Revue d'Evidence-Based Medicine



Traitement chirurgical versus non chirurgical d’un spondylolisthésis dégénératif



Minerva 2008 Volume 7 Numéro 5 Page 74 - 75

Professions de santé


Analyse de
Weinstein JN, Lurie JD, Tosteson TD, et al. Surgical versus nonsurgical treatment for lumbar degenerative spondylolisthesis. N Engl J Med 2007;356:2257-70.


Question clinique
Un traitement chirurgical d’un spondylolisthésis lombaire dégénératif associé à une sténose du canal médullaire est-il plus efficace qu’un traitement conservateur ?


Conclusion
L’étude randomisée contrôlée contenue dans cette publication ne montre, en analyse en intention de traiter, aucune différence de résultats entre une intervention chirurgicale et un traitement conservateur chez des patients présentant un spondylolisthésis lombaire dégénératif avec sténose du canal médullaire. Les résultats globaux de la recherche (RCT plus étude d’observation) en analyse par protocole montrent un bénéfice en faveur d’une intervention chirurgicale mais demandent confirmation. Vu la faiblesse des preuves disponibles, aucune recommandation ne peut être faite.


 

Résumé

 

Contexte

Un spondylolisthésis dégénératif correspond à un glissement vertébral lié à une dégénérescence arthrosique des articulations interfacettaires. Ce listhésis occasionne un rétrécissement du canal médullaire entraînant douleur irradiée dans les membres inférieurs et claudication neurogène. Cette affection est souvent traitée chirurgicalement ; l’efficacité de ce choix chirurgical versus traitement non chirurgical n’avait cependant jamais été évaluée dans une étude randomisée.

 

Population étudiée

  • 607 patients présentant : une claudication neurogène ou une douleur irradiée au niveau des membres inférieurs, une sténose du canal médullaire lombaire documentée (CT scan ou résonance magnétique nucléaire) avec spondylolisthésis documenté
  • avec des plaintes persistantes depuis au moins 12 semaines
  • référés par leur médecin traitant à un des 13 centres spécialisés multidisciplinaires en fonction d’une indication chirurgicale éventuelle
  • exclusion : patients avec spondylolyse ou dysplasie isthmique.

 

Protocole d’étude

  • étude d’observation et RCT
  • étude d’observation (n=303) avec explicitations des avantages et inconvénients des traitements proposés puis choix des patients entre chirurgie (n=173) et traitement conservateur (n=130)
  • RCT (n=304) avec randomisation entre chirurgie (n=159) et traitement conservateur (n=145)
  • traitement conservateur : différentes associations, variables, entre physiothérapie, infiltrations épidurales, chiropraxie, AINS et analgésiques narcotiques
  • intervention chirurgicale : laminectomie postérieure de décompression avec ou sans fusion lombaire (au moyen d’un greffon prélevé au niveau de la crête iliaque) avec ou sans matériel d’ostéosynthèse postérieur.

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : SF-36, Oswestry Disability Index
  • critères de jugement secondaires : amélioration mentionnée par le patient, satisfaction du patient et autres scores spécifiques
  • évaluation par le patient après 3 et 6 mois et après 1 et 2 ans.

 

Résultats

  • changement de bras d’étude : environ 40% dans les 2 directions dans la RCT ; 17% de conversion vers la chirurgie et 3% de non intervention chirurgicale dans l’étude d’observation
  • RCT : pas de différence statistiquement significative pour les critères primaires en ITT
  • total des 2 études (valeurs ajustées selon les caractéristiques de base) : avantage significatif pour le groupe chirurgie après 3 mois, 1 an (augmentation du bénéfice) et 2 ans (légère diminution du bénéfice)
  • différences à 2 ans : score SF-36 pour la douleur : 18,1 (IC à 95% de 14,5 à 21,7); score SF-36 pour l’aspect fonctionnel : 18,3 (IC à 95% de 14,6 à 21,9); Oswestry Disability Index : -16,7 (IC à 95% de -19,5 à -13,9)
  • complications chirurgicales : rupture durale (10%), lésion vasculaire (1 cas), nouvelle intervention dans les 2 ans (12%)
  • pas de complication pour le traitement conservateur.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’une analyse par protocole de l’ensemble des données, hors randomisation, ajustées pour les caractéristiques de base, montre, chez des patients présentant une sténose du canal médullaire avec un spondylolisthésis dégénératif, un bénéfice supérieur pour une intervention chirurgicale versus non chirurgicale.

