Revue d'Evidence-Based Medicine



Otite moyenne aiguë douloureuse : intérêt d’une anesthésie locale ?



Minerva 2008 Volume 7 Numéro 6 Page 94 - 95

Professions de santé


Analyse de
Bolt P, Barnett P, Babl FE, Sharwood LN. Topical lignocaine for pain relief in acute otitis media: results of a double-blind placebo-controlled randomised trial. Arch Dis Child 2008;93:40-4.


Question clinique
Quelle est l’efficacité de l’instillation de gouttes auriculaires d’une solution aqueuse de lidocaïne à 2%, versus placebo, sur le soulagement de la douleur provoquée par une otite moyenne aiguë chez un enfant de plus de 3 ans ?


Conclusion
Cette étude semble montrer un bénéfice de l’instillation de gouttes auriculaires à base de lidocaïne à 2% chez des enfants âgés de 3 à 12 ans pour calmer leur otalgie liée à une otite moyenne aiguë sans perforation tympanique, en complément d’un traitement antalgique oral. Une réponse favorable est également fréquemment observée avec le placebo utilisé (liquide physiologique) dans cette étude. La faisabilité comme l’utilité de ce traitement en pratique de médecine générale semblent très faibles. Un traitement antalgique oral adéquat reste la base de la prise en charge d’une OMA.


 

Résumé

 

Contexte

L’otalgie est très souvent le symptôme le plus gênant et difficile à juguler en cas d’otite moyenne aiguë (OMA), certainement chez l’enfant. L’administration d’antibiotiques n’a aucune efficacité antalgique précoce (dans les 24 heures) et n’apporte qu’une réduction relative de la douleur de 30% (IC à 95% de 19 à 40%) dans les 2 à 7 jours, ce qui revient à devoir traiter 15 enfants (IC à 95% de 11 à 24) par antibiotique pour en soulager un de son otalgie après deux jours (1). La gestion de la douleur en cas d’OMA est donc très importante, aussi bien pour l’enfant que pour ses parents. Un traitement oral est recommandé. Un traitement local peut-il apporter une plus-value ? La littérature n’en apportait pas de preuve suffisante.

 

Population étudiée

  • service d’urgence d’un hôpital tertiaire pour les enfants (Australie)
  • 63 enfants âgés de 3 à 17 ans (3 à 12 ans pour ceux qui sont randomisés) avec otalgie de moins de 3 jours de durée, et OMA (critères précis donnés) sans preuve d’une perforation
  • exclusion : perforation tympanique, drain aérateur en place, allergie à l’anesthésique local ou au paracétamol, épilepsie, pathologie hépatique, rénale ou cardiaque.

 

Protocole d'étude

  • étude randomisée, en double aveugle, contrôlée versus placebo
  • instillation soit de lidocaïne 2% (n=31) soit de liquide physiologique (n=32) au maximum toutes les 3 heures pendant 24 heures
  • autres analgésiques autorisés mais à enregistrer.

 

Mesure des résultats

  • score de la douleur avant et après l’instillation (10, 20 et 30 minutes) au Bieri Faces Pain Scale-Revised pour les enfants jusqu’à 6 ans et sur une EVA (cotée de 0 à 10) pour les enfants de 7 ans et plus (et pour les chercheurs)
  • critère primaire : réduction de la douleur évaluée par le patient de 50% versus estimation initiale
  • critère secondaire : réduction de la douleur évaluée par le patient de 25% ou au moins 2 points versus estimation initiale
  • suivi par téléphone après 1 jour et après 1 semaine
  • analyse enintention de traiter doit être complétée par une imputation de ces résultats manquants dans les différents bras d’étude."> intention de traiter.

