Revue d'Evidence-Based Medicine



L’usage de cannabis cause-t-il psychose et dépression ?



Minerva 2008 Volume 7 Numéro 8 Page 116 - 117

Professions de santé


Analyse de
Moore TH, Zammit S, Lingford-Hughes A, et al. Cannabis use and risk of psychotic or affective mental health outcomes: a systematic review. Lancet 2007;370:319-28.


Question clinique
L’usage de cannabis peut-il provoquer, en dehors d’épisodes d’intoxication aiguë, des troubles psychotiques ou affectifs ?


Conclusion
Les auteurs de cette méta-analyse concluent que l’usage de cannabis augmente le risque de survenue de symptômes psychotiques, indépendamment d’un effet toxique momentané, plus tard dans la vie. D’autres études d’observation restent nécessaires pour conforter ce lien direct, actuellement suggéré, entre consommation de cannabis et troubles psychotiques. Cette étude ne montre, par contre, pas d’augmentation des troubles affectifs sous cannabis.


 

Résumé

Contexte

Des études expérimentales et l’interrogatoire d’utilisateurs ont montré qu’une intoxication par du cannabis pouvait provoquer un tableau psychotique. Le sevrage de cannabis peut également entraîner des troubles affectifs. Son utilisation peut-elle entraîner des troubles psychotiques et affectifs chroniques tels que schizophrénie et dépression ? La réponse n’est pas franche. De précédentes synthèses n’étaient pas systématiques, incluaient des données transversales et évaluaient une large gamme de critères psychosociaux.

 

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

 

Sources consultées

  • bases de données : MEDLINE, Embase, CINAHL, PsycINFO, ISI Web of Knowledge, ISI Proceedings, ZETOC, BIOSIS, LILACS, MEDCARIB
  • listes de référence des études incluses
  • experts.

 

Etudes sélectionnées

  • études d’observation de cohorte, longitudinales, ou cas-contrôles sur échantillon
  • exclusion de RCTs avec utilisation médicale de cannabis
  • sélection de 35 études parmi 4 804 références isolées.

 

Population étudiée

  • exclusion : pathologie mentale connue, assuétude, emprisonnement
  • pas de mention de : âge, sexe, données démographiques.

 

Mesure des résultats

  • incidence de psychose : hallucinations, illusions, troubles cognitifs (dans le cadre ou non d’une schizophrénie)
  • incidence de troubles affectifs : dépression, trouble bipolaire, idées suicidaires, tentatives de suicide, troubles anxieux, névrose, troubles maniaques
  • analyse en modèle d’effets aléatoires.

 

Résultats

  • incidence de psychose (7 études de cohorte) : OR corrigé 1,41 (IC à 95 % de 1,20 à 1,65) pour un usage de cannabis au moins une fois versus jamais (dans 7 études) et 2,09 (IC à 95% de 1,54 à 2,84) pour un usage très fréquent versus jamais (dans 6 études)
  • incidence de symptômes dépressifs (15 études de cohorte) : OR corrigé 1,49 (IC à 95% de 1,15 à 1,94) pour un usage très fréquent versus jamais (dans 8 études)
  • pas de sommation possible pour les idées et tentatives suicidaires ni pour les symptômes anxieux.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’usage de cannabis augmente le risque de survenue de symptômes psychotiques ; les preuves d’un lien entre usage de cannabis et troubles affectifs sont moins fortes.

 

Financement 

Department of Health du Royaume-Uni

Conflits d’intérêt

Cinq parmi les sept auteurs ont reçu, à différents titres, des honoraires de l’industrie pharmaceutique.

 

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique possède un protocole précis et soigneusement suivi. La recherche dans la littérature a été effectuée, sans restriction de langue, dans plusieurs bases de données. Les études ont été évaluées par deux chercheurs indépendamment l’un de l’autre. En cas d’imprécision, les auteurs de la publication originale ont été contactés pour information complémentaire. Les auteurs ne mentionnent cependant pas les caractéristiques démographiques et socio-économiques des sujets observés, ce qui ne permet pas, entre autres, d’évaluer la présence d’une éventuelle hétérogénéité clinique. L’hétérogénéité statistique est par contre évaluée (test I² de Higgins) et, pour certains critères, est importante. La recherche d’un biais de publication a été faite au moyen d’un funnel plot et d’un test de Egger ; le résultat de ce test est cependant difficilement interprétable au vu du nombre faible d’études incluses.

