Revue d'Evidence-Based Medicine



Electrocardiographie pour exclure une hypertrophie ventriculaire gauche ?



Minerva 2009 Volume 8 Numéro 3 Page 30 - 31

Professions de santé


Analyse de
Pewsner D, Jüni P, Egger M. et al. Accuracy of electrocardiography in diagnosis of left ventricular hypertrophy in arterial hypertension: systematic review. BMJ 2007;355:711.


Question clinique
L’électrocardiographie est-elle suffisamment précise pour exclure une hypertrophie ventriculaire gauche chez des patients avec une hypertension artérielle primaire ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique montre qu’aucun critère électrocardiographique ne peut être utilisé pour exclure avec une probabilité suffisante une hypertrophie ventriculaire gauche chez des patients présentant une hypertension artérielle primaire.


 

Contexte

Une hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) correspond à une lésion d’un organe cible en cas d’hypertension artérielle et est en soi un facteur de risque cardiovasculaire (1). C’est pour ce motif que la réalisation d’un électrocardiogramme par le généraliste est recommandée dans la mise au point d’une hypertension (2). La valeur diagnostique des plus de trente critères électrocardiographiques décrits est cependant encore mise en doute par rapport à l’échocardiograhie considérée comme gold standard.

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique

Sources consultées

  • MEDLINE depuis 1966, EMBASE depuis 1980
  • consultation des listes de références des études et synthèses pertinentes, d’experts.

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : études d’observation évaluant la précision d’un ou de plusieurs critères ECG pour le diagnostic de l’HVG versus échographie
  • avec suffisamment de données pour établir une table à 2 x 2 contingences
  • critères d’exclusion : études cas-contrôles incluant des patients avec HVG documentée versus patients sains, études évaluant le rapport masse cardiaque/taille corporelle au lieu du rapport masse cardiaque/surface corporelle lors de l’échocardiographie, études chez des patients avec hémibloc antérieur gauche ou avec bloc de branche gauche
  • parmi 142 études isolées, 21 sont finalement retenues ; 10 en première ligne de soins et 11 en deuxième ligne.

Population étudiée

  • patients asymptomatiques, en première, deuxième et troisième lignes de soins, avec hypertension primaire, traités ou non depuis longtemps ou récemment avec des antihypertenseurs
  • total de 5 608 patients (30 à 947 par étude) ; 28 à 100% d’hommes ; âge moyen de 46 à 70 ans
  • prévalence d’HVG : médiane de 33% (quartiles (P75 et P25) et décrit ainsi les limites entre lesquelles les 50% moyens des résultats sont situés.">IQR 23-41) en première ligne de soins et 65% (IQR 37-81) en deuxième ligne.

Mesure des résultats

  • sensibilité, spécificité, rapport de vraisemblance positif et négatif (avec IC à 95%) des critères ECG pour le diagnostic d’HVG en considérant l’échocardiographie comme gold standard
  • pour les 6 critères ECG les plus utilisés, courbe ROC est un graphique exprimant la capacité d’un test de dépistage de faire la distinction entre les personnes saines et les personnes malades. Sur le graphique ROC la sensibilité du test (vrais positifs) est indiquée sur l’axe des y (ordonnée) au moyen de différentes valeurs-seuils. Sur l’axe des x (abscisse) on place les faux-positifs (1-spécificité). La valeur optimale se trouve dans le coin supérieur gauche du graphique indiquant une proportion élevée de vrais-positifs et une faible proportion de faux-positifs). Une courbe ROC peut également être utilisée pour comparer entre eux différents tests diagnostiques (par exemple dans une méta-analyse). L’aire sous la courbe indique la précision du test : égale à 1 si le test est parfait et peut identifier tous les malades sans faux positifs, à 0,5 si le test est sans valeur, détectant autant de vrais positifs que de faux positifs.">courbes ROC et forest plot est un graphique représentant les résultats des diverses études incluses dans une méta-analyse. Les résultats de chaque étude sont représentés sous la forme d’un carré (ou point), avec intervalles de confiance, et placés les uns en regard des autres. Les résultats sont également sommés, regroupés sous la forme d’un losange donnant une évaluation de l’effet global. L’ensemble du graphique a la forme d’un arbre. Le logo de la Cochrane Collaboration est un exemple d’un forest plot. Les études représentées examinent l’effet sur la mortalité néonatale de l’administration d’un traitement de corticostéroïdes auprès de femmes risquant un accouchement prématuré. Le résultat de la méta-analyse montre que le fait d’administrer des corticostéroïdes réduit significativement le taux de mortalité des nouveau-nés.">forest plots.

