Revue d'Evidence-Based Medicine



Intérêt de la tibolone chez des femmes ménopausées âgées



Minerva 2009 Volume 8 Numéro 1 Page 2 - 3

Professions de santé


Analyse de
Cummings SR, Ettinger B, Delmas PD, et al. The effects of tibolone in older postmenopausal women. N Engl J Med 2008;359:697-708.


Question clinique
La tibolone réduit-elle le risque de fracture vertébrale et non vertébrale chez des femmes ménopausées âgées de plus de 60 ans présentant une ostéoporose ?


Conclusion
Cette RCT montre un effet favorable de la tibolone en termes de prévention de fractures vertébrales chez des femmes ménopausées âgées de plus de 60 ans et présentant une ostéoporose mais avec un risque accru de survenue d’un AVC. L’utilisation de la tibolone n’est donc pas indiquée.


 

Résumé

Contexte

La tibolone exerce, du fait de ces trois métabolites, un effet complexe à la fois estrogénique, prostagénique et androgénique. Elle prévient la perte osseuse chez des femmes ménopausées présentant une ostéoporose (1) mais son effet sur la survenue d’événements cliniques (fractures, cancer du sein, pathologie cardiovasculaire) restait incertain.

Population étudiée

  • critères d’inclusion : femmes âgées de 60 à 85 ans, avec un T-score de Densité Minérale Osseuse (DMO) ≤ -2,5 ET (à hauteur de la hanche ou des vertèbres) ou un T-score  ≤ -2 ET avec une fracture vertébrale radiologiquement documentée
  • critères d’exclusion : plus de 2 fractures vertébrales, T-score < -4 ET, fracture vertébrale clinique dans l’année précédente, cancer depuis moins de 5 ans, anamnèse de thromboembolie, suspicion de cancer du sein à la mammographie, estrogénothérapie dans les 3 derniers mois, traitement par tamoxifène ou raloxifène en cours, prise de bisphosphonates pendant au moins un mois dans l’année écoulée, IMC > 34 kg/m², épaisseur endométriale > 4 mm
  • caractéristiques générales : âge moyen de 68 ans, 40% de femmes âgées d’au moins 70 ans, 26% avec antécédent de fracture vertébrale.

Protocole d’étude

  • étude randomisée, en double aveugle, contrôlée, multicentrique
  • traitement : soit tibolone 1,25 mg par jour (n=2 249) soit placebo (n=2 257) avec administration de calcium et de vitamine D (2 à 4 comprimés par jour à 315 mg de calcium et 200 UI de vitamine D)
  • suivi de 3 ans pour les fractures et de 5 ans pour les événements cardiovasculaires, les cancers du sein et de l’endomètre
  • analyse en intention de traiter.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : fracture vertébrale radiologique (perte de hauteur > 20% et/ou de 4 mm)
  • critères secondaires :
    • fracture non vertébrale certifiée par un radiologue ou un orthopédiste (exclusion des fractures pathologiques, consécutives à un traumatisme sévère ou non corrélées à l’ostéoporose (doigts, orteils, crâniofaciale)
    • densitométrie osseuse
    • mammographie annuelle ou au moins tous les 3 ans
    • échographie transvaginale mesurant l’épaisseur de l’endomètre
    • suivi neurologique et cardiologique
    • évolution du poids et des tests hépatiques.

Résultats

  • arrêt prématuré de l’étude après un suivi moyen de 34 mois ; 92% des patientes ayant pris au moins 80% d’un médicament évalué
  • motivation de cet arrêt : augmentation significative du nombre d’AVC sous tibolone : AAR de 2,3/1 000 années-patients ; IC à 95% de 0,4 à 4,2
  • critère primaire : fractures vertébrales RAR 8,6/1 000 années-patients ; IC à 95% de 4,4 à 12,9
  • critères secondaires :
    • fractures non vertébrales RAR 6,9/1 000 années-personnes ; IC à 95% de 1,6 à 12,2 ; pas de réduction des fractures de hanche
    • cancers : du sein RAR 1,9/1 000 années-patients (IC à 95% de 0,5 à 3,4) ; du colon RAR 1,3/1 000 années-patients (IC à 95% de 0,1 à 2,6) ; cancer de l’endomètre : 4 cas dans le groupe tibolone, 0 dans le groupe placebo
    • ischémie coronarienne ou thromboembolie veineuse : pas de différence.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que la tibolone diminue le risque de fracture et de cancer du sein, probablement aussi du cancer du colon, mais augmente le risque de survenue d’un AVC, chez des femmes ménopausées âgées.

Financement

Organon, qui a collecté les données et analysé les résultats.

Conflits d’intérêt

La plupart des auteurs ont reçu des honoraires de différentes firmes dont Organon.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette importante recherche multicentrique est bien élaborée. Elle représente la première étude évaluant les fractures comme critère primaire lors d’un traitement par tibolone. Son arrêt prématuré est motivé par la survenue d’effets indésirables graves. Au moment où le comité de sécurité observait une incidence accrue d’AVC dans le groupe tibolone, une réduction significative des fractures vertébrales et non vertébrales était enregistrée. Une incidence accrue d’AVC sous tibolone était déjà connue : en 2005, une augmentation absolue de risque de 2,6 AVC/1 000 années-patients (p=0,01) était signalée après 2,4 ans de traitement en moyenne (2). Nous ne connaîtrons cependant jamais l’évolution à plus long terme de tels événements sous tibolone, ce qui ne permet également pas de conclusion pour des événements plus rares tels que les thromboembolies et les cancers de l’endomètre.

