Revue d'Evidence-Based Medicine



Naftidrofuryl pour la claudication intermittente



Minerva 2008 Volume 7 Numéro 9 Page 140 - 141

Professions de santé


Analyse de
de Backer TL, Vander Stichele R, Lehert P, Van Bortel L. Naftidrofuryl for intermittent claudication. Cochrane Database Syst Rev 2008, Issue 2.


Question clinique
Quelle est l’efficacité et la sécurité du naftidrofuryl oral chez des patients atteints de claudication intermittente en termes de distance de marche sans douleur ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique rappelle l’importance de documenter une artérite périphérique. Elle montre un bénéfice de l’administration de naftidrofuryl chez des patients présentant une claudication intermittente sur le critère distance de marche sans douleur sur tapis roulant. Aucun bénéfice n’est évalué spécifiquement pour des personnes âgées de plus de 70 ans (souvent exclues des études) ni pour les événements cardiovasculaires, ni pour la qualité de vie. La prise en charge des facteurs de risque cardiovasculaire reste essentielle. Pour le traitement de l’artérite périphérique spécifiquement, la promotion de l’exercice physique et de l’arrêt du tabagisme est très importante.


 

Résumé

Contexte

Si une claudication intermittente est peu fréquente avant l’âge de 49 ans (<1%), la fréquence augmente avec l’âge (environ 18% après 70 ans, 24% pour les personnes âgées d’au moins 85 ans). Parmi les traitements proposés pour diminuer ce symptôme, figurent les médicaments dits vasodilatateurs (naftidrofuryl, pentoxyfylline, buflomédil). Plusieurs méta-analyses concluaient à une efficacité modeste de ces médicaments dans cette indication. La dernière synthèse narrative publiée (1) mentionnait une efficacité cliniquement pertinente du naftidrofuryl, médicament de cette classe ayant bénéficié du plus grand nombre d’études de bonne qualité.

 

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyse

Sources consultées

  • Cochrane Peripheral Vascular Diseases Group database et CENTRAL, MEDLINE, EMBASE, International Pharmaceutical Abstracts, Science Citation Index (jusqu’en décembre 2007) 
  • références et auteurs des articles identifiés.

Etudes sélectionnées

  • RCTs avec accès aux données individuelles
  • évaluant l’efficacité d’une dose de 3 x 200 mg de naftidrofuryl oral versus placebo
  • exclusion : données sur les caractéristiques individuelles insuffisantes, discordance entre les données de consultation et les données informatisées ou entre les données originales et la publication
  • 7 études retenues (sur 11 présélectionnées) : 1 sur 12 mois, 4 sur 6 mois, 2 sur 3 mois.

 

Population étudiée

  • 1 266 patients (142 à 235 patients par étude)
  • présentant une claudication intermittente (stade II de la classification de Fontaine)
  • caractéristiques : 62,8 ans d’âge moyen, 18% de femmes, IMC moyen 24,78 (ET 4,49) kg/m², PAS moyenne 148,86 (ET 21,95) mmHg, index cheville-poignet 0,64 (ET 0,17), durée moyenne de la pathologie 3,45 (ET 3,44) ans, 23,4% obésité (IMC ≥ 30 kg/m²), 48% tabagisme actif, 32,7% hypertendus, 12,6% angor, 13,4% diabète de type 2, 38,7% avec hyperlipidémie, 43,6% sédentaires (aucun exercice physique).

Mesure des résultats

  • critère de jugement de l’efficacité : distance de marche sans douleur dans le mollet, en mètres, durant un exercice standardisé (sur tapis roulant sauf dans 1 étude)
  • mesure utilisée : amélioration moyenne relative (AR) de la distance finale par rapport à la distance initiale ; une amélioration est définie comme une réponse au traitement (amélioration de la distance de marche) d’au moins 50%
  • critères secondaires : distance de marche maximale, effets indésirables
  • sécurité : différence pour la moyenne des effets indésirables rapportés dans les 2 groupes
  • analyse en intention de traiter avec LOCF sauf si sortie d’étude liée à l’aggravation de l’artériopathie
  • analyse multi niveau (ensemble des résultats considérés comme une étude) et en modèle d’effets aléatoires (résultats agrégés par étude).