 

Financement

National Institute of Arthritis and Musculoskeletal and Skin Diseases, National Institutes of Health, National Institute of Occupational Safety and Health et autres institutions publiques qui ne sont intervenues à aucun des stades de l’étude.

 

Conflits d’intérêt

Différents auteurs mentionnent avoir reçu des défraiements de différentes firmes de matériel médical.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette étude présente plusieurs limites méthodologiques. Son protocole associe une RCT à une étude d’observation. Lorsque les patients peuvent convenir, avec le médecin, du choix du traitement, les résultats pour des critères subjectifs peuvent être fortement influencés. Les interventions sont fort hétérogènes, tant au niveau conservateur que dans le domaine chirurgical. Les interventions sont fort variables : laminectomie décompressive isolée (5 à 6% selon le type d’étude) ou associée à une arthrodèse avec (73 à 74%) ou sans matériel, arthrodèse à un ou plusieurs (20 à 27%) niveau(x). En cas de traitement conservateur, seuls 55% des patients bénéficient d’infiltration(s) épidurale(s). Les auteurs estiment que ces différences pour un traitement conservateur n’ont qu’une influence potentielle faible sur les résultats étant donné la faiblesse des preuves quant à son efficacité. Cette mention est étonnante : l’analyse des résultats en intention de traiter ne montre aucune différence entre une intervention chirurgicale ou un traitement conservateur. Il faut y ajouter les biais occasionnés par les nombreux changements de groupe (44% d’opérés dans le groupe traitement conservateur dans la RCT) et la faible observance (57% seulement des patients opérés après un an en cas d’option chirurgicale initiale). Ces deux biais rendent l’interprétation des résultats de la RCT fort difficile (1). Les auteurs font donc une analyse par protocole qui, contrairement à l’analyse en intention de traiter, montre un bénéfice d’une intervention chirurgicale en considérant l’ensemble des patients (RCT et étude d’observation). Ce résultat ne peut avoir qu’une valeur indicative, seule une analyse en intention de traiter étant valide dans une RCT de supériorité. Les auteurs se livrent aussi à des analyses en sous-groupes suivant le sexe, la durée des symptômes, la sévérité de la sténose, etc., sans observer de différence importante. Ces analyses, comme toutes les analyses en sous-groupes, doivent être interprétées avec prudence, par manque de puissance. Constatons, enfin, les difficultés d’élaborer, pour cette pathologie, une étude randomisée de bonne qualité comparant traitement chirurgical et non chirurgical.

 

Autres études

Une recherche systématique dans la littérature évaluant les interventions d’arthrodèse en complément d’une décompression (laminectomie) chez des patients souffrant de sténose du canal médullaire a été publiée en 2005 (2). La motivation de cette arthrodèse complémentaire (PLF posterolateral lumbar fusion), avec ou sans fixation du pédicule par une vis, est une décompression foraminale complémentaire et une prévention d’une récidive de la sténose liée à un glissement ultérieur de la vertèbre (3). Cette recherche n’a isolé qu’une seule RCT (4) incluant 50 patients, 25 avec arthrodèse et 25 sans arthrodèse ; elle montre une amélioration relative de la lombalgie de 33% et de la douleur irradiée dans les membres inférieurs de 55% en cas d’arthrodèse. Toutes les autres études concernent de petites populations (19 à 76 patients), ne sont pas randomisées ou sont rétrospectives. Les auteurs de cette synthèse concluent à l’impossibilité de faire des recommandations au vu de la faiblesse des preuves disponibles (séries de cas, études comparatives mais avec des contrôles historiques, rapports de cas, opinions d’experts) et proposent des « options » avec le niveau de preuves le plus bas : envisager une PLF en complément d’une intervention de décompression si un spondylolisthésis dégénératif est associé à la sténose.

