Revue d'Evidence-Based Medicine



Résistance à l’aspirine et risque cardiovasculaire accru ?



Minerva 2008 Volume 7 Numéro 4 Page 52 - 53

Professions de santé


Analyse de
Krasopoulos G, Brister SJ, Beattie WS, Buchanan MR. Aspirin “resistance” and risk of cardiovascular morbidity: systematic review and meta-analysis. BMJ 2008;336;195-8.


Question clinique
Existe-t-il une relation entre la survenue d’événements cardiovasculaires et une résistance à l’aspirine chez des patients présentant une pathologie cardiovasculaire ?


Conclusion
Cette étude aux limites méthodologiques importantes, montre que, parmi des personnes qui présentent une pathologie cardiovasculaire, celles qui ont une résistance à l’aspirine aux tests de laboratoire effectués, ont, par rapport à celles qui présentent une sensibilité à l’aspirine pour ces mêmes tests, un risque accru de présenter un nouvel incident cardiovasculaire. Il n’existe pas de test de référence pour déterminer une résistance à l’aspirine et les opinions d’experts sont divergentes dans ce domaine. Cette absence de consensus sur une réelle résistance biologique à l’aspirine chez les patients concernés, d’évaluation de l’ensemble des facteurs de risque chez ces personnes dites « résistantes », et de traitement efficace connu, ne permet pas de tirer des conclusions pour la pratique.


 

Résumé

 

Contexte

Malgré une efficacité prouvée de l’aspirine en prévention cardiovasculaire secondaire (pathologie cardiovasculaire présente), certains patients font un nouvel incident. Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer cette observation : dose trop faible d’aspirine, non observance, absorption variable, prédisposition génétique rendant l’aspirine inefficace, antiagrégation plaquettaire absente ou différente sous aspirine par rapport à des sujets dits sensibles à l’aspirine. Il n’y a pas de consensus sur les moyens d’identifier cette « résistance » à l’aspirine et sa réalité est mise en doute par certains experts (1). Peu d’études ont évalué son impact sur la survenue d’événements cardiovasculaires.

 

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

 

Sources consultées

  • MEDLINE, EMBASE, CINAHL, Cochrane CCTR
  • listes de références des articles et auteurs des publications
  • pas de restriction de langue.

 

Etudes sélectionnées

  • inclusion : études évaluant la prise d’aspirine comme antithrombotique, classant prospectivement les patients en sensibles ou résistants à l’aspirine sur test de laboratoire ou triés en fonction de la survenue ou non d’un événement avec détermination ultérieure de la sensibilité à l’aspirine, avec respect du secret de l’attribution et mesure prospective des événements
  • test de résistance : différents tests admis en l’absence de consensus pour un test de référence 
  • exclusion : absence d’évaluation de l’activité plaquettaire, absence d’évaluation de la relation entre une résistance à l’aspirine et la morbimortalité
  • 20 études incluses : 17 études de cohorte, 1 étude descriptive, 2 études cas-contrôle.

 

Population étudiée

  • 2 930 patients présentant une pathologie cardiovasculaire, prenant de l’aspirine à une dose généralement de 75 à 325 mg/j (1 étude avec 3 x 500 mg/j) ; dans 6 études en association avec un autre antiagrégant plaquettaire (clopidogrel et/ou tirofiban)
  • 810 patients (28%) étiquetés résistants à l’aspirine.

 

Mesure des résultats

  • critères primaires : tout événement cardio- ou cérébrovasculaire, décès, syndromes coronariens aigus, échec d’une intervention vasculaire (insuffisance veineuse ou réocclusion, revascularisation, resténose vasculaire)
  • analyse en modèle d’effets fixes.

 

Résultats

Critères primaires :

  • événement cardiovasculaire : 41% des patients au total ; 39% parmi les résistants à l’aspirine, 16% parmi les sensibles à l’aspirine ; OR 3,85 (IC à 95% de 3,08 à 4,80 ; p<0,001)
  • décès 5,7% ; OR 5,99 (IC à 95% de 2,28 à 15,72)
  • syndrome coronarien aigu 39,4% ; OR 4,06 (IC à 95% de 2,96 à 5,56).

 

Analyse de sensibilité pour les patients résistants à l’aspirine :

  • pas de relation dose-réponse entre résistance et survenue d’un événement
  • pas de bénéfice de l’ajout de clopidogrel et/ou de tirofiban.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les patients résistants à l’aspirine ont un risque majoré de survenue d’une morbidité cardiovasculaire importante à long terme par rapport à ceux qui sont sensibles à l’aspirine.

 

Financement

Aucun.

 

Conflits d’intérêt

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette méta-analyse se base sur une recherche correcte dans la littérature mais celle-ci n’isole aucune RCT. Un biais de publication est montré dans un funnel plot. Les auteurs évaluent la qualité des publications mais sans mentionner le score de référence utilisé. Ils ont recherché une hétérogénéité avec le test Q et le test I² de Higgins : une hétérogénéité importante est mentionnée et ils ont, malgré tout, fait une analyse en modèle d’effets fixes. Cette hétérogénéité est liée au recours à certains tests de résistance mais pas à d’autres. Ils ont réalisé des analyses de sensibilité, prévues dans le protocole, en fonction de : test de la fonction plaquettaire, dose d’aspirine, et association d’un autre antiagrégant, sans montrer de différence dans les résultats. L’observance est évaluée par l’investigateur pour 17 études sur 20. Certains chiffres mentionnés dans le texte ne correspondent pas à ceux figurant dans les tableaux. Le problème méthodologique majeur de cette étude est la réalité ou non d’une résistance à l’aspirine qui fait toujours l’objet d’intenses débats (1). Les auteurs font l’hypothèse que la résistance à l’aspirine est réelle et cliniquement pertinente c’est-à-dire influençant le risque de survenue d’événements cardiovasculaires, cérébrovasculaires et vasculaires.

 

Tests de résistance à l’aspirine

Les auteurs considèrent que trois tests de résistance à l’aspirine peuvent être acceptés comme critère d’inclusion dans leur synthèse. Un test évaluant la fonction plaquettaire sur sang total, comme par exemple le « platelet function analyser 100 ». Un test mesurant la transmission lumineuse à travers une suspension de plasma riche en plaquettes et mis en contact avec différents agonistes. Un test mesurant le temps de saignement comme évaluant l’hémostase dépendante des plaquettes. Une synthèse méthodique (2) récente montre que suivant le test utilisé la prévalence d’une résistance à l’aspirine est estimée à 6 à 26% des cas. Les auteurs estiment qu’un sujet sur 4 présenterait une résistance à l’aspirine selon les tests en laboratoire. D’autres experts ne partagent pas du tout ce point de vue, estimant que tous ces tests n’évaluent pas directement l’effet de l’aspirine mais uniquement la réactivité plaquettaire à divers agonistes/stimuli. Ils proposent comme testing de la résistance à l’aspirine, le dosage de métabolites du thromboxane A2 ou TxB2 pour montrer l’incapacité de l’aspirine à inhiber sa cible, la cyclo-oxygénase. Selon ce test, moins de 1-2% des patients seulement ne répond(ent) pas à l’effet de l’aspirine (3). Selon ce type de test, il y aurait beaucoup plus de sujets peu répondeurs pour les thiénopyridines (15-30%). Ces tests ne peuvent être pratiqués que dans le cadre de recherches.

 

Résultats mis en perspective

Cette étude montre que des personnes ayant une pathologie cardiovasculaire, résistantes à l’aspirine au test de laboratoire pratiqué, ont, malgré la prise de cette aspirine parfois en association avec un autre antiagrégant (clopidogrel, tirofiban), un risque de survenue d’un événement cardiovasculaire (cardiaque, cérébral, vasculaire) multiplié par 4 par rapport aux sujets dits sensibles à l’aspirine pour le même test de laboratoire. Une autre méta-analyse récente (4) montre également un risque cardiovasculaire accru (OR 3,8 ; IC à 95% de 2,3 à 6,1) pour les personnes en prévention secondaire et présentant une résistance à l’aspirine au test biologique par rapport aux sujets montrant une sensibilité au même test.

Ces études ne nous donnent aucune information sur la comorbidité des patients concernés alors que celle-ci a très probablement une influence sur la morbimortalité cardiovasculaire (diabète par exemple). Les auteurs observent une prévalence moindre de résistance à l’aspirine chez les hommes que chez les femmes, et plus élevée en cas d’insuffisance rénale, mais ces dernières données proviennent d’un seul centre, situé en Asie, et demandent confirmation. Nous ne disposons pas, actuellement, de données sur la disparition ou la survenue d‘une résistance à l’aspirine au cours de la vie d’un individu.

 

En pratique

Chez des personnes qui ont une pathologie cardiovasculaire, les études identifient 16 à 30% de personnes présentant une « résistance » à l’aspirine définie par un test de laboratoire (non réponse plaquettaire). Ces personnes ont, par rapport à des sujets sensibles à l’aspirine pour le même test biologique, un risque cardiovasculaire multiplié par 4. Il n’y a pas, actuellement, de test biologique de référence. Il est donc nécessaire de fixer un test de référence pour la détermination de cette « résistance » à l’aspirine en laboratoire, mais aussi d’évaluer l’importance de ce phénomène de non réponse plaquettaire par rapport à d’autres variables possibles (comorbidités) et, enfin, de trouver un moyen de prévention efficace chez ces personnes. Les autres antiagrégants évalués chez ces personnes dites biologiquement résistantes à l’aspirine (clopidogrel, tirofiban) ne se sont pas révélés efficaces.

 

Conclusion

Cette étude aux limites méthodologiques importantes, montre que, parmi des personnes qui présentent une pathologie cardiovasculaire, celles qui ont une résistance à l’aspirine aux tests de laboratoire effectués, ont, par rapport à celles qui présentent une sensibilité à l’aspirine pour ces mêmes tests, un risque accru de présenter un nouvel incident cardiovasculaire. Il n’existe pas de test de référence pour déterminer une résistance à l’aspirine et les opinions d’experts sont divergentes dans ce domaine. Cette absence de consensus sur une réelle résistance biologique à l’aspirine chez les patients concernés, d’évaluation de l’ensemble des facteurs de risque chez ces personnes dites « résistantes », et de traitement efficace connu, ne permet pas de tirer des conclusions pour la pratique.

 

Lien vers l'articles original du BMJ

Références

  1. Biondi-Zoccai G, Lotrionte M. Aspirin resistance in cardiovascular disease. [Editorial] BMJ 2008;336:166-7.
  2. Hovens MM, Snoep JD, Eikenboom JC, et al. Prevalence of persistent platelet reactivity despite use of aspirin: a systematic review. Am Heart J 2007;153:175-81.
  3. Cattaneo M. Resistance to antiplatelet drugs: molecular mechanisms and laboratory detection. J Thromb Haemost 2007;5(Suppl1):230-7.
  4. Snoep JD, Hovens MM, Eikenboom JC, et al. Association of laboratory-defined aspirin resistance with a higher risk of recurrent cardiovascular events. Arch Intern Med 2007;167:1593-9.
Résistance à l’aspirine et risque cardiovasculaire accru ?



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