Revue d'Evidence-Based Medicine



Statines et artérite périphérique



Minerva 2008 Volume 7 Numéro 2 Page 20 - 21

Professions de santé


Analyse de
Heart Protection Study Collaborative Group. Randomized trial of the effects of cholesterol-lowering with simvastatin on peripheral vascular and other major vascular outcomes in 20,536 people with peripheral arterial disease and other high-risk conditions. J Vasc Surg 2007;45:645-54.


Question clinique
Quelle est l’efficacité de la simvastatine en termes de morbidité et de mortalité chez des patients souffrant d’une artérite périphérique, quelle que soit leur (LDL-)cholestérolémie ?


Conclusion
Cette nouvelle analyse d’une ancienne étude montre que chez des patients présentant un risque cardiovasculaire initial élevé, avec ou sans artérite périphérique, l’ajout de 40 mg par jour de simvastatine au traitement permet de diminuer de 24% le risque de survenue d’un événement cardiovasculaire. La présence d’une artérite périphérique place le sujet dans le groupe des patients à risque cardiovasculaire élevé.


 

Résumé

Contexte

Un traitement par statine diminue le risque d’événements cardiovasculaires d’environ 25%, quel que soit le risque cardiovasculaire initial (1). La présence d’une artérite périphérique augmente fortement la morbimortalité cardiovasculaire (2). L’étude “Heart Protection Study” (HPS) a évalué l’effet de l’administration de 40 mg de simvastatine par jour dans une population à risques cardiovasculaires fort divers. Cette publication-ci concerne les patients présentant une artérite.

 

Population étudiée

1. Etude HPS

  • 20 536 sujets âgés de 40 à 80 ans (moyenne 64 ans ; 28% >70 ans), 25% de femmes, avec cholestérolémie totale non à jeun >135 mg/dl et avec risque de décès coronarien important à 5 ans
  • anamnèse d’ischémie coronarienne dans 65%, de pathologie cérébrovasculaire dans 11% ; d’artérite périphérique dans 30% et de diabète sucré dans 14% des cas
  • parmi les patients sans ischémie coronarienne : 25% pathologie cérébrovasculaire, 37% artérite périphérique, 55% diabète
  • critères d’exclusion : maladie hépatique ou rénale chronique, muscualire inflammatoire, traitement par ciclosporine, fibrate ou niacine, femme en âge de procréer, insuffisance cardiaque sévère, espérance de vie limitée

  

2. Cette analyse post-hoc

  • inclusion : 13 788 patients sans artérite périphérique (AP) et 6 748 (33%) patients avec AP
  • pour les patients avec AP, anamnèse de : 33% de chirurgie des artères ou d’angioplastie, 2% d’amputation, 65% d’AP symptomatique, 60% d’ischémie coronarienne, 8% d’incident cérébrovasculaire) ; 23% de diabète, 21% de fumeurs, 1% avec HTA comme seul risque.

 

Protocole d’étude

  • analyse post-hoc de l’étude HPS, étude multicentrique, randomisée, en double aveugle, contrôlée versus placebo
  • placebo durant 4 semaines puis simvastatine 40 mg par jour versus placebo
  • suivi à 4, 6 mois puis tous les 6 mois sur une durée d’étude de 5 ans.

 

Mesure des résultats

  • premier incident vasculaire important (décès d’origine coronarienne, infarctus myocardique non fatal, AVC, revascularisation coronarienne ou autre)
  • incident vasculaire périphérique (revascularisation non coronarienne, chirurgie d’anévrysme, amputation, décès lié à l’AP).

 