 

Résultats

  • critère primaire : réduction de la douleur de 50%, lidocaïne versus placebo :
    • à 10 minutes RR 2,06 (IC à 95% de 1,03 à 4,11 ; p=0,03)
    • à 20 minutes RR 1,35 (IC à 95% de 0,88 à 2,06 ; p=0,15)
    • à 30 minutes RR 1,44 (IC à 95% de 1,07 à 1,93 ; p=0,009), soit 90% versus 63%
  • critère secondaire : différence pour la réduction de 25% significative en faveur de la lidocaïne aux 3 estimations ; différence pour la réduction de la douleur de 2 points uniquement significative à 10 minutes
  • aucune différence statistiquement significative pour l’évaluation de ces 3 critères par le médecin.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que leurs résultats suggèrent qu’une instillation de gouttes auriculaires d’une solution aqueuse à 2% de lidocaïne permet un soulagement rapide chez de nombreux jeunes enfants se présentant avec une otalgie attribuée à une otite moyenne aiguë. L’usage concomitant d’un analgésique oral simple contribue à l’efficacité du traitement de cette pathologie pédiatrique douloureuse.

 

Financement 

Aucune mention n’est faite.

 

Conflits d’intérêt 

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette étude est élaborée sur un protocole correct, randomisé, en double aveugle, versus placebo. Les différentes caractéristiques mentionnées sont semblables dans les deux groupes, e.a. mêmes prises d’analgésiques dans les 4 heures précédentes (77 versus 75%) mais il y a cependant une disparité dans la prise d’analgésiques à partir des 30 minutes post instillation et au cours des 24 heures suivantes (55 versus 29% des patients en consomment), ce qui ne permet pas une interprétation correcte des résultats de l’efficacité de l’instillation d’un anesthésique local au-delà des 30 minutes. Une sélection d’un échantillon de convenance est reconnue par les auteurs mais le choix des 72 enfants pris en considération sur le total des 251 vu à l’hôpital durant la période d’étude, soit 28%, n’est pas explicité. Les évaluateurs utilisent, suivant l’âge de l’enfant, deux échelles d’évaluation différentes. Ils précisent cependant qu’une étude (2) a montré une bonne concordance entre ces deux instruments de mesure ce qui permet de regrouper les résultats. Pour faire leur calcul de puissance et connaître la taille de l’échantillon à inclure, les auteurs s’étaient basés sur une réduction probable de la douleur de 40% dans le groupe placebo et de 80% dans le groupe anesthésique local. Une réponse favorable beaucoup plus importante que prévue dans le groupe placebo, réduit fortement la puissance de l’étude.

 

Limites des résultats

Certains résultats des évaluations communiquées par le patient montrent une différence statistiquement significative. Pour les évaluations réalisées par le médecin, il n’y a cependant pas de différence statistiquement significative à 30 minutes, pour aucun des critères. Pour le critère réduction de la douleur d’au moins 2 points évalué par le patient, les résultats ne sont pas statistiquement significatifs, sauf à l’évaluation après 10 minutes. Il est possible que la taille de l’échantillon ne soit pas suffisante par rapport à l’ampleur de la différence observée. Il faut également souligner que cette étude n’évalue pas l’efficacité de l’anesthésique local utilisé seul mais bien son ajout à un traitement analgésique oral par ailleurs non codifié, aussi bien avant qu’après les 30 minutes post instillation des gouttes auriculaires (dans respectivement 23 et 13% des cas durant la période de 30 minutes). Une exclusion des enfants ayant reçu un analgésique dans les 4 heures précédentes aurait apporté des éléments moins difficiles à interpréter que ceux de la présente étude. Cette étude ne concerne pas les enfants âgés de moins de 3 ans, chez lesquels les OMA sont les plus fréquentes, peut-être au vu des difficultés d’estimer un score de la douleur chez ces enfants. Nous ne pouvons, en tous cas, pas tirer de conclusions de cette étude pour de tels enfants. 

