Revue d'Evidence-Based Medicine



Tiotropium et évolution du VEMs dans la BPCO



Minerva 2009 Volume 8 Numéro 3 Page 26 - 27

Professions de santé


Analyse de
Tashkin DP, Celli B, Senn S, et al; UPLIFT Study Investigators. A 4-year trial of tiotropium in chronic obstructive pulmonary disease. N Engl J Med 2008;359:1543-54.


Question clinique
Le tiotropium modifie-t-il l’évolution du VEMs par rapport à un placebo chez des patients présentant une BPCO en majorité traitée par d’autres médicaments ?


Conclusion
Cette étude qui évalue l’efficacité du tiotropium chez des patients présentant une BPCO modérée à très sévère durant 4 ans, ne montre pas, versus placebo, de bénéfice statistiquement significatif pour l’évolution du VEMs ni pour le nombre de patients ayant au moins une exacerbation. Pour la qualité de vie, le bénéfice observé n’atteint pas le seuil de pertinence clinique.


 

Contexte

La Bronchopneumopathie Chronique Obstructive est actuellement bien définie, avec des critères de diagnostic précis prenant surtout en compte le Volume Expiratoire Maximal par seconde (VEMs). Ce critère est également utilisé pour juger de l’efficacité d’un traitement sur l’évolution de la pathologie : un traitement qui modifie l’évolution du VEMs mesuré par rapport au VEMs à l’âge de 25 ans est dit « disease modifying therapy ». La seule intervention, à ce jour, ayant montré cette propriété est l’arrêt du tabac (1). D’autres traitements utilisés pour la BPCO possèdent-ils une telle propriété, en particulier le tiotropium ?

 

Résumé

Population étudiée

  • 5 993 patients âgés d’au moins 40 ans (moyenne d’âge de 65 ± 8 ans), antécédent d’au moins 10 paquets-années, avec VEMs après bronchodilatation ≤ 70% (moyenne de 48% de la valeur prédite) et VEMs/CVF ≤ 70% ; 75% d’hommes ; 30% de fumeurs actifs ; grades de BPCO : modéré (46%), sévère (44%), très sévère (9%)
  • critères d’exclusion : antécédent d’asthme, exacerbation de BPCO ou infection des voies respiratoires dans les 4 dernières semaines, antécédent de résection pulmonaire, oxygénothérapie plus de 12 heures par jour, comorbidité significative.

Protocole d’étude

  • étude randomisée, en double aveugle, contrôlée, multicentrique (490), multicontinentale
  • 2 987 patients mis sous tiotropium 18μg administré par HandiHaler versus 3 006 sous placebo de même présentation
  • autres traitements respiratoires autorisés sauf les anticholinergiques inhalés
  • encouragement à l’arrêt tabagique
  • analyses en sous-groupes et de sensibilité prévues dans le protocole
  • durée d’étude de 4 ans.

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : rapport de déclin annuel du VEMs moyen avant et après bronchodilatation à partir de 30 jours après le début d’étude 
  • spirométrie selon les critères de l’American Thoracic Society guidelines avec assurance de qualité pour le matériel
  • critères secondaires : déclin de la capacité vitale forcée (CVF), VEMs, modification du score au St. George’s Respiratory Questionnaire (SGRQ), exacerbations de BPCO, décès.

Résultats

  • moyenne de 1 436 jours de traitement, 60% des patients traités durant au moins 45 mois
  • sorties d’étude : 37% dans le groupe tiotropium, 46% dans le groupe placebo
  • critère primaire : pas de différence significative entre les groupes
  • SGRQ : score statistiquement meilleur (diminution de score) dès 6 mois de traitement avec le tiotropium ; différence moyenne des scores : 2,7 (IC à 95% de 2,0 à 3,3 ; p<0,001) ; pas de différence pour le déclin après 6 mois : 0,04 ± 0,13 (IC à 95% de -0,2 à 0,3).
  • exacerbations : délai significativement prolongé sous tiotropium pour la première exacerbation (16,7 mois versus 12,5) et la première hospitalisation pour exacerbation ; moins d’exacerbations (réduction de 14% ; p<0,001)
  • effets indésirables cardiovasculaires sévères : pas de différence significative.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’administration de tiotropium à des patients atteints de BPCO améliore la fonction pulmonaire, la qualité de vie et diminue les exacerbations sur une durée de 4 ans, sans réduire significativement le déclin du VEMs.