Résultats

  • premier incident vasculaire important : simvastatine 40 mg versus placebo, RRR 24% (intervalle de confiance à 95% est souvent choisi. Ceci signifie que, si l’enquête ou étude est reproduite 100 fois dans la même population avec des échantillons différents, dans 95 des cas la valeur trouvée se situera dans l’intervalle de confiance donné. Cela s’appelle un intervalle de confiance à 95%. L’intervalle de confiance nous renseigne sur la fiabilité des valeurs trouvées dans l’étude. Les limites inférieures et supérieures de l’intervalle de confiance sont appelées marges de fiabilité ou limites de confiance. Au moins les valeurs extrêmes sont éloignées, au plus l’intervalle de confiance est étroit et au plus l’effet observé est un reflet fiable de l’effet réel. L’intervalle de confiance dépend de la variabilité (exprimée par l’écart type) et de la taille de l’échantillon (le nombre de personnes dans l’étude). Plus l’échantillon est numériquement important, plus l’intervalle de confiance est étroit.">IC à 95% 19-28 ; p<0,0001) pour l’ensemble des sujets, RRR 22% (IC à 95% 15-29 ; p<0,0001) pour les patients avec AP, RRR 25% (IC à 95% 20-31 ; p<0,0001) pour les patients sans AP
  • patients avec AP versus sans AP : pas de différence significative avec la simvastatine ni pour le critère composite, ni pour ses diverses composantes
  • premier incident vasculaire périphérique : simvastatine 40 mg versus placebo, RRR 16% (IC à 95% 5-25 ; p=0,006) pour l’ensemble des sujets, sans différence significative pour les patients sans AP
  • diminution statistiquement significative de 20% du nombre de revascularisations non coronariennes, d’endartériectomies carotidiennes ou d’angioplastie sous simvastatine
  • pas d’effet sur la mortalité liée à l’AP, les interventions pour anévrysmes ou amputations.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent à l’intérêt d’un traitement hypolipidémiant chez des patients présentant une artérite périphérique, indépendamment de la cholestérolémie initiale. Une dose quotidienne de 40 mg de simvastatine réduit le risque d’incident cardiovasculaire important d’un quart et le risque d’incident vasculaire périphérique d’un sixième. Ils proposent de prescrire un tel traitement à toute personne atteinte d’une artérite périphérique.

 

Financement

UK Medical Research Council, British Heart Foundation, Merck & Co, Roche vitamines Ltd.

 

Conflits d’intérêt

Les auteurs ont reçu un dédommagement de l’industrie pharmaceutique pour leur participation à des réunions scientifiques.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Dans l’étude HPS (3), aucune distinction n’est faite entre prévention primaire et secondaire ; elle inclut des patients présentant un risque élevé de pathologie cardiovasculaire (14,7% de mortalité vasculaire dans le groupe placebo). Elle comporte aussi un groupe important de femmes, ce qui est une première. Les critères d’inclusion fort larges et la taille importante de l’échantillon de patients avec des profils de risque différents permettent une analyse stratifiée des résultats. Cette étude reste de méthodologie robuste. Notre précédente critique concernant la présentation de ses résultats (4) soulignait la difficulté d’évaluer la précision de l’effet clinique en raison de l’absence de mention d’intervalles de confiance pour le risque absolu. Les publications ultérieures des résultats de cette étude, avec un découpage selon des groupes spécifiques (diabète, AVC, artérite périphérique) veulent à nouveau attirer l’attention mais n’apportent que peu d’informations nouvelles par rapport à la publication initiale.

L’analyse stratifiée est une analyse secondaire. Aucune randomisation par catégorie de risque n’est faite à l’inclusion. Dans le groupe de patients présentant une artérite, il y a 1,5 fois plus de fumeurs que dans celui des sujets sans artérite ; il comprend également 10% de patients diabétiques et 10% de patients ayant présenté un infarctus du myocarde en moins. La signification statistique de ces différences n’est pas calculée et aucune analyse n’est faite quant à l’influence potentielle de ces différences sur les résultats. En outre, et c’est la critique la plus fondamentale, les auteurs de cette publication n’apportent aucun renseignement à propos du critère primaire de l’étude originale. L’étude HPS reprenait comme critères d’évaluation primaires : mortalité totale, mortalité coronarienne et mortalité d’autres causes. Tous les autres critères étaient secondaires ou ont été même ajoutés en cours d’étude. Les auteurs de cette publication ayant fait le choix de nouveaux critères, nous pouvons en déduire que les résultats pour les critères primaires originaux n’étaient guère significatifs. Les nouveaux critères choisis sont fort larges, ce qui permet de franchir plus aisément le seuil de la signification statistique mais ne nous permet pas de déterminer pour quelle(s) composante(s) du critère composite précise(s) une efficacité significative du traitement est présente et la taille de cet effet. Une efficacité préventive sur la survenue d’un nouvel incident vasculaire périphérique est une donnée nouvelle dans cette publication. Pour ce critère, l’efficacité de la simvastatine n’est significative qu’en présence d’une artérite périphérique, d’une ischémie coronarienne ou d’un diabète, chez des patients âgés de plus de 65 ans ou présentant une LDL-cholestérolémie >100 mg/dl, bref, chez des patients avec un risque cardiovasculaire augmenté.