Les auteurs de la publication analysée ici comparent leurs résultats à ceux d’une étude plus récente (5). Cette dernière ne concerne que la chirurgie de décompression en cas de sténose du canal médullaire et non celle concernant un spondylolisthésis, ce qui ne permet pas de véritable comparaison.

 

Risques opératoires

La complication chirurgicale la plus fréquente est une déchirure durale qui ne pose pas de problème si elle est identifiée lors de l’intervention et obturée. Une découverte post opératoire tardive provoque généralement un suintement de plaie persistant de liquide céphalo-rachidien et des céphalées, avec indication de ré-intervention. La mortalité péri-opératoire est, dans cette étude de 0,6%, alors qu’elle est de 1,2 à 2% dans d’autres études. Une ré-intervention est nécessaire chez 12% des patients durant les 2 ans de suivi.

 

Pour la pratique

Cette étude ne concerne pas le traitement d’une sténose dégénérative du canal médullaire lombaire mais bien le traitement du spondylolisthésis dégénératif associé à la sténose à ce niveau. Pour cette indication spécifique, les précédentes études ne permettaient pas de faire des recommandations (2). Les limites méthodologiques de la recherche analysée ici, comportant une RCT et une étude d’observation avec des traitements fort hétérogènes, ne permettent également pas de faire des recommandations. Une étude randomisée, contrôlée, devrait confirmer des résultats favorables observés lors d’une analyse par protocole.

 

Conclusion

L’étude randomisée contrôlée contenue dans cette publication ne montre, en analyse en intention de traiter, aucune différence de résultats entre une intervention chirurgicale et un traitement conservateur chez des patients présentant un spondylolisthésis lombaire dégénératif avec sténose du canal médullaire. Les résultats globaux de la recherche (RCT plus étude d’observation) en analyse par protocole montrent un bénéfice en faveur d’une intervention chirurgicale mais demandent confirmation. Vu la faiblesse des preuves disponibles, aucune recommandation ne peut être faite.

 

Références

  1. Fischgrund JS, Mackay M, Herkowitz HN, et al. 1997 Volvo Award winner in clinical studies. Degenerative lumbar spondylolisthesis with spinal stenosis: a prospective randomized study comparing decompressive laminectomy and arthrodesis with and without spinal instrumentation. Spine 1997;22:2807-12.
  2. Attia J, Page J. A graphic framework for teaching critical appraisal of randomised controlled trials. ACP J Club 2001;34:A11-2.
  3. Resnick DK, Choudhri TF, Dailey AT, et al; American Association of Neurological Surgeons/Congress of Neurological Surgeons. Guidelines for the performance of fusion procedures for degenerative disease of the lumbar spine. Part 9: Fusion in patients with stenosis and spondylolisthesis. J Neurosurg Spine 2005;2:679-85.
  4. Herkowitz HN, Kurz LT. Degenerative lumbar spondylolisthesis with spinal stenosis. A prospective study comparing decompression with decompression and intertransverse process arthrodesis. J Bone Joint Surg Am 1991;73:802-8.
  5. Malmivaara A, Slätis P, Heliövaara M, et al; Finnish Lumbar Spinal Research Group. Surgical or nonoperative treatment for lumbar spinal stenosis? A randomized controlled trial. Spine 2007;32:1-8.
Traitement chirurgical versus non chirurgical d’un spondylolisthésis dégénératif

Auteurs

de Geeter K.
Dienst Orthopedie, Sint-Maria Ziekenhuis, Halle
COI :

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