 

Autres études

Pour la sédation d’une otalgie, une recherche récente dans la littérature (3) n’a trouvé qu’une seule RCT évaluant l’efficacité du paracétamol ou de l'ibuprofène oral versus placebo durant 48h chez 219 enfants âgés de 1 à 6 ans et présentant une OMA. Cette étude montrait une efficacité des deux médicaments versus placebo (NST de 5 (IC à 95% de 3 à 15) pour l’ibuprofène et de 6 (3 à 28) pour le paracétamol) pour une évaluation réalisée par les parents. Pour ce qui est de l’efficacité de l’instillation auriculaire d’anesthésiques topiques, une méta-analyse (4) n’a trouvé qu’une seule étude (5), incluant 54 enfants âgés de 5 à 19 ans, permettant d’évaluer de façon pertinente l’efficacité de gouttes auriculaires (dans ce cas une association d’antipyrine, de benzocaïne et de glycérine) versus placebo, tous les sujets recevant du paracétamol. Cette seule étude montrait une réduction de la douleur de 25% uniquement significative 30 minutes après l’instillation en cas d’instillation du produit actif, mais avec une réponse de 70% dans le groupe placebo. Ces données étaient insuffisantes pour conclure à une efficacité des gouttes auriculaires anesthésiantes.

 

Pour la pratique

Si une solution aqueuse de lidocaïne est facile à préparer et reste stable, sa disponibilité immédiate en dehors de l’hôpital ou éventuellement au cabinet du médecin généraliste n’est pas évidente, au moment précis de l’administration nécessaire, c’est-à-dire de la douleur qui peut être fluctuante dans le temps. Son bénéfice pour soulager une otalgie en cas d’OMA semble faible par rapport à un placebo chez des enfants qui, par ailleurs, prennent des analgésiques oraux. Un éventuel bénéfice n’est pas évalué correctement après les 30 premières minutes. La faisabilité comme l’utilité de ce traitement en pratique de médecine générale semblent très faibles. Cette étude a cependant le mérite de nous rappeler l’importance d’une gestion correcte de la douleur lors d’une OMA. Cette nécessité était déjà soulignée dans le guide de pratique belge sur le sujet : « La bonne gestion de ce symptôme est un des éléments essentiels de la consultation médicale [pour une OMA] » (6). Cette analgésie adéquate est un des éléments permettant une moindre prescription d’antibiotiques dans cette affection. Dans cette étude, un antibiotique n’a été prescrit qu’à 38% des enfants alors que d’autres études, plus anciennes, montrent des proportions de prescription allant jusqu’à 98% (7).

 

Conclusion

Cette étude semble montrer un bénéfice de l’instillation de gouttes auriculaires à base de lidocaïne à 2% chez des enfants âgés de 3 à 12 ans pour calmer leur otalgie liée à une otite moyenne aiguë sans perforation tympanique, en complément d’un traitement antalgique oral. Une réponse favorable est également fréquemment observée avec le placebo utilisé (liquide physiologique) dans cette étude. La faisabilité comme l’utilité de ce traitement en pratique de médecine générale semblent très faibles. Un traitement antalgique oral adéquat reste la base de la prise en charge d’une OMA.

 

 

Références

  1. Glasziou PP, Del Mar CB, Sanders SL, Hayem M. Antibiotics for acute otitis media in children. Cochrane Database Syst Rev 2004, issue 1.
  2. Goodenough B, Addicoat L, Champion GD, et al. Pain in 4- to 6-year-old children receiving intramuscular injections: a comparison of the Faces Pain Scale with other self-report and behavioral measures. Clin J Pain 1997;13:60-73.
  3. Bradley-Stevenson C, O’Neill P, Roberts T. Otitis media in children (acute). Clin Evid 2007;12 (web edtion).
  4. Foxlee R, Johansson A, Wejfalk J, et al. Topical analgesia for acute otitis media. Cochrane Database Syst Rev 2006, issue 2.
  5. Hoberman A, Paradise JL, Reynolds EA, Urkin J. Efficacy of Auralgan for treating ear pain in children with acute otitis media. Arch Pediatr Adolesc Med 1997;151:675-8.
  6. Chevalier P, Janssens S, Van Lierde S. L’otite moyenne aiguë. Recommandations pour le bon usage des antibiotiques. WVVH - SSMG – BAPCOC 2001.
  7. Froom J, Culpepper L, Grob P. Diagnosis and antibiotic treatment of acute otitis media: report from International Primary Care Network. BMJ 1990;300:582-6.
Otite moyenne aiguë douloureuse : intérêt d’une anesthésie locale ?

Auteurs

Chevalier P.
médecin généraliste
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