 

Résultats

  • critère primaire : AR de 1,60 pour le naftidrofuryl versus AR de 1,21 pour le placebo ; ratio entre les deux valeurs de 1,37 (IC à 95% de 1,32 à 1,51 ; p<0,001)
  • répondeurs : différence absolue versus placebo de 22,3% (IC à 95% de 17,1 à 27,6%) ; NST 4,5 (IC à 95% de 3,6 à 5,8).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’un traitement par naftidrofuryl chez des patients présentant une claudication intermittente possède une efficacité statistiquement et cliniquement significative sur la distance de marche dans les 6 mois après initiation du traitement.

Financement 

Chief Scientist Office, Health Department, the Scottish Executive UK.

Conflits d’intérêt

Aucun n’est déclaré sauf pour PL, consultant statisticien pour la firme (Merck) qui commercialise le naftidrofuryl.

 

Discussion

Claudication intermittente et artérite périphérique

Si les symptômes de claudication intermittente sont bien définis (douleur, crampe ou sensation de fatigue dans les muscles de la jambe atteinte, survenant à l’exercice et disparaissant au repos), aucun type de douleur liée à l’effort n’est suffisamment sensible ou spécifique pour confirmer ou exclure une artérite périphérique. De nombreux patients avec artérite périphérique ne sont pas diagnostiqués en raison de l’absence de plaintes de claudication « classiques » (2).

 

Considérations sur la méthodologie

Cette méta-analyse est effectuée sur données individuelles, approche qui permet de corriger l’analyse par protocole pratiquée dans certaines études originales pour en refaire une analyse en intention de traiter et d’analyser ainsi l’hétérogénéité plutôt que d’en faire une limite. Les auteurs ont assuré une recherche de bonne qualité : absence de restriction de langue, recherche d’un biais de publication pour laquelle un funnel plot est peu pertinent (nombre faible d’études) mais aucune autre source n’indique un biais de publication possible. La validation méthodologique des études s’est basée sur les critères de Jadad mais aussi sur une série de critères supplémentaires (30 participants minimum, durée d’étude ≥ 3 mois). Les auteurs parlent cependant d’une efficacité sur 6 mois dans leur conclusion. Les auteurs ont également recours à des techniques appropriées d’imputation des données manquantes. Ils utilisent une moyenne géométrique plutôt qu’arithmétique pour le critère primaire, cette technique donnant un reflet plus correct de la tendance centrale.

Analyse des résultats

Les résultats de cette méta-analyse ne concernent donc pas l’artérite périphérique mais bien le symptôme claudication intermittente. L’amélioration observée par les auteurs, en faveur du naftidrofuryl, est indépendante de la valeur initiale. Le seuil de réponse à une amélioration était fixé à 50% en référence à une amélioration de 50% pour une valeur initiale de 200 mètres (moyenne des valeurs initiales), valeur représentant un progrès significatif (100 m) pour certains auteurs (3) au niveau du maintien des activités essentielles de la vie courante. Une amélioration de 50% pour des personnes ayant une distance de marche initiale plus basse n’est cependant pas nécessairement pertinente. D’autres auteurs ont aussi observé que l’altération de la qualité de vie chez les patients claudicants était faiblement corrélée avec la réduction du périmètre de marche mesurée par le test du tapis roulant. Ils insistent sur la nécessité d’évaluer la qualité de vie aussi bien que la distance de marche sans douleur (4). L’extrapolation des résultats pour des personnes plus âgées pose question : la moyenne d’âge des personnes incluses dans les études est de 62,8 ans ; l’incidence de claudication intermittente est beaucoup moins importante à cet âge qu’après 70 et certainement 80 ans (personnes respectivement souvent ou, à une exception près, totalement exclues des études). Les facteurs de risque initiaux, particulièrement le tabagisme et la vie sédentaire sont peu pris en compte dans les études. La modification de ces 2 facteurs de risque peut aussi avoir contribué (effet cumulatif ou synergique ?) aux résultats. Soulignons une amélioration relative de 21% dans le groupe placebo, éventuellement à interpréter dans le cadre de co-interventions. Les auteurs nous promettent d’autres analyses des données pour évaluer l’impact de covariables sur la distance de marche initiale.

