Revue d'Evidence-Based Medicine



Revue du traitement par le pharmacien avec communication au médecin généraliste



Minerva 2008 Volume 7 Numéro 5 Page 70 - 71

Professions de santé


Analyse de
Denneboom W, Dautzenberg MGH, Grol R, De Smet PAGM. Treatment reviews of older people on polypharmacy in primary care: cluster controlled trial comparing two approaches. Br J Gen Pract 2007;57:723-31.


Question clinique
Quelle est l’efficacité de la revue d’un traitement médicamenteux d’une personne âgée polymédiquée en première ligne de soins, suivie soit d’une concertation entre le pharmacien et le médecin généraliste soit d’un envoi par le pharmacien d’un feed-back au médecin généraliste ?


Conclusion
Cette étude randomisée apporte des arguments en faveur de deux interventions de mise en œuvre de recommandations issues d’une revue du traitement médicamenteux : l’envoi par le pharmacien d’un feed-back écrit au médecin généraliste ou une concertation individualisée pharmacien-médecin généraliste avec élaboration d’un plan d’action. Sa faisabilité dans le contexte belge semble faible, mais elle invite à réfléchir aux possibilités d’instauration d’une telle revue du traitement médicamenteux de patients âgés polymédiqués vivant au domicile.


 

Résumé

 

Contexte

La polypharmacie est un problème croissant dans les pays occidentaux, particulièrement pour la population âgée. Différentes stratégies ont déjà tenté de la limiter. La revue du traitement médicamenteux par des personnes impliquées dans les soins de santé (médecins généralistes, pharmaciens, gériatres) est un des modèles qui se sont révélés efficaces. Cette revue du traitement peut être mise en œuvre de différentes façons. Il reste à déterminer quelle approche est la plus efficace et coût/efficace.

 

Population étudiée

  • 29 pharmaciens au Pays-Bas, avec formation spécifique
  • 84 médecins généralistes choisis par les pharmaciens (2 à 3 par pharmacien)
  • 738 personnes âgées (≥ 75 ans, âge moyen 81 ans) vivant à domicile, consommant au moins 5 médicaments (en moyenne 7), choisies au hasard sur les listes de patients des médecins.

Protocole d’étude

  • étude randomisée par grappes
  • revue du traitement avec un programme informatique de dépistage de prescriptions suboptimales et choix par le pharmacien des recommandations à faire, puis comparaison entre les deux démarches
      • soit envoi des recommandations au médecin généraliste (groupe feed-back écrit) sans suivi particulier
      • soit rencontre entre le pharmacien et le médecin généraliste (groupe concertation individualisée) pour la discussion des recommandations, d’autres considérations éventuelles à propos du patient et pour l’élaboration d’un plan de traitement médicamenteux standardisé avec répartition des rôles ; après 3 mois, évaluation de la réalisation de ce plan
  • évaluation, par un panel indépendant, des recommandations données.

 

Mesure des résultats

  • évaluation du nombre de recommandations cliniquement pertinentes faites, du nombre de changements médicamenteux en lien avec ces recommandations effectués
  • contrôle après 6 et 9 mois du maintien de ces modifications
  • modifications dans les coûts des médicaments utilisés
  • temps consacré à l’intervention.

 

Résultats

  • pour un total de 624 patients, 1 569 recommandations données (dont 62% identifiées par le programme informatique et 38% élaborées par le pharmacien) ; aucune recommandation pour 114 patients (15,4%)
  • 264 (77,3%) recommandations estimées pertinentes, concernant une adaptation des doses, un choix peu judicieux pour une personne âgée, une erreur de prescription
  • modifications de traitement post recommandation pertinente : 42 dans le groupe concertation individualisée, 22 dans le groupe feed-back écrit, p=0,02 pour la différence ; différence maintenue à 6 mois (36 vs 19 ; p=0,02) mais non significative à 9 mois (33 vs 19 ; p=0,07)
  • coûts médicamenteux : diminués dans les 2 groupes, sans différence significative ; diminution plus importante dans le groupe concertation individualisée neutralisée par un coût plus élevé de l’intervention
  • investissement de temps, pour les pharmaciens et les médecins, plus important pour la concertation individualisée.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’une revue du traitement associée à une concertation individualisée permet une meilleure mise en œuvre de recommandations cliniquement pertinentes. Les surcoûts semblent couverts par les économies engendrées. L’efficacité s’amenuise avec le temps. Une revue des traitements des personnes âgées devrait donc être intégrée dans la collaboration habituelle entre médecins généralistes et pharmaciens.

 

Financement

Koninklijke Nederlandse Maatschappij ter bevordering der Pharmacie

 

Conflits d’intérêt:

La logistique de l’étude a reçu l’appui du Service Apotheek Nederland, organisation syndicale de pharmaciens indépendants.

 

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

L’évaluation d’un processus d’intervention dans une étude randomisée est moins évidente et souvent plus complexe que celle d’un traitement médicamenteux contrôlé versus placebo. Une telle étude, au protocole correct, est donc précieuse. Un atout supplémentaire est la randomisation par grappes (au niveau des pharmaciens participants), ce qui permet de comparer deux interventions se déroulant indépendamment l’une de l’autre, sans risque d’un biais de contamination. La détermination d’un nombre précis de médecins et de patients (choisis aléatoirement) par médecin, évite d’autres biais (de sélection ou d’attribution). L’analyse multiniveau effectuée permet une correction statistique des différences entre médecins. Il est, par contre, toujours difficile dans ce type d’étude de dissocier l’effet de l’intervention de l’influence de ceux qui pratiquent l’intervention. Etant donné l’interactivité de la concertation individualisée entre un pharmacien et un médecin que celui-ci a choisi, il est possible que l’enthousiasme du pharmacien et la relation entre les deux personnes aient un impact plus important. Ce choix des médecins par le pharmacien, dans les deux groupes, est une limite importante en matière d’extrapolabilité des résultats de cette étude. Le risque est grand que le pharmacien ait davantage contacté des médecins généralistes pour lesquels il supposait qu’ils étaient prêts à remettre leurs prescriptions médicamenteuses en question et à suivre les recommandations.

 

Mise en perspective des résultats

Le fait que cette étude concerne des patients vivant à domicile et non institutionnalisés la rend particulièrement intéressante pour la médecine générale. Le respect de recommandations pertinentes est un critère davantage intermédiaire. Un critère véritablement fort pour cette étude aurait pu être une meilleure qualité de vie et de santé pour le patient. La population d’étude ainsi que la durée de son suivi étaient cependant trop faibles pour une telle évaluation. Un critère « santé » expose également à de nombreux facteurs confondants et est très difficile à évaluer. Les chiffres en valeur absolue après 9 mois sont les suivants : 19 modifications médicamenteuses par rapport à 147 recommandations cliniquement pertinentes dans le groupe feed-back écrit versus 33 sur 156 dans le groupe concertation individualisée, soit un impact modéré. Une analyse du suivi ou non des différentes recommandations, avec la motivation de ce respect ou non, aurait été fort intéressante. Une économie sur le plan financier concerne un autre domaine, cependant également très important. Si des interventions moins coûteuses s’accompagnent de meilleurs soins, ce ne peut être que profitable. Dans cette étude, il s’agit tout au plus d’un bilan neutre pour les coûts, sur une seule période d’intervention. Les résultats pourraient être différents en cas de répétition régulière de ce type d’intervention plutôt qu’en exécution unique. D’une part, des erreurs flagrantes ne seront trouvées dans les listes médicamenteuses que lors de la première intervention. D’autre part, un effet d’apprentissage est très probable, le médecin ne reproduisant donc plus la même erreur. L’effet de l’intervention serait sans doute plus difficile à évaluer mais ceci conduirait à des prescriptions de meilleure qualité. Cette étude ne nous permet pas de conclure qu’un tel apprentissage ne soit pas plus important après une concertation individualisée qu’après la réception d’un feed-back écrit. Le fait qu’une concertation individualisée semble plus efficace qu’un feed-back écrit après 6 mois mais non après 9 mois (malgré une tendance favorable) rend une conclusion claire difficile.

 

Autres interventions

Les auteurs concluent en faveur d’une concertation individualisée. Il reste à évaluer l’efficacité de cette intervention plus complexe par rapport à l’envoi d’un feed-back écrit à tous les médecins généralistes, feed-back portant sur tous leurs patients polymédiqués.

Les auteurs de cette publication ont recours à un programme informatisé pour l’évaluation des prescriptions, technique attrayante. Malgré l’inadéquation de certaines recommandations par rapport à la situation clinique, la rapidité et la facilité de l’analyse est un avantage. Il existe un certain nombre d’instruments, parfois relativement complexes, pour analyser la polypharmacie, par exemple la méthode ACOVE, validée également pour des personnes non institutionnalisées (2). Un programme informatique plus adapté à la médecine générale serait cependant le bienvenu (3). Le recours à l’acronyme NO TEARS peut également être fort utile en pratique de médecine générale (4).

 

Applicabilité en Belgique

Les particularités de l’organisation des soins aux Pays-Bas doivent être soulignées pour l’examen de l’extrapolabilité des résultats de cette étude. Les patients y sont inscrits chez un pharmacien précis, familiarisé depuis de nombreuses années avec son rôle dans les soins pharmaceutiques. Les pharmaciens participant à cette étude n’ont reçu qu’un seul jour de formation complémentaire à propos de la revue des traitements médicamenteux. Il est douteux qu’il en serait de même dans le contexte belge. La qualité de la recommandation est décisive, des résultats négatifs de telles interventions étant également observés (1, 5).

 

Conclusion

Cette étude randomisée apporte des arguments en faveur de deux interventions de mise en œuvre de recommandations issues d’une revue du traitement médicamenteux : l’envoi par le pharmacien d’un feed-back écrit au médecin généraliste ou une concertation individualisée pharmacien-médecin généraliste avec élaboration d’un plan d’action. Sa faisabilité dans le contexte belge semble faible, mais elle invite à réfléchir aux possibilités d’instauration d’une telle revue du traitement médicamenteux de patients âgés polymédiqués vivant au domicile.

 

 

Références

  1. Holland R, Desborough J, Goodyer L, et al. Does pharmacist-led medication review help to reduce hospital admissions and deaths in older people? A systematic review and meta-analysis. Br J Clin Pharmacol 2008;65:303-16.
  2. Higashi T, Shekelle PG, Solomon DH, et al. The quality of pharmacologic care for vulnerable older patients. Ann Intern Med 2004;140:714-20.
  3. Wenger NS, Shekelle PG. Assessing Care of Vulnerable Elders: ACOVE project overview. Ann Intern Med 2001;135:642-6.
  4. Lewis T. Using NO TEARS tool for medication review. BMJ 2004;329:434.
  5. Holland R, Lenaghan E, Harvey I, et al. Does home based medication review keep older people out of hospital? The HOMER randomised controlled trial. BMJ 2005;330:293-7.

 

Revue du traitement par le pharmacien avec communication au médecin généraliste

Auteurs

Christiaens T.
Klinische Farmacologie, Vakgroep Farmacologie, UGentVakgroep Fundamentele en Toegepaste Medische Wetenschappen, UGent
COI :

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