 

Pertinence des résultats

Le taux de sorties d’études dans les r évaluant l’incidence de psychose est de 4 à 32%. Une analyse de sensibilité pour cette donnée montre qu’elle n’influence pas les résultats. Les OR pour les différents critères ont été ajustés (pour la plupart, mais non pour toute manifestation dépressive par exemple) pour 60 facteurs confondants identifiés, dont une utilisation d’une autre substance, des marqueurs sociodémographiques, les capacités intellectuelles. Les résultats ainsi obtenus ont été comparés avec les résultats non ajustés. L’ajustement provoque une diminution des résultats d’incidence de psychose de 45% en moyenne pour les 7 études, avec des extrêmes de 10 à 80%. Les résultats restent cependant statistiquement significatifs.

En pratique de médecine générale, l’incidence de schizophrénie est estimée à 1 à 1,3 cas par 10 000 patients par an (1). Une augmentation de 50% suite à un usage sporadique de cannabis représente, en chiffres absolus, une faible augmentation du risque individuel de survenue de symptômes psychotiques. Un doublement du risque suite à un usage intensif de cannabis semble par contre cliniquement pertinent. L’usage du cannabis étant en croissance constante en Belgique (2), l’augmentation du risque de psychose pourrait être importante au niveau d’une population.

 

Autres études

Une grande RCT évaluant aléatoirement l’effet du cannabis n’est éthiquement pas acceptable. Baser l’observation sur une population initiale saine et « clean », la suivre étroitement, utiliser des critères stricts pour les troubles mentaux, sont les possibilités maximales pour éviter les biais liés aux études d’observation. Comme énoncé ci-dessus, les auteurs de cette méta-analyse ajustent leurs OR pour différents facteurs confondants possibles, ce qui n’avait pas été fait dans de précédentes méta-analyses (3-5).

Certains auteurs avancent que l’utilisation de cannabis n’est qu’un critère intermédiaire de recours à d’autres psychotropes ou de vulnérabilité ; la présente méta-analyse ne peut nous aider à répondre à cette affirmation. Les auteurs de cette recherche concluent qu’il est peu probable que de futures études d’observation au niveau de la population générale apportent un meilleur éclairage sur un lien entre usage de cannabis et psychose. Des études évaluant l’usage de cannabis chez des personnes souffrant de psychose pourraient nous apporter des éléments de réponse (5). Une étude a, par exemple, montré plus de rechutes chez des patients psychotiques consommant du cannabis (6).

 

Pour la pratique

Cette étude apporte, comme d’autres, des arguments invitant à prévenir les consommateurs de cannabis d’un risque accru de survenue, au cours de la vie, d’une psychose en lien avec cette consommation. En pratique de médecine générale, le cannabis devrait attirer l’attention au même titre que l’alcool ou le tabac. Un counselling est certainement approprié chez des personnes à risque accru de présenter des troubles psychotiques (6).

 

 

Conclusion

Les auteurs de cette méta-analyse concluent que l’usage de cannabis augmente le risque de survenue de symptômes psychotiques, indépendamment d’un effet toxique momentané, plus tard dans la vie. D’autres études d’observation restent nécessaires pour conforter ce lien direct, actuellement suggéré, entre consommation de cannabis et troubles psychotiques. Cette étude ne montre, par contre, pas d’augmentation des troubles affectifs sous cannabis.

 

Références

  1. Schizofrenie, omvang van het probleem. Nationaal Kompas Volksgezondheid. Bilthoven, 2008.
  2. Statistics Belgium http://www.statbel.fgov.be/figures/d361_nl.asp#5
  3. Henquet C, Murray R, Linszen D, van Os J. The environment and schizophrenia: the role of cannabis use. Schizophr Bull 2005;3:608-12.
  4. Semple DM, McIntosh AM, Lawrie SM. Cannabis as a risk factor for psychosis: systematic review. J Psychopharmacol 2005;19:187-94.
  5. Potvin S, Amar MB. Review: Cannabis use increases the risk of psychotic outcomes. Evid Based Ment Health 2008;11:28.
  6. Linszen DH, Dingemans PM, Lenior ME. Cannabis abuse and the course of recent-onset schizophrenic disorders. Arch Gen Psychiatry 1994;51:273-9.
L’usage de cannabis cause-t-il psychose et dépression ?

Auteurs

Avonts D.
Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
COI :

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