Revue d'Evidence-Based Medicine



Une intervention à composantes multiples réduit-elle l’utilisation des moyens de contention physique dans les maisons de repos ?



Minerva 2014 Volume 13 Numéro 2 Page 23 - 24

Professions de santé


Analyse de
Köpke S, Mühlhauser I, Gerlach A, et al. Effect of a guideline-based multicomponent intervention on use of physical restraints in nursing homes: a randomized controlled trial. JAMA 2012;307:2177-84.


Question clinique
Quel est l’effet d’une intervention à composantes multiples versus une intervention témoin, sur l’utilisation des moyens de contention physique pour les résidents des maisons de repos ?


Conclusion
Cette étude contrôlée, avec randomisation en grappes, de bonne qualité méthodologique, montre une diminution de l’usage de la contention physique dans les maisons de repos suite à une intervention à composantes multiples ayant une base scientifique.


 


Texte sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone

 

Contexte

En Europe, l’installation de moyens de contention physiques, sous forme de barrières de lit latérales, d’une table fixée au fauteuil, d’attaches de poignets ou d’une sangle thoracique est très fréquente dans les maisons de repos (1-3). Il existe toutefois une législation restrictive dans certains pays, comme aux Pays-Bas et en Allemagne (1). Par ailleurs, il n’est pas montré que les moyens de contention physique soient efficaces et sans danger pour les fonctions cognitives, les troubles du comportement, le fonctionnement quotidien et la tendance aux chutes (4,5). L’installation d’un système de contention semble dépendre fortement, quant à son ampleur, de l’attitude du personnel infirmier (3). Une synthèse de la Cochrane Collaboration (6) a cependant montré qu’il n’y avait pas encore suffisamment de preuves en faveur de l’efficacité d’une approche éducative pour réduire l’installation des moyens de contention physique.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 36 maisons de repos dans lesquelles plus de 20 % des résidents étaient soumis à une forme de contention physique, dans deux régions d’Allemagne
  • 4 449 résidents âgés en moyenne de 83 à 85 ans, dont 73 à 77 % de femmes ; durée de séjour médiane depuis l’admission de 19 à 20 mois ; 63 à 64 % souffraient de régression cognitive, 11 à 12 % étaient dans un service pour personnes atteintes de démence, 32 à 40 % étaient agités, 19 à 23 % avaient un comportement agressif lors de l’inclusion. La prévalence de la contention physique était environ de 30 %.

Protocole d’étude

  • étude contrôlée avec randomisation en grappes et stratification en fonction de la région
  • groupe intervention (18 maisons de repos ; 2 283 résidents) : intervention à composantes multiples basée sur un guide de bonne pratique élaboré pour l’étude et comportant les éléments suivants : séances en groupe pour le personnel infirmier et soignant, formation complémentaire pour le personnel infirmier de référence, matériel de support pour le personnel infirmier, les résidents, les familles et les représentants légaux
  • groupe témoin (18 maisons de repos ; 2 166 résidents) : les infirmières en chef ont reçu une brochure et ont assisté à une brève présentation sur l’utilisation de la contention physique et sur les méthodes pour éviter d’y avoir recours
  • suivi : effectué en aveugle par des investigateurs externes après 3 et 6 mois.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : pourcentage de résidents soumis à une contention physique (barrières de lit latérales, ceintures, table fixe et autres mesures limitant la liberté de mouvement) après six mois
  • critères de jugement secondaires : moyens de contention physique après trois mois, chutes, fractures en rapport avec une chute et prescriptions de médicaments psychotropes
  • analyse en intention de traiter.

 

Résultats

  • critère de jugement primaire : après 6 mois, la prévalence de la contention physique était de 29,1 % dans le groupe témoin et de 22,6 % dans le groupe intervention ; différence de 6,5 % (avec IC à 95 % de 0,6 % à 12,4 %) ; OR corrigé pour la randomisation en grappes 0,71 (avec IC à 95 % de 0,52 à 0,97 ; p = 0,03)
  • critères de jugement secondaires : après trois mois, pas de différences statistiquement significatives quant aux chutes, aux fractures en rapport avec une chute et aux prescriptions de médicaments psychotropes.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs de cette étude concluent qu’une intervention à composantes multiples basée sur un guide de bonne pratique et sur la théorie, comparativement à des informations standards, réduit l’utilisation de la contention physique dans les maisons de repos.

Financement

ministère allemand de l’enseignement et de la recherche, qui a approuvé le protocole d’étude, mais n’a joué aucun rôle dans la conduite de l’étude, la collecte et le traitement des résultats et la rédaction de l’article.

 

Conflits d’intérêt

Aucun n’est signalé.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Les auteurs décrivent en détail les différentes étapes de l’élaboration d’un guide de bonne pratique qui permettrait d’éviter les moyens de contention physique dans les maisons de repos. Après consultation de synthèses méthodiques, une équipe multidisciplinaire d’experts, comptant aussi des représentants des établissements concernés, a attribué un score GRADE à 24 recommandations. Les différentes composantes de l’intervention mise en œuvre à l’aide du guide de bonne pratique ont ensuite été testées quant à leur faisabilité et leur acceptabilité dans la pratique.

En raison de la nature de l’intervention, les investigateurs ont à juste titre opté pour une étude randomisée par grappes. Les différents établissements ont été randomisés en aveugle pour faire partie du groupe intervention ou du groupe témoin. Un contrôle de la présence d’une contention chez les résidents a été effectué en aveugle par un investigateur externe à 3 reprises au cours d’une journée avant la randomisation et après 3 et 6 mois de suivi. L’infirmière en chef était au courant de la visite, mais avait reçu comme consigne de ne pas l’annoncer au reste du personnel ; néanmoins, il n’est pas exclu que cette visite ait tout de même été attendue.

Pour le calcul de la taille de l’échantillon, les auteurs ont correctement tenu compte de l’effet de grappe (7,8). Le coefficient de corrélation intra grappe a été calculé à partir d’une étude antérieure (3). Pour l’analyse en intention de traiter des résultats du critère de jugement primaire, l’effet de grappe a également été pris en compte.

Interprétation des résultats

Après six mois, l’usage des moyens de contention physiques a diminué de manière significative dans le groupe intervention versus groupe témoin et ce pour toutes les formes de contention, à l’exception de la contention au lit. Les investigateurs ne donnent toutefois pas d’explication à cette observation. Malgré le succès de l’intervention, 20 % des résidents étaient encore soumis à une contention dans le groupe intervention. Le suivi à 6 mois est peut-être trop court pour constater un changement définitif des attitudes au niveau du personnel infirmier. Nous ne savons pas non plus dans quelle mesure les effets de l’intervention diffèrent selon la lourdeur des soins dans une grappe.

Un certain nombre de facteurs sont également importants si l’on veut extrapoler les résultats à une autre région de soins. 29 maisons de repos ont été recrutées parce qu’elles avaient participé à une étude antérieure. L’attitude à l’égard des moyens de contention physiques y était peut-être déjà différente. Parmi ces 29 maisons de repos, le nombre final inclus est inconnu. Conformément à la législation allemande, au moins 50 % du personnel infirmier avait suivi la formation complète en soins infirmiers (d’une durée de 3 ans).

Les investigateurs ont recherché de manière qualitative les facteurs favorisant et défavorisant l’application de l’intervention. Comme attendu, une attitude positive de soutien des infirmières en chef est un facteur favorisant.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude contrôlée, avec randomisation en grappes, de bonne qualité méthodologique, montre une diminution de l’usage de la contention physique dans les maisons de repos suite à une intervention à composantes multiples ayant une base scientifique.

 

Pour la pratique

Conformément à des guides de bonne pratique antérieurs (9,10), les auteurs recommandent les programmes éducatifs pour réduire l’utilisation de la contention physique dans les maisons de repos. La qualité des preuves reste toutefois faible pour cette intervention. L’utilisation de quelques interventions alternatives, telles que l’adaptation de facteurs environnementaux ne peut faire l’objet d’une recommandation.

Selon les rares études comparatives et les rapports de cas (9,10), un système de contention physique ne devrait être mis en place qu’en dernier recours, lorsque les avantages potentiels dépassent les inconvénients. Si une contention est inévitable, elle doit être limitée autant que possible et ne doit pas compromettre la sécurité du patient et celle du prestataire de soins. La nécessité d’un système de contention physique sera ensuite régulièrement réévaluée.

 

 

Références

  1. de Vries OJ, Ligthart GJ, Nikolaus T; European Academy of Medicine of Ageing-Course III. Differences in period prevalence of the use of physical restraints in elderly inpatients of European hospitals and nursing homes. J Gerontol A Biol Sci Med Sci 2004;59:M922-3.
  2. de Veer AJ, Francke AL, Buijse R, Friele RD. The use of physical restraints in home care in the Netherlands. J Am Geriatr Soc 2009;57:1881-6.
  3. Meyer G, Köpke S, Haastert B, Mühlhauser I. Restraint use among nursing home residents: cross-sectional study and prospective cohort study. J Clin Nurs 2009;18:981-90.
  4. Castle NG, Engberg J. The health consequences of using physical restraints in nursing homes. Med Care 2009;47:1164-73.
  5. Engberg J, Castle NG, McCaffrey D. Physical restraint initiation in nursing homes and subsequent resident health. Gerontologist 2008;48:442-52.
  6. Möhler R, Richter T, Köpke S, Meyer G. Interventions for preventing and reducing the use of physical restraints in long-term geriatric care. Cochrane Database Syst Rev 2011, Issue 2.
  7. Chevalier P. Randomisation en grappes (collective). MinervaF 2012;11(4):51.
  8. Michiels B. La non prise en compte d’une randomisation par grappes : un risque de biais. MinervaF 2013;12(2):25.
  9. JBI, 2002 Physical Restraint - Pt 2: Minimisation in Acute and Residential Care Facilities, Best Practice Vol 6 Iss 4, Blackwell Publishing Asia, Australia.
  10. JBI, 2002 Physical Restraint - Pt 1: Use in Acute and Residential Care Facilities, Best Practice Vol 6 Iss 3, Blackwell Publishing Asia, Australia.

 

 

Une intervention à composantes multiples réduit-elle l’utilisation des moyens de contention physique dans les maisons de repos ?

Auteurs

Paquay L.
Wit-Gele Kruis van Vlaanderen
COI :

Scheepmans K.
Wit-Gele Kruis van Vlaanderen; Centrum voor ziekenhuis en verplegingswetenschap KULeuven
COI :

Glossaire

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