la femme (1) met cependant en doute l’intérêt d’administrer des estrogènes, vu les résultats contradictoires d’études impliquant peu de patientes. Cette recherche insistait sur le nombre limité de patientes (de 20 à 30%) tirant bénéfice d’un traitement par triptans. L’administration d’estradiol en périmenstruel a été évaluée, parfois positivement, mais une méta-analyse de toutes les études n’est pas possible au vu de leur hétérogénéité (2). Rappelons aussi que l’utilisation de contraceptifs oraux combinés est, comme la migraine, un facteur indépendant de risque d’accident vasculaire cérébral, peut-être plus en cas de migraine avec aura. Le risque d’AVC est doublé après l’âge de 35 ans. Un contraceptif oral combiné est donc déconseillé en cas de migraine avec aura à tout âge et après 35 ans pour toute forme de migraine (2).
Les guides de pratique abordent peu le problème des migraines liées aux menstruations.

La fiche de transparence du CBIP (3) sur les antimigraineux ne traitait pas de la migraine liée aux menstruations. Une de ses recommandations était l’approche progressive du traitement de la migraine.

 

Le guide de pratique récent de la « Scottish Intercollegiate Guidelines Network » (2) aborde également la migraine liée aux menstruations. Il recommande dans ce cas, pour le traitement de la crise : acide méfénamique (500 mg TID), association fixe d’aspirine, paracétamol et caféine (doses non mentionnées), les triptans (sumatriptan 50 à 100 mg oral, zolmitriptan 2,5 mg, naratriptan 1 mg et rizatriptan 10 mg) (Niveau A). En prévention, il recommande le frovatriptan 2,5 mg QD ou BID pour 6 jours ou le naratriptan 1 ou 2,5 mg BID pendant 5 à 6 jours à partir de deux jours avant le premier jour du cycle menstruel (Niveau A). Pour chaque médicament recommandé, la preuve repose sur une seule étude, également reprise dans la synthèse analysée ici. Les doses notées sont celles utilisées dans les études, le guide de pratique ne mentionnant pas de dose.

Pour le traitement de la migraine en général, les triptans ne sont recommandés (SIGN) qu’en cas d’échec des traitements de première ligne (aspirine, ibuprofène ou autre AINS, paracétamol). La gestion du stress peut aussi faire partie du traitement.

 

Conclusion

Cette synthèse méthodique de la littérature ne trouve que peu d’études pour le traitement ou pour la prévention des crises de migraine survenant lors des menstruations. Des méta-analyses ne sont dès lors possibles que pour les triptans. Les conclusions rejoignent les recommandations des guides de pratique les plus récents qui ne reposent cependant que sur le même nombre faible d’études (une par médicament) chez un nombre généralement restreint de patientes.

 

 

Références

  1. Brandes JL. The influence of estrogen on migraine, a systematic review. JAMA 2006;295:1824-30.
  2. SIGN. The diagnosis and management of headache in adults. A national clinical guideline. Scottish Intercollegiate Guidelines Network, November 2008.
  3. Fiche de transparence. Antimigraineux. CBIP, Bruxelles, juillet 2008.

 

 

Noms de marque  

- acide méfénamique : actuellement non commercialisé en Belgique

- frovatriptan :non commercialisé en Belgique

- naratriptan : Naramig®

- rizatriptan : Maxalt®

- sumatriptan : Imitrex®

- zolmitriptan : Zomig®

Traitement de la migraine liée aux menstruations

Auteurs

Chevalier P.
médecin généraliste
COI :

Crismer A.
Département Universitaire de Médecine Générale, Université de Liège
COI :

Glossaire

rapport de cotes

Code





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