Revue d'Evidence-Based Medicine



Risque cardiovasculaire du célécoxib



Minerva 2008 Volume 7 Numéro 9 Page 136 - 137

Professions de santé


Analyse de
Solomon SD, Wittes J, Finn PV, et al. Cardiovascular risk of celecoxib in 6 randomized placebo-controlled trials: the cross trial safety analysis. Circulation 2008;117:2104-13.


Question clinique
Quel est le risque cardiovasculaire lié à la prise de célécoxib ? Varie-t-il en fonction de la dose et du risque cardiovasculaire initial du patient ?


Conclusion
Cette méta-analyse, basée sur des données individuelles, montre une augmentation de risque de survenue d’un incident cardiovasculaire chez des patients prenant du célécoxib au long cours (au moins 3 ans). Ce risque est nettement plus important chez des personnes à risque cardiovasculaire initialement élevé (diabète, antécédent cardiovasculaire, plus de 75 ans et un autre facteur de risque par exemple). Elle n’apporte pas d’élément concernant la sécurité cardiovasculaire du célécoxib à des doses inférieures à 400 mg par jour. A la lumière de ces observations qui confirment les précédentes, le praticien pèsera soigneusement le bénéfice potentiel d’un traitement par célécoxib par rapport aux risques encourus par son patient.


 

Résumé

Contexte

De nombreuses études d’observation ou d’intervention (RCTs) ont montré un risque accru de survenue d’un événement cardiovasculaire avec les AINS inhibiteurs sélectifs de la cyclo-oxygénase 2 (COXIBS). Les RCTs versus placebo manquaient de puissance pour établir une éventuelle relation entre la dose de célécoxib utilisée, le status cardiovasculaire prétraitement et un éventuel risque cardiovasculaire accru avec le célécoxib. Une méta-analyse a été commandée par le National Institutes of Health (E.-U.) suite aux données des études APC et PreSAP, arrêtées prématurément en raison de l’observation d’un risque cardiovasculaire accru sous célécoxib. Un tel risque était cependant nié par certains auteurs (1) et par certaines promotions de ce médicament.

 

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

 

Sources consultées

  • littérature publiée (bases de données consultées non renseignées)
  • études non publiées : National Institutes of Health E.-U., firme Pfizer commercialisant le célécoxib
  • recueil des données individuelles des patients des études.

 

Etudes sélectionnées

  • RCTs en double aveugle évaluant le célécoxib versus placebo, avec un suivi d’au moins 3 ans pour les patients.

 

Population étudiée

  • en prévention de la récurrence d’un adénome colorectal, de récidive de cancer du sein, de maladie d’Alzheimer
  • âge moyen de 59 à 75 ans ; 0 à 68% d’hommes
  • risque cardiovasculaire initial évalué :
    • risque bas : absence de facteur de risque
    • risque modéré : présence d’un des éléments suivants : âge > 75 ans, hypertension ou traitement antihypertenseur, hyperlipidémie ou traitement hypolipidémiant, tabagisme actif, utilisation d’aspirine à faible dose
    • risque élevé : diabète, antécédent d’événement cardiovasculaire, présence de ≥ 2 des éléments définissant le risque modéré
  • risque cardiovasculaire initial élevé chez 27 à 100% des participants
  • 7 950 patients ; 16 070 années-patients au total.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire composite : décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral, insuffisance cardiaque, événement thromboembolique.

 

Résultats

  • critère primaire : célécoxib versus placebo : HR 1,6 (IC à 95% de 1,1 à 2,3)
  • suivant la dose de célécoxib :
    • 400 mg QD versus placebo : HR 1,1 (IC à 95% de 0,6 à 2,0)
    • 200 mg BID versus placebo : HR 1,8 (IC à 95% de 1,1 à 3,1)
    • 400 mg BID versus placebo : HR 3,1 (IC à 95% de 1,5 à 6,1)
  • risque (disproportionnellement) accru en cas de risque initial plus élevé : doublé lors d’un passage de risque initial bas à modéré et aussi de modéré à élevé (interaction significative, p= 0,034).

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent à la présence de preuves d’un risque cardiovasculaire différent en fonction de la dose de célécoxib et du risque cardiovasculaire initial. Ils déclarent que leurs observations peuvent aider les décisions thérapeutiques chez les patients pouvant tirer un bénéfice de la prise de COXIBS.

 

Financement 

National Cancer Institute (E.-U.) ; études originales financées par des institutions nationales, par la firme Pfizer ou par les deux.

 

Conflits d’intérêt 

Trois auteurs mentionnent avoir reçu des fonds de recherche de la firme Pfizer.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Le point fort de cette étude est l’obtention des données individuelles pour toutes les études ; ce procédé permet aux auteurs de réaliser une adjudication des événements en complément des protocoles d’étude et surtout de déterminer le risque cardiovasculaire initial de chaque patient. L’hétérogénéité des populations incluses dans les études (étude ADAPT incluant des patients d’une moyenne d’âge plus élevée (75 ans), étude CDME n’incluant que des diabétiques alors que leur proportion est < 10% dans les autres études) est ainsi gommée. Reprendre l’utilisation d’un médicament (aspirine, antihypertenseur, hypolipidémiant) comme critère pour définir un risque cardiovasculaire nous semble, par contre, fort arbitraire. En l’absence de quelques données (tabagisme, hypolipidémiants) pour les patients de certaines études, les auteurs ont soit considéré l’absence du risque pour tous les patients (tabagisme) soit fixé des seuils pathologiques (hypercholestérolémies). L’estimation du risque cardiovasculaire initial manque donc de précision en l’absence de toutes les données nécessaires pour toutes les études. Le nombre d’événements dans le groupe à bas risque est faible ce qui rend l’interprétation difficile. Les auteurs disent ne pouvoir exclure un hasard accru de 50% avec une dose de 400 mg 1x/j et un hasard presque triplé en cas de dose de 2 x 400 mg par jour.

 

Interprétation des résultats

Les auteurs montrent, versus placebo, une incidence s’accroissant avec 1 x 400 mg par jour (= tendance statistique, non significative), davantage avec 2 x 200 mg par jour (significatif) et encore plus avec 2 x 400 mg par jour (significatif). Dans leur discussion, les auteurs insistent sur une variabilité de réponse aux COXIBS, tant au niveau efficacité que sécurité, entre autres pour des raisons génétiques (CYP2C9 notamment). Les conséquences de cette variabilité sur le risque cardiovasculaire ne sont pas connues. Les analyses effectuées dans cette synthèse montrent que les patients présentant le risque initial le plus élevé présentent, comme attendu, le risque absolu d’événement le plus élevé, mais aussi le risque relatif d’événement cardiovasculaire sous célécoxib le plus élevé, particulièrement en cas de forte dose de célécoxib. L’inclusion du critère insuffisance cardiaque au sein du critère primaire composite pourrait poser question ; son exclusion ne modifie cependant pas les résultats observés. Les doses utilisées dans ces études sont les doses maximales reprises dans la notice scientifique pour l’arthrose et l’arthrite rhumatoïde. Il faut également souligner que, selon les études, 14 à 62% des sujets prenaient de l’aspirine à faible dose (≤ 162 mg/jour). Au vu de l’augmentation relative de risque sous célécoxib dans ce groupe de patients, il est tentant d’en conclure que l’effet protecteur de l’aspirine disparaît sous célécoxib aux doses étudiées. L’absence de comparaison précise dans ce domaine ne permet cependant pas de conclusion ferme.

 

Autres publications

De nombreuses autres publications avaient analysé le risque cardiovasculaire de l’ensemble des COXIBS. Une méta-analyse (2) précédemment évaluée dans Minerva (3) montrait que les COXIBS occasionnent un risque accru d’événements cardiovasculaires sérieux versus placebo (NNN de 357 par an) ou versus naproxène (NNN de 256 par an) mais non versus AINS non spécifiques à hautes doses dans leur ensemble. Cette méta-analyse illustrait la possibilité d’un risque accru également avec certains AINS non spécifiques (comme le diclofénac utilisé comme comparateur vis-à-vis du lumiracoxib dans les études MEDAL (4)) mais non avec tous les AINS non spécifiques de la COX2. Une précédente méta-analyse concernant le célécoxib (1) ne montrait pas de risque cardiovasculaire accru sous célécoxib : RR 1,1 ; IC à 95% de 0,47 à 2,67 ; p=0,81. Cette méta-analyse n’incluait cependant pas les études APC, PreSAP et ADAPT incluses dans la méta-analyse discutée ici et incluait, par contre, des études sur une durée d’observation beaucoup plus courte. Une autre méta-analyse (5) incluant toutes les études comparatives avec le célécoxib montrait un risque accru de survenue d’infarctus du myocarde : OR 1,88 (IC à 95 % de 1,15 à 3,08).

 

Pour la pratique

Cette méta-analyse reprend les seules études apportant des données d’évaluation fiables sur la sécurité cardiovasculaire du célécoxib à moyen ou long terme (au moins trois ans). Même si ces études ne concernent pas des patients souffrant d’arthrose ou d’arthrite rhumatoïde, elles concernent, en partie, des doses (maximales) utilisées dans ces pathologies et montrent une augmentation du risque de survenue d’incident cardiovasculaire avec ces doses maximales, particulièrement chez des patients à risque cardiovasculaire fort accru (diabétiques par exemple). Nous ne disposons pas de données valides sur des périodes suffisantes (3 ans) et dans des études de méthodologie rigoureuse (RCT) pour des doses de célécoxib moins importantes, réparties en une ou deux administrations par jour.

 

Conclusion

Cette méta-analyse, basée sur des données individuelles, montre une augmentation de risque de survenue d’un incident cardiovasculaire chez des patients prenant du célécoxib au long cours (au moins 3 ans). Ce risque est nettement plus important chez des personnes à risque cardiovasculaire initialement élevé (diabète, antécédent cardiovasculaire, plus de 75 ans et un autre facteur de risque par exemple). Elle n’apporte pas d’élément concernant la sécurité cardiovasculaire du célécoxib à des doses inférieures à 400 mg par jour. A la lumière de ces observations qui confirment les précédentes, le praticien pèsera soigneusement le bénéfice potentiel d’un traitement par célécoxib par rapport aux risques encourus par son patient.

 

 

Références

  1. White WB, West CR, Borer JS, et al. Risk of cardiovascular events in patients receiving celecoxib: a meta-analysis of randomized clinical trials. Am J Cardiol 2007;99:91-8.
  2. Kearney PM, Baigent C, Godwin J, et al. Do selective cyclo-oxygenase-2 inhibitors and traditional non-steroidal anti-inflammatory drugs increase the risk of atherothrombosis? Meta-analysis of randomised trials. BMJ 2006;332:1302-8.
  3. Chevalier P, van Driel M. COXIBs, autres AINS et risque athérothrombotique. MinervaF 2007;6(1):8-10.
  4. Chevalier P. Etoricoxib et diclofénac: risque cardiovasculaire identique. MinervaF 2007;6(2):28-30.  
  5. Caldwell B, Aldington S, Weatherall M, et al. Risk of cardiovascular events and celecoxib: a systematic review and meta-analysis. J R Soc Med 2006;99:132-40.
Risque cardiovasculaire du célécoxib



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