Résultats

  • les 5 critères ECG les plus utilisés : indice de Sokolow-Lyon, indice de Cornell (voltage), produit de Cornell, indice de Gubner, score de Romhilt-Estes
  • sensibilité médiane : de 10,5% (écarts 0-39) pour l’indice de Gubner à 21% (écarts 4-52) pour l’indice de Sokolow-Lyon
  • spécificité médiane : de 89% (écarts 53-100) pour l’indice de Sokolow-Lyon à 99% (écarts 71-100) pour le score de Romhilt-Estes (5 points)
  • rapport de vraisemblance négatif médian : 0,85 (écarts 0,34-1,03) pour le score de Romhilt-Estes (4 points) à 0,91 (écarts 0,70-1,01) pour l’indice de Gubner
  • rapport de vraisemblance positif médian : 1,90 (écarts 0,16-25,9) pour l’indice de Sokolow-Lyon à 5,90 (écarts 0,71-18,2) pour le score de Romhilt-Estes (4 points).

Conclusion des auteurs

Les critères ECG ne devraient pas être utilisés pour exclure une hypertrophie ventriculaire gauche chez des patients hypertendus.

Financement

Swiss National Science Foundation.

Conflits d’intérêt

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Les auteurs ont recours à six critères pour évaluer la qualité des études incluses : une inclusion consécutive des patients, un protocole d’étude prospectif, une description claire de la technique utilisée, une définition claire des valeurs seuils, une évaluation en aveugle aussi bien pour l’échographie que pour l’électrocardiogramme. Trois études satisfont à tous les critères (= haute qualité), onze à 4 ou 5 critères (= qualité intermédiaire) et sept à 1 à 3 critères de qualité (= mauvaise qualité). Les auteurs ne tiennent cependant pas compte de cette évaluation de la qualité lors de l’élaboration des forest plots : toutes les études y sont reprises. Ils ne font aucune pondération entre les études. Les rapports de vraisemblance positifs et négatifs sont donnés par critère ECG mais sans sommation des résultats. Les auteurs expliquent ce fait par une impossibilité au vu d’une hétérogénéité statistique et clinique très importante liée aux grandes différences pour la qualité des études et les critères ECG utilisés… malgré l’absence de la moindre tentative de calcul de cette hétérogénéité. Des forest plots sans calculs statistiques sont trompeurs.

Un autre point faible de cette étude est l’absence de mention des critères de qualité et des critères de jugement pour les mesures échocardiographiques de la masse ventriculaire gauche. Une distinction entre HVG physiologique et pathologique est en effet fort difficile à l’échocardiographie (3). Considérer cet examen comme le gold standard n’est pas à l’abri de toute discussion.