Les effets indésirables sont peu décrits : symptômes gastriques mineurs (oesophagite, diarrhée par exemple). D’autres effets indésirables du naftidrofuryl sont pourtant signalés : éruption cutanée occasionnelle, hépatite ou insuffisance hépatique rares, convulsions et trouble de la conduction cardiaque en cas de surdosage (5).

Mise en perspective pour la pratique

Comme déjà conclu dans Minerva, il est primordial en cas d’artérite périphérique de prendre en charge les facteurs de risque cardiovasculaire tels que le tabagisme, l’hypertension, le diabète et les dyslipidémies (2). Deux interventions non médicamenteuses ont prouvé leur utilité chez des patients présentant une artériopathie périphérique : l’exercice physique et l’arrêt du tabagisme (6). Un traitement par statine pourrait avoir un léger bénéfice en améliorant un peu la durée de marche sans douleur, mais la pertinence clinique de ce bénéfice est douteuse (7). L’association de warfarine à l’aspirine n’est pas bénéfique (8). Par contre, le bénéfice cardiovasculaire global chez des patients présentant (entre autres) une artériopathie périphérique mais essentiellement un risque cardiovasculaire accru, est bien montré, pour les statines ou pour les antiagrégants plaquettaires : aspirine principalement, peut-être le clopidogrel (biais méthodologiques dans l’étude CAPRIE (9)). Par rapport à toutes ces données, un bénéfice symptomatique du naftidrofuryl uniquement sur une artérite périphérique provoquant une claudication intermittente semble de pertinence clinique bien faible, sans preuve d’un bénéfice en termes de qualité de vie.

 

Conclusion

Cette synthèse méthodique rappelle l’importance de documenter une artérite périphérique. Elle montre un bénéfice de l’administration de naftidrofuryl chez des patients présentant une claudication intermittente sur le critère distance de marche sans douleur sur tapis roulant. Aucun bénéfice n’est évalué spécifiquement pour des personnes âgées de plus de 70 ans (souvent exclues des études) ni pour les événements cardiovasculaires, ni pour la qualité de vie. La prise en charge des facteurs de risque cardiovasculaire reste essentielle. Pour le traitement de l’artérite périphérique spécifiquement, la promotion de l’exercice physique et de l’arrêt du tabagisme est très importante.

 

Références

  1. Goldsmith DR, Wellington K. Naftidrofuryl: a review of its use in the treatment of intermittent claudication. Drugs Aging 2005;22:967-77.
  2. Bruyninckx R. Plaintes de claudication : facteur prédictif d’artérite périphérique ? MinervaF 2007;6(1):6-8.
  3. D'Hooge D, Lehert P, Clement DL. Naftidrofuryl in quality of life (NIQOL). A Belgian Study. Int Ang 2001;20:288-94.
  4. Boccalon H, Lehert P, Comte S. Claudication intermittente et qualité de vie. Validation des qualités psychométriques de la version française du questionnaire CLAU-S. J Mal Vasc 2000;25:98-107.
  5. Martindale. The Complete Drug Reference. 35th edition. London, Pharmaceutical Press, 2007.
  6. Hankey GJ, Norman PE, Eikelboom JW. Medical treatment of peripheral arterial disease. JAMA 2006;295:547-53.
  7. Lemiengre M. Atorvastatine pour la claudication intermittente. MinervaF 2004;3(10):167-9.
  8. Chevalier P. Aspirine ou aspirine + anticoagulant en cas d’artérite périphérique ? MinervaF 2008;7(2):22-3.
  9. Chevalier P. Pas d’intérêt de rajouter du clopidogrel à l’aspirine en prévention cardiovasculaire? MinervaF 2006;5(6):88-91.

 

Nom de marque

Naftidrofuryl : Praxilene®

Pentoxyfylline : Torental®

Buflomédil : Loftyl®

Naftidrofuryl pour la claudication intermittente



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