Revue d'Evidence-Based Medicine



Rivastigmine en cas de troubles cognitifs légers ?



Minerva 2008 Volume 7 Numéro 3 Page 42 - 43

Professions de santé


Analyse de
Feldman HH, Ferris S, Winblad B, et al. Effect of rivastigmine on delay to diagnosis of Alzheimer's disease from mild cognitive impairment: the InDDEx study. Lancet Neurol 2007;6:501-12.


Question clinique
Quelle est l’efficacité de la rivastigmine versus placebo en termes de report de délai d’apparition d’une maladie d’Alzheimer et sur la rapidité de la régression cognitive chez des personnes souffrant de troubles cognitifs légers ?


Conclusion
Cette étude ne montre pas d’efficacité préventive de l’administration de rivastigmine en termes de progression d’un trouble cognitif léger (MCI) ni vers une maladie d’Alzheimer, ni vers une aggravation de ces troubles. La relation entre MCI et maladie d’Alzheimer est mal connue. Aucune étude n’a pu montrer, à ce jour, un effet des inhibiteurs de la cholinestérase sur la progression d’un MCI ou sur sa conversion vers une démence.


 

Résumé

Contexte

Un Mild Cognitive Impairment (MCI) a été défini en 2001 par l’American Academy of Neurology comme une altération de la fonction de mémorisation mesurable et supérieure aux attentes liées à l’âge et à l’instruction (1). Le MCI réfère donc à une zone de transition entre un vieillissement normal et une démence. Dans des études d’une durée supérieure à 5 ans, 10-15% des personnes présentant des MCI évoluent vers une maladie d’Alzheimer (1). Une efficacité de la rivastigmine dans la prévention d’une telle évolution n’avait pas encore été évaluée.

Population étudiée

  • critères d’inclusion : personnes présentant un MCI : personnes présentant des signes de régression cognitive, un clinical dementia rating (CDR) de 0,5 et un score inférieur à 9 au New York University delayed paragraph recall test
  • critères d’exclusion : entre autres, maladie d’Alzheimer, dépression, pathologie neurologique dégénérative, antécédent d’accident ischémique transitoire, status physique fort instable
  • finalement randomisés : 1 018 patients ; âge moyen de 70 (ET 7) ans ; 53% de femmes.

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée, en double aveugle, contrôlée versus placebo, multicentrique, internationale
  • intervention : rivastigmine (n=508) versus placebo (n=510)
  • dose de rivastigmine de minimum 3 mg par jour ; titration jusqu’à atteinte de la dose maximale supportée, avec un maximum de 12 mg/j ; dose moyenne de 5,67 (ET 3-20) mg
  • sur une durée de 3 à 4 ans évaluation trimestrielle de la survenue d’une maladie d’Alzheimer.

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaire : délai du diagnostic clinique de maladie d’Alzheimer et modification de performance sur une batterie de tests cognitifs
  • critères secondaires : ADAS-cog, MMSE, ADCS-ADL, GDS, CDR, Beck depression inventory, NPI, qualité de vie, modifications des images cérébrales en résonance magnétique
  • intention de traiter doit être complétée par une imputation de ces résultats manquants dans les différents bras d’étude.">analyse en intention de traiter.

Résultats

  • davantage de sorties d’étude dans le groupe rivastigmine : 12,2% versus 6,7% dans le groupe placebo
  • évolution vers une maladie d’Alzheimer : 17,3% dans le groupe rivastigmine pour 21,4% dans le groupe placebo : HR 0,85 ; IC à 95% de 0,64 à 1,12 ; p=0,225.
  • scores sur la batterie de tests cognitifs et pour les autres critères secondaires : pas de différence significative.
  • incidence d’effets indésirables : semblable dans les deux groupes avec davantage d’effets cholinergiques : 2 à 4 fois plus d’effets indésirables cholinergiques sous rivastigmine (nausées, vomissements, diarrhées et troubles d’équilibre).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’administration de rivastigmine durant 4 ans à des personnes présentant des troubles cognitifs légers (MCI) ne montre pas d’efficacité en termes de progression vers une maladie d’Alzheimer ou des troubles cognitifs. L’évolution de MCI vers une maladie d’Alzheimer, dans cette étude, est inférieure aux prévisions. Cette étude ne montre pas de problèmes de sécurité significatifs avec ce traitement.

Financement
Novartis Pharma AG, Suisse qui a participé au protocole d’étude.

Conflits d’intérêt

De nombreux auteurs mentionnent être consultants pour une ou plusieurs firme(s) pharmaceutique(s) ou avoir reçu des honoraires de la firme Novartis pour une participation au Comité directeur de cette étude ; d’autres sont employés par Novartis et en possèdent des actions.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Le processus de randomisation, l’insu, la titration des médicaments sont décrits avec précision dans le protocole. Les caractéristiques initiales sont semblables dans les deux bras d’étude, avec diagnostic de maladie d’Alzheimer posé sur des critères validés.

La puissance de l’étude, estimée comme toujours en fonction du critère de jugement primaire, (dans cette étude l’évolution de MCI vers maladie d’Alzheimer), est mise à mal par un pourcentage de conversion plus faible que prévu, ce qui peut laisser un doute sur l’absence de mise en évidence d’une différence qui était pourtant présente (erreur bêta en statistique).