 

Financement

Firmes Boehringer Ingelheim et Pfizer.

Conflits d’intérêt

Les 4 auteurs (sur 7) non employés par les sponsors déclarent avoir reçu des honoraires de nombreuses firmes pharmaceutiques à titres divers ; un comité constitué pour moitié d’employés des 2 firmes sponsors a élaboré le protocole, le suivi d’étude, l’approbation des analyses statistiques, la synthèse et l’interprétation des résultats, l’écriture du manuscrit, la décision de publier.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette RCT est élaborée sur un protocole solide et pour une durée correcte de 4 ans. Lors du calcul de l’échantillon nécessaire pour avoir une puissance de 90% au moins, les auteurs avaient tenu compte de 35% de sorties d’étude possibles. La proportion de sorties d’étude est cependant plus élevée et plus forte dans le groupe placebo, ce qui rend l’interprétation des résultats plus délicate. Un biais d’attrition est donc possible, sélectionnant ainsi des personnes moins sévèrement atteintes au fil de l’étude (davantage dans le groupe placebo ?). Le choix du nombre d’exacerbations et non du nombre de patients avec au moins une exacerbation comme critère de jugement est trompeur. Dans le premier cas, une différence significative est observée (ce qui reste une hypothèse puisqu’il s’agit d’un critère secondaire). Dans le second, il n’y a pas de différence. Le choix du critère primaire, le VEMs, pour évaluer l’évolution de la BPCO est remis en cause par certains experts (2), ce critère ne rendant pas compte de l’hétérogénéité de la BPCO. Le COPD Prognostic Index, par exemple, propose de tenir compte de plusieurs éléments en dehors du VEMs pour évaluer le pronostic en termes de mortalité, hospitalisations et nombre d’exacerbations (3).

Interprétation des résultats

Les patients inclus dans cette étude sont majoritairement polymédiqués. En cours d’étude, les chiffres sont : 74% corticostéroïdes inhalés, 72% LABA, 46% LABA + corticostéroïdes. La publication ne mentionne pas si cette consommation est identique dans les 2 groupes. Elle est plus importante que lors de la randomisation, moment auquel le recours était semblable dans les deux groupes. Le déclin du VEMs observé dans cette étude est moindre que prévu. Les auteurs font différentes hypothèses d’explication : cotraitements autorisés, traitement agressif des exacerbations, moins de fumeurs actifs que dans d’autres études, biais d’attrition avec sélection de sujets moins atteints.

Dans leur conclusion, les auteurs soulignent un bénéfice pour la fonction pulmonaire, la qualité de vie et les exacerbations. Il n’y a pas de différence significative versus placebo pour l’évolution du VEMs. Pour la qualité de vie, la différence moyenne observée au score St. George’s Respiratory Questionnaire n’atteint pas le seuil de pertinence clinique fixé par les auteurs dans leur protocole initial, même si le nombre de patients s’améliorant de plus de 4 points est plus important sous tiotropium. Pour les exacerbations, un bénéfice est observé pour le nombre total d’exacerbations mais non pour le nombre de personnes avec au moins une exacerbation ou pour le nombre de personnes hospitalisées pour exacerbation : un bénéfice semble donc possible pour certaines personnes dans le nombre d’exacerbations, mais non pour l’ensemble des personnes atteintes de BPCO.

Autres études

La dernière méta-analyse publiée (4), précédemment analysée dans Minerva (5), montrait une efficacité statistiquement significative du tiotropium versus placebo (RR 0,84 ; IC à 95% de 0,78 à 0,90) et versus ipratropium (RR 0,77 ; IC à 95 % de 0,62 à 0,95), mais non versus LABA, versus tiotropium + LABA, versus tiotropium + LABA + corticostéroïdes, en termes de réduction du nombre de patients avec au moins une exacerbation. En termes de mortalité, aucune différence n’est observée pour les mêmes comparaisons.

Une méta-analyse plus ancienne (6) montrait un bénéfice du tiotropium versus placebo et versus ipratropium mais non versus LABA, en termes de qualité de vie (St. George’s Respiratory Questionnaire, Transitional Dyspnoea Index).

La littérature ne montre pas de différence de bénéfice entre tiotropium, ß2-mimétiques à longue durée d’action ou corticostéroïdes inhalés pour la BPCO (4). Ces trois classes de médicaments peuvent, dans cette indication, être utilisées séparément. L’association de ces médicaments montre une plus-value faible ou inexistante comparée à une monothérapie (4).

Une publication plus récente (7), également analysée dans Minerva (8), ne montrait pas de différence entre un traitement associant un ß2-mimétique à longue durée d’action (salmétérol) à un corticostéroïde inhalé (fluticasone) versus un traitement par tiotropium chez des patients présentant une BPCO sévère ou très sévère.


Une autre analyse concernant les effets indésirables du tiotropium paraîtra bientôt dans Minerva.

Pour la pratique

Les guidelines basés sur les données les plus récentes de la littérature (4), recommandent aux cliniciens de prescrire une des monothérapies suivantes chez des patients symptomatiques présentant une BPCO stable en cas de VEMS < 60% de la valeur prédite (stades sévères et très sévères) : ß2-mimétique inhalé à longue durée d’action, anticholinergique inhalé à longue durée d’action ou corticostéroïde inhalé.

 

Conclusion

Cette étude qui évalue l’efficacité du tiotropium chez des patients présentant une BPCO modérée à très sévère durant 4 ans, ne montre pas, versus placebo, de bénéfice statistiquement significatif pour l’évolution du VEMs ni pour le nombre de patients ayant au moins une exacerbation. Pour la qualité de vie, le bénéfice observé n’atteint pas le seuil de pertinence clinique.

 

Références

  1. Anthonisen NR, Connett JE, Kiley JP, et al. Effects of smoking intervention and the use of an inhaled anticholinergic bronchodilator on the rate of decline of FEV1. The Lung Health Study. JAMA 1994;272:1497-505.
  2. Reilly JJ. COPD and declining FEV1 - time to divide and conquer? N Engl J Med 2008;359:1616-8.
  3. Briggs A, Spencer M, Wang H, et al. Development and validation of a prognostic index for health outcomes in chronic obstructive pulmonary disease. Arch Intern Med 2008;168:71-9.
    Wilt TJ, Niewoehner D, MacDonald R, Kane RL. Management of stable chronic obstructive pulmonary disease: a systematic review for a clinical practice guideline. Ann Intern Med 2007;147:639-53.
  4. Chevalier P. Médicaments inhalés pour le traitement de la BPCO stable. MinervaF 2008;7(3):34-5.
  5. Barr RG, Bourbeau J, Camargo CA, Ram FS. Tiotropium for stable chronic 50 obstructive pulmonary disease: A meta-analysis. Thorax 2006;61:854-62.
  6. Wedzicha JA, Calverley PM, Seemungal TA; INSPIRE Investigators. The prevention of chronic obstructive pulmonary disease exacerbations by salmeterol/fluticasone propionate or tiotropium bromide. Am J Respir Crit Care Med 2008;177:19-26.
  7. Chevalier P. BPCO : LABA + corticostéroïde inhalé ou tiotropium ? MinervaF 2008;7(3):36-7.

 

Nom de marque

tiotropium: Spiriva®

Tiotropium et évolution du VEMs dans la BPCO



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