 

Interprétation des résultats

Différentes études de cohorte, sur une longue durée, montrent qu’une artérite périphérique est un facteur de risque indépendant de mortalité cardiovasculaire et même de mortalité totale (5). Une étude de cohorte, sur une longue durée, montre en analyse multivariée que le recours à une dose élevée d’une statine et le fait d’avoir une LDL-cholestérolémie basse durant les 6 derniers mois sont deux facteurs indépendamment associés à une mortalité totale et cardiovasculaire plus basses en cours d’étude chez des personnes avec une artérite périphérique (6). Une synthèse Cochrane (7) décrit l’efficacité des statines chez des patients présentant une artérite périphérique : aucune donnée concernant la mortalité totale, une efficacité statistiquement significative sur la totalité des incidents cardiovasculaires (OR 0,74 ; IC à 95% 0,67-0,82 ; p<0,00001), sur les incidents coronariens (OR 0,77 ; IC à 95% 0,66-0,89 ; p=0,0003) et sur l’ensemble des AVC (OR 0,72 ; IC à 95% 0,59-0,8 ; p=0,001). Ces résultats proviennent d’une sommation de 2 études. Dans ce domaine, Clinical Evidence estime que seuls les résultats de l’étude HPS sont statistiquement significatifs (4).

 

Pour la pratique

Cette étude conforte le choix effectué dans la Recommandation de Bonne Pratique belge “Gestion du risque cardiovasculaire global” (8) : tout événement ischémique personnel, artérite périphérique incluse, place son sujet dans le groupe à risque élevé. Pour ces patients, l’administration d’une statine est cependant insuffisante. D’autres interventions, médicamenteuses ou non, sont nécessaires pour agir sur tous les facteurs de risque connus afin de diminuer la mortalité et la morbidité cardiovasculaires.

 

Conclusion

Cette nouvelle analyse d’une ancienne étude montre que chez des patients présentant un risque cardiovasculaire initial élevé, avec ou sans artérite périphérique, l’ajout de 40 mg par jour de simvastatine au traitement permet de diminuer de 24% le risque de survenue d’un événement cardiovasculaire. La présence d’une artérite périphérique place le sujet dans le groupe des patients à risque cardiovasculaire élevé.

 

Références

  1. Baigent C, Keech A, Kearney PM, et al; Cholesterol Treatment Trialists' (CTT) Collaborators. Efficacy and safety of cholesterol-lowering treatment: prospective meta-analysis of data from 90 056 participants in 14 randomised trials of statins. Lancet 2005;366:1267-78.
  2. Golomb BA, Dang TT, Criqui MH. Peripheral arterial disease: morbidity and mortality implications. Circulation 2006;114:688-99.
  3. Heart Protection Study Collaborative Group. MRC/BHF Heart Protection Study of cholesterol lowering with simvastatin in 20 536 high-risk individuals: a randomised placebo-controlled trial. Lancet 2002;360:7-22.
  4. Lemiengre M, van Driel M, Chevalier P, et al. New analyses of Heart Protection Study [Letter]. Lancet 2004;363:1827-8.
  5. Lamina C, Meisinger C, Heid IM, et al; Kora Study Group. Association of ankle-brachial index and plaques in the carotid and femoral arteries with cardiovascular events and total mortality in a population based study. Eur Heart J 2006;27:2580-7.
  6. Ferringa HH, Karragiannis SE, van Wanning VH, et al. The effect of intensified lipid lowering therapy on long term prognosis in patients with peripheral arterial disease. J Vasc Surg 2007;45:936-43.
  7. Aung PP, Maxwell HG, Jepson RG, et al. Lipid-lowering for peripheral arterial disease of the lower limb. Cochrane Database Syst Rev 2007, Issue 4.
  8. Boland B, Christiaens T, Goderis G, et al. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering. Globaal cardiovasculair risicoprofiel. Huisarts Nu 2007;36:339-371.

 

Statines et artérite périphérique

Auteurs

Lemiengre M.
Huisartsenpraktijk De Wijngaard Roeselare; Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :

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