Mise en perspective des résultats

Les courbes ROC pour tous les critères ECG ont une configuration similaire : faible sensibilité (21% pour l’indice de Sokolow-Lyon) et une haute spécificité (99% pour le score de Romhilt-Estes de 5 points). Une modification de ces sensibilités et spécificités en fonction de l’âge ou d’autres paramètres (pression artérielle, IMC, race, …) n’a pas été évaluée, malgré l’existence de données intéressantes dans ce domaine. Par exemple l’étude de Crow montre que la mise en relation des chiffres de pression artérielle systolique avec ceux de l’IMC améliorent fortement les valeurs prédictives des critères de voltage ECG (4). Si le patient ne présente pas d’HVG, les critères ECG seront donc rarement positifs (peu de faux positifs). Les critères ECG sont cependant de sensibilité insuffisante pour dépister toutes les personnes avec une HVG (beaucoup de faux négatifs). Les algorithmes de calcul plus récents et plus sophistiqués ne sont dans ce domaine pas plus performants que l’ancien indice de Sokolow-Lyon (1949). Aucun critère ECG n’est cependant suffisamment précis pour montrer ou exclure une HVG chez un patient avec une probabilité satisfaisante. D’autre part, il existe d’intéressantes études qui ont montré la plus-value de ces mesures de voltage à l’ECG. Havranek (5) décrit une corrélation entre les voltages ECG et les décès cardiovasculaires à 5 ans, indépendamment des chiffres de pression artérielle systolique : HR pour les femmes de 1,78 et pour les hommes de 2,34. Sundström (6) observe que des  HVG déterminées sur critères échocardiographiques et sur critères électrocardiographiques sont corrélées, indépendamment l’une de l’autre avec la mortalité, ce qui suggère que les deux examens sont complémentaires dans l’estimation du risque cardiovasculaire. Notons aussi que ces études ont recours à des valeurs seuils pour estimer l’HVG, alors qu’une meilleure corrélation est probable quand les voltages ECG sont considérés comme une variable continue (7).

Pour la pratique

Comparés à l’échocardiographie, les voltages mesurés à l’ECG ne sont pas des arguments probants forts d’HVG. L’ECG reste pourtant recommandé comme examen de dépistage de l’HVG chez des personnes présentant une hypertension artérielle, selon la version revue de la RBP de la SSMG (2). Ce consensus semble acceptable en l’absence d’arguments scientifiques forts pour prouver le contraire et d’analyses coût-efficacité robustes.

Il reste à développer un arbre décisionnel précisant quand une détermination échocardiographique d’une HVG peut apporter une plus-value, par exemple en cas de voltages élevés à l’ECG sans altération de l’onde T.

 

Conclusion

Cette synthèse méthodique montre qu’aucun critère électrocardiographique ne peut être utilisé pour exclure avec une probabilité suffisante une hypertrophie ventriculaire gauche chez des patients présentant une hypertension artérielle primaire.

 

Lien vers l'article original du BMJ: http://www.bmj.com/cgi/reprint/335/7622/711

Références 

  1. European guidelines. Eur J Cardiovasc Prev Rehabil 2007;14:S1-113.
  2. De Cort P, Philips H, Govaerts F, Van Royen P. Recommandation de Bonne Pratique. L’hypertension. SSMG 2004.
  3. Alfakih K, Reid S, Hall A, Sivananthan MU. The assessment of left ventricular hypertrophy in hypertension. J Hypertens 2006;24:1223-30.
  4. Crow RS, Prineas RJ, Rautaharju P, et al. Relation between electrocardiography and echocardiography for left ventricular mass in mild systemic hypertension (results from Treatment of Mild Hypertension Study). Am J Cardiol 1995;75:1233-8.
  5. Havranek EP, Emsermann CD, Froshaug DN, et al. Thresholds in the relationship between mortality and left ventricular hypertrophy defined by electrocardiography. J Electrocardiol 2008;41:342-50.
  6. Sundström J, Lind L, Arnlöv J, et al. Echocardiographic and electrocardiographic diagnoses of left ventricular hypertrophy predict mortality independently of each other in a population of elderly men. Circulation 2001;15:2346-51.
  7. De Cort P. De relatie van conventionele en amulante bloeddrukmeting met ECG-voltages als maat voor linkerkamerhypertrofie. Doctoraatsthesis, Universitaire Pers Leuven, 1998.
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