Interprétation des résultats

Les femmes incluses dans cette étude présentent un profil particulier : 40% sont âgées d’au moins 70 ans. Les résultats de cette étude sont donc difficilement extrapolables dans une population plus jeune de femmes ménopausées. Un bénéfice en termes de fractures prévenues n’est significatif que dans le groupe ayant déjà fait une fracture (vertébrale ou non). Dans le groupe sous tibolone, les chutes sont moins fréquentes de 25% : est-ce là l’explication (partielle) de la réduction des fractures ? La réduction de risque observée pour ce critère est comparable avec les résultats obtenus avec les bisphosphonates, les estrogènes et le raloxifène (3).

La réduction de risque observée pour l’incidence de cancers du sein n’est pas concordante avec de précédentes observations. Dans cette étude-ci, 19 cas surviennent dans le groupe placebo pour 6 dans le groupe tibolone. La façon dont les auteurs mentionnent ce résultat dans leur résumé illustre bien comment il est possible de faire une présentation avantageuse : pour l’incidence du cancer du sein, parler d’une réduction relative de risque de 68%, alors que la RAR est de 1,9 cas pour 1 000 années-patients en réalité. Cette réduction de risque pour le cancer du sein n’est pas concordante avec d’autres données. Dans l’étude LIBERATE (4), par exemple, la tibolone est évaluée chez des femmes en post ménopause, avec anamnèse de cancer du sein. Cette étude fut arrêtée prématurément en raison de nouveaux cas plus fréquents sous tibolone. Dans l’étude d’observation Million Women Study (5,6), une augmentation du risque de cancer du sein mais aussi de l’endomètre est observée sous tibolone.

Le doublement de risque de survenue d’un AVC est surtout observé chez les femmes âgées de plus de 70 ans et durant la première année d’étude. Nous n’avons pas de réelle explication de ce phénomène. Le risque absolu augmente avec l’âge, ce qui augmente la chance d’une différence de risque plus importante. L’emploi de tibolone chez des femmes âgées de moins de 60 ans doit cependant rester prudent : si un accroissement du risque de survenue d’un AVC n’est pas observé entre 50 et 60 ans, aucun suivi à long terme n’est disponible (1). Soulignons aussi que la dose de tibolone utilisée dans cette étude est la moitié de celle qui est commercialisée.

D’autres effets indésirables, tels les saignements vaginaux, les pertes et infections vaginales, la mastodynie, les douleurs du petit bassin, une élévation des transaminases, sont plus fréquents dans le groupe tibolone. C’est le motif d’arrêt prématuré d’étude pour de nombreuses femmes prenant la tibolone (n=422).

Pour la pratique

L’estimation du NST pour éviter une fracture vertébrale et du NNN pour provoquer un AVC montre que les intervalles de confiance pour ces deux valeurs ne sont pas fort éloignées l’une de l’autre : NST 116 (IC à 95% de 77 à 227) personnes/an, NNN 435 (IC à 95% de 238 à 2 500). Pour les femmes ménopausées plus âgées, la tibolone n’est donc pas recommandée. Pour les femmes ménopausées plus jeunes, les preuves d’un intérêt sont insuffisantes. La tibolone est commercialisée avec l’indication traitement des plaintes liées à la ménopause (âge de 50 à 60 ans), mais elle n’est pas supérieure dans ce domaine à une substitution hormonale habituelle (à n’utiliser que sur une courte période). Nous ne disposons donc pas de preuves suffisantes d’efficacité et de sécurité de la tibolone dans les différentes tranches d’âge d’une administration possible.

 

Conclusion

Cette RCT montre un effet favorable de la tibolone en termes de prévention de fractures vertébrales chez des femmes ménopausées âgées de plus de 60 ans et présentant une ostéoporose mais avec un risque accru de survenue d’un AVC. L’utilisation de la tibolone n’est donc pas indiquée.

 

Références

  1. Modelska K, Cummings S. Tibolone for postmenopausal women: systematic review of randomized trials. J Clin Endocrinol Metab 2002;87:16-23.
  2. Tibolone: accidents cérébrovasculaires. Rev Prescr 2006;26:25.
  3. Michiels B. Un premier choix parmi les médicaments en prévention des fractures ostéoporotiques ? MinervaF 2008;7(7):98-9.
  4. Tibolone study in breast cancer patients to close ahead of schedule. Pharma Industry News Volume, May 21.
  5. Beral V; Million Women Study Collaborators. Breast cancer and hormone-replacement therapy in the Million Women Study. Lancet 2003;362:419-27.
  6. Beral V, Bull D, Reeves G; Million Women Study Collaborators. Endometrial cancer and hormone-replacement therapy in the Million Women Study. Lancet 2005;365:1543-51.
Intérêt de la tibolone chez des femmes ménopausées âgées

Auteurs

Michiels B.
Vakgroep Eerstelijns- en Interdisciplinaire Zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
COI :

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