Les limites de l’intérêt des résultats de cette étude pour le praticien, trouvent leur origine dans des concepts méthodologiques mais aussi en fonction des définitions utilisées. Le premier problème est la définition imprécise des troubles cognitifs légers (MCI). Quelle perte de mémoire est anormale, autrement dit, quelle quantité de perte de mémoire peut-elle être considérée comme un symptôme de démence légère ? Les auteurs ont choisi un seuil de 9 points au New York University delayed paragraph recall test, ce qui représenterait une sensibilité de 95% et une spécificité de 43% pour la prévision d’une démence (2). Ce seuil n’est cependant pas corrigé en fonction de l’âge et de l’instruction des individus concernés. Une autre question est celle de l’intérêt d’explorer des modifications subtiles dans les autres fonctions cognitives. Ces modifications témoignent-elles également d’un vieillissement normal ou plutôt d’une démence débutante ? La relation entre MCI et démence n’est également pas bien établie : quel est le pourcentage de personnes présentant un MCI qui évoluera vers une maladie d’Alzheimer ou vers une autre forme de démence ? Des personnes manifestant des signes de dépression sont exclues alors qu’il est connu que des symptômes dépressifs accompagnent souvent les MCI et sont même parfois considérés comme des facteurs prédictifs d’évolution vers une maladie d’Alzheimer (3). Nous ne savons pas davantage depuis combien de temps les personnes souffraient de MCI avant d’être incluses dans cette étude. Soulignons, enfin, le rôle prépondérant du sponsor dans cette étude.

Analyse des résultats

Un traitement par rivastigmine ne montre donc, dans cette étude, aucun avantage préventif dans la progression vers une maladie d’Alzheimer, particulièrement basse dans cette étude par rapport aux prévisions : 10% attendus, 5% observés (voir commentaires sur la puissance de l’étude au paragraphe précédent). Les auteurs attribuent cette constatation à des choix effectués pour les critères d’inclusion (seuil choisi pour le New York University delayed paragraph recall test, exclusion des patients présentant une dépression). Cette étude a recours à une batterie précise de tests mais rien n’indique qu’un résultat différent n’ait pu être obtenu avec une batterie de tests différents. La relation entre MCI et une évolution vers une démence n’étant pas bien établie, l’interprétation des résultats de cette étude ne s’en trouve que plus compliquée.

Autres études

Les résultats d’autres études doivent être évalués à la lumière des incertitudes quant à la réalité d’une entité clinique constituée par les MCI. A ce jour, quatre médicaments ont été évalués : la vitamine E (3), le donépézil (3), la galantamine et la rivastigmine (4). Aucun de ceux-ci n’a montré d’efficacité préventive contre l’évolution vers une maladie d’Alzheimer. Une synthèse méthodique récente inclut huit RCTs (d’une durée de 24 semaines à 3 ans) évaluant l’efficacité du donépézil, de la rivastigmine et de la galantamine, versus placebo, en termes de prévention d’une évolution d’un MCI vers une maladie d’Alzheimer (5). La conversion observée varie de 13% (sur 2 ans) à 25% (sur 3 ans) dans le groupe principe actif versus 18 à 28% dans les groupes placebo. Seules deux études fournissent des intervalles de confiance pour le calcul du risque relatif de conversion : RR 0,85 (IC à 95% de 0,64 à 1,12) et 0,84 (IC à 95% de 0,57 à 1,25).

 

Conclusion

Cette étude ne montre pas d’efficacité préventive de l’administration de rivastigmine en termes de progression d’un trouble cognitif léger (MCI) ni vers une maladie d’Alzheimer, ni vers une aggravation de ces troubles. La relation entre MCI et maladie d’Alzheimer est mal connue. Aucune étude n’a pu montrer, à ce jour, un effet des inhibiteurs de la cholinestérase sur la progression d’un MCI ou sur sa conversion vers une démence.

 

Références

  1. Petersen RC, Doody R, Kurz A, et al. Current concepts in mild cognitive impairment. Arch Neurol 2001;58:1985-92.
  2. Kluger A, Ferris SH, Golomb J, et al. Neuropsychological prediction of decline to dementia in nondemented elderly. J Geriatr Psychiatry Neurol 1999;12:168-79.
  3. Lyketsos CG, Lopez O, Jones B, et al. Prevalence of neuropsychiatric symptoms in dementia and mild cognitive impairment: results from the cardiovascular health study. JAMA 2002;288:1475-83.
  4. Petersen RC, Thomas RG, Grundman M, et al; Alzheimer's Disease Cooperative Study Group. Vitamin E and donepezil for the treatment of mild cognitive impairment. N Engl J Med 2005;352:2379-88.
  5. Raschetti R, Albanese E, Vanacore N, Maggini M. Cholinesterase inhibitors in mild cognitive impairment: a systematic review of randomised trials. PLoS Med 2007;4:1818-28.
Rivastigmine en cas de troubles cognitifs légers ?

Auteurs

Vermeire E.
Vakgroep eerstelijns- en interdisciplinaire